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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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ACTEURS.

DIEUX DANS LES MACHINES.
JUPITER.  
JUNON.  
NEPTUNE.  
MERCURE.  
LE SOLEIL.  
VÉNUS.  
MELPOMÈNE.  
ÉOLE.  
CYMODOCE,
ÉPHYRE,
CYDIPPE,
} Néréides
Huit Vents.  
HOMMES.
CÉPHÉE,   roi d'Éthiopie,
père d'Andromède.
CASSIOPE,   reine d'Éthiopie.
ANDROMÈDE,   fille de Céphée
et de Cassiope.
PHINÉE,   prince d'Éthiopie.
PERSÉE,   fils de Jupiter
et de Danaé.
TIMANTE,   capitaine des
gardes du Roi.
AMMON,   ami de Phinée.
AGLANTE,
CÉPHALIE,
LIRIOPE,
} Nymphes d'Andromède.
Un page de Phinée.
Chœur de peuple.
Suite du Roi [542].

La scène est en Éthiopie, dans la ville capitale du royaume de Céphée, proche de la mer [543].

ANDROMÈDE.
TRAGÉDIE.

PROLOGUE.


DÉCORATION DU PROLOGUE [544].

L'ouverture du théâtre présente de front aux yeux des spectateurs une vaste montagne, dont les sommets inégaux, s'élevant les uns sur les autres, portent le faîte jusque dans les nues. Le pied de cette montagne est percé à jour par une grotte profonde qui laisse voir la mer en éloignement. Les deux côtés du théâtre sont occupés par une forêt d'arbres touffus et entrelacés les uns dans les autres [545]. Sur un des sommets de la montagne paroît Melpomène, la muse de la tragédie; et à l'opposite dans le ciel, on voit le Soleil s'avancer dans un char tout lumineux, tiré par les quatre chevaux [546] qu'Ovide lui donne.

LE SOLEIL, MELPOMÈNE.

MELPOMÈNE.

Arrête un peu ta course impétueuse:

Mon théâtre, Soleil, mérite bien tes yeux;

Tu n'en vis jamais en ces lieux

La pompe plus majestueuse:

J'ai réuni, pour la faire admirer, 5

Tout ce qu'ont de plus beau la France et l'Italie;

De tous leurs arts mes sœurs l'ont embellie:

Prête-moi tes rayons pour la mieux éclairer.

Daigne à tant de beautés, par ta propre lumière,

Donner un parfait agrément, 10

Et rends cette merveille entière

En lui servant toi-même d'ornement.

LE SOLEIL.

Charmante muse de la scène,

Chère et divine Melpomène,

Tu sais de mon destin l'inviolable loi: 15

Je donne l'âme à toutes choses,

Je fais agir toutes les causes;

Mais quand je puis le plus, je suis le moins à moi;

Par une puissance plus forte

class="i3" Le char que je conduis m'emporte: 20

Chaque jour sans repos doit et naître et mourir.

J'en suis esclave alors que j'y préside;

Et ce frein que je tiens aux chevaux que je guide

Ne règle que leur route, et les laisse courir.

MELPOMÈNE.

La naissance d'Hercule et le festin d'Atrée 25

T'ont fait rompre ces lois;

Et tu peux faire encor ce qu'on t'a vu deux fois

Faire en même contrée.

Je dis plus: tu le dois en faveur du spectacle

Qu'au monarque des lis je prépare aujourd'hui; 30

Le ciel n'a fait que miracles en lui:

Lui voudrois-tu refuser un miracle?

LE SOLEIL.

Non; mais je le réserve à ces bienheureux jours

Qu'ennoblira [547] sa première victoire:

Alors j'arrêterai mon cours, 35

Pour être plus longtemps le témoin de sa gloire.

Prends cependant le soin de le bien divertir.

Pour lui faire avec joie attendre les années [548]

Qui feront éclater les belles destinées

Des peuples que son bras lui doit assujettir. 40

Calliope ta sœur déjà d'un œil avide

Cherche dans l'avenir les faits de ce grand roi,

Dont les hautes vertus lui donneront emploi

Pour plus d'une Iliade et plus d'une Énéide.

MELPOMÈNE.

Que je porte d'envie à cette illustre sœur, 45

Quoique j'aye à craindre pour elle

Que sous ce grand fardeau sa force ne chancelle!

Mais quel qu'en soit enfin le mérite et l'honneur,

J'aurai du moins cet avantage [549],

Que déjà je le vois, que déjà je lui plais, 50

Et que de ses vertus, et que de ses hauts faits

Déjà dans ses pareils je lui trace une image.

Je lui montre Pompée, Alexandre, César,

Mais comme des héros attachés à son char [550];

Et tout ce haut éclat où je les fais paroître 55

Lui peint plus qu'ils n'étoient, et moins qu'il ne doit être.

LE SOLEIL.

Il en effacera les plus glorieux noms,

Dès qu'il pourra lui-même animer son armée;

Et tout ce que d'eux tous a dit la renommée

Te fera voir en lui le plus grand des Bourbons. 60

Son père et son aïeul tous rayonnants de gloire,

Ces grands rois qu'en tous lieux a suivi la Victoire,

Lui voyant emporter sur eux le premier rang,

En deviendroient jaloux s'il n'étoit pas leur sang.

Mais vole dans mon char, muse; je veux t'apprendre 65

Tout l'avenir d'un roi qui t'est si précieux.

MELPOMÈNE.

Je sais déjà ce qu'on doit en attendre [551],

Et je lis chaque jour son destin dans les cieux.

LE SOLEIL.

Viens donc, viens avec moi faire le tour du monde;

Qu'unissant ensemble nos voix, 70

Nous fassions résonner sur la terre et sur l'onde

Qu'il est et le plus jeune et le plus grand des rois.

MELPOMÈNE.

Soleil, j'y vole; attends-moi donc, de grâce.

LE SOLEIL.

Viens, je t'attends, et te fais place.

MELPOMÈNE vole dans le char du Soleil, et y ayant pris place auprès de lui, ils unissent leurs voix, et chantent cet air à la louange du Roi. Le dernier vers de chaque couplet est répété par le chœur de la musique.

Cieux, écoutez; écoutez, mers profondes; 75

Et vous, antres et bois,

Affreux déserts, rochers battus des ondes [552],

Redites après nous d'une commune voix:

«Louis est le plus jeune et le plus grand des rois.»

La majesté qui déjà l'environne 80

Charme tous ses François;

Il est lui seul digne de sa couronne;

Et quand même le ciel l'auroit mise à leur choix,

Il seroit le plus jeune et le plus grand des rois [553].

C'est à vos soins, Reine, qu'on doit la gloire 85

De tant de grands exploits;

Ils sont partis suivis de la victoire;

Et l'ordre merveilleux dont vous donnez ses lois

Le rend et le plus jeune et le plus grand des rois.

LE SOLEIL.

Voilà ce que je dis sans cesse 90

Dans tout mon large tour.

Mais c'est trop retarder le jour;

Allons, muse, l'heure me presse,

Et ma rapidité

Doit regagner le temps que sur cette province, 95

Pour contempler ce prince,

Je me suis arrêté.

(Le Soleil part avec rapidité, et enlève Melpomène avec lui dans son char, pour aller publier ensemble la même chose au reste de l'univers.)

FIN DU PROLOGUE.

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