Isolée
XXXI
Le calme était profond dans ce salon placé à l’arrière de la maison ; on n’entendait même pas le roulement des quelques voitures qui passaient dans le square ; à l’intérieur, rien ne bougeait. Nurse Rice fermait les portes sur son malade et sur elle-même, dès neuf heures, et le nombreux personnel, sauf un valet de pied qui sommeillait dans le hall, se trouvait au sous-sol pour le souper.
Sylvaine, qui n’y eût peut-être pas songé sans les paroles de Kathleen, éprouva tout à coup le très vif sentiment de solitude auquel se mêla une peur imprécise. Au départ de Kathleen elle avait éteint une partie de l’électricité, ne gardant d’éclairée que la table où elle lisait ; d’un geste, elle ralluma tout, jetant les yeux autour d’elle avec angoisse. Derrière les grandes portières de tapisserie, soigneusement baissées, il y avait l’autre immense salon, sombre et vide. Elle regarda à plusieurs reprises la porte qui donnait sur l’escalier avec une appréhension inexpliquée de la voir s’ouvrir. L’idée d’être obligée de monter deux étages pour arriver à sa chambre, de passer devant tant de portes closes, lui fut désagréable.
— Je suis ridicule, pensa-t-elle ; en quoi cette soirée est-elle différente des autres ? La dernière de l’année ! mais c’est une convention ; chaque jour termine une période de temps qui tombe dans le passé. Que je sois triste, c’est naturel ; mais que j’aie peur, car j’ai peur — et elle frissonna — c’est une folie. J’ai mal aux nerfs, assurément. Je vais écrire à Nelly Holt ; cela me forcera à ne pas laisser errer mes idées.
Résolument, elle se mit à la table de Mme Hurstmonceaux et commença sa lettre. Elle n’était pas arrivée au bas de la page, et dix heures venaient de sonner dans le silence quand retentit le heurtoir de l’entrée.
Une idée folle traversa la cervelle de Sylvaine. Elle s’imagina qu’Albéric lui faisait la surprise de venir lui souhaiter la bonne année. Ce devait être lui, c’était lui. Quel autre pourrait être admis à cette heure indue ? Car on montait l’escalier. D’un élan elle se leva, s’avançant, tremblante d’une joie délicieuse. On se rapprochait : lentement la porte roula sur ses gonds et, à la stupéfaction de Sylvaine, livra passage à Archie Elliot. Elle eut un mouvement de recul. Dès le seuil, le domestique encore là, il avait dit très haut :
— Je suis porteur d’un message de Mme Hurstmonceaux.
Puis, avant que Sylvaine, soudain tombée de si haut, eût trouvé un mot de réponse, il fut à son côté, et la saisissant avec impétuosité il essaya de la serrer dans ses bras, tout en répétant d’une voix étouffée : « Darling, darling !… »
Terrifiée, Sylvaine le repoussa de toutes ses forces. Evidemment surpris, il avait relâché son étreinte. Elle se recula, blême, trouvant à peine la force de balbutier :
— Mais vous êtes ivre… vous êtes ivre… Sortez !
Assurément Archie Elliot avait bu, car loin de lui obéir il marcha hardiment vers elle, montrant ses dents de jeune chien.
— Chère petite hypocrite ! Vous m’écrivez de venir, et vous me recevez ainsi ! N’ayez donc pas peur ; nous sommes seuls, bien seuls…
Trop effrayée pour répondre, croyant avoir affaire à un fou, saisie d’une terreur et d’une horreur qui lui enlevaient l’usage de la parole, Sylvaine, les yeux dilatés, le regardait ; elle le regardait venir, se rapprochant pendant qu’éperdue elle se dérobait, renversant les chaises sur son passage… arrêtée soudain par le froid du carreau qu’elle rencontra derrière elle.
Archie lui parlait doucement.
— Venez, ma beauté, venez dans mes bras ; vous savez bien que je vous aime.
Et brusquement il l’avait reprise, la maîtrisant cette fois, essayant de l’entraîner vers le canapé garni de coussins.
Elle poussa un cri rauque, cri que des baisers tentèrent d’étouffer. Mais d’un effort désespéré elle se baissa et mordit si violemment la main d’Archie que dans un mouvement involontaire il fit un pas en arrière et lâcha Sylvaine.
Au même instant, une voix furieuse lui criait tout près : « Canaille ! » Devant lui se tenait Mme Hurstmonceaux en robe rouge, tout étincelante de diamants. Entrée silencieusement par la portière du grand salon, elle avait jeté à terre son manteau ; la colère lui convulsait le visage, et comme une furie elle s’avança vers Sylvaine qui, à moitié évanouie, s’était affaissée sur une chaise.
— Misérable ! misérable, que j’ai reçue dans ma maison par pitié… oui, par pitié !
Sylvaine qui, se croyant secourue, s’abandonnait, bondit sur ses pieds.
— C’est à moi que vous parlez, à moi que cet homme a insultée ?
Et d’un mouvement de pudeur ses deux mains couvrirent son visage.
— Oui, à vous, mademoiselle, à vous, répéta Mme Hurstmonceaux haletante, redevenue dans l’excès de sa passion la femme de bas étage. Ah ! Ah ! j’étais aveugle, je ne voyais pas, mais d’autres voyaient votre manège. Vous saviez bien où prendre vos amoureux. C’est sans doute lui que vous avez été rejoindre à Paris. Imbécile que j’étais !
Et se retournant, les deux poings crispés et menaçants, vers Archie Elliot :
— Vous êtes son amant, mais vous me le payerez cher tous les deux ; je la déshonorerai publiquement, entendez-vous ? Et vous, et vous…
Elle faillit étouffer.
— Vous êtes folle, entièrement folle, dit Elliot livide à son tour.
Puis, s’emparant des bras levés de Mme Hurstmonceaux, il les abaissa dans une violente saccade.
— Taisez-vous ! Vous ne savez pas ce que vous dites.
— Ah ! je ne sais pas ce que je dis ? Je vous ai assez comblé, vous vivez de mes bienfaits ; et sous mon toit, avec cette fille que j’ai recueillie… Ah ! on ne me croyait pas assez pure pour elle. C’est assez ridicule du reste ; on sait ce qu’était sa…
Le mot qu’elle allait prononcer fut arrêté par la main brutale d’Archie Elliot, se posant large et rude sur la bouche ouverte pour crier l’outrage. En même temps, il siffla entre ses dents :
— Je vous tue, si vous ne vous taisez pas.
Mme Hurstmonceaux éclata alors en sanglots.
— C’est horrible ! C’est affreux ! Je la chasse. Qu’elle sorte, qu’elle parte tout de suite.
Et se jetant en avant vers Sylvaine médusée et comprenant à peine la scène dans laquelle elle jouait un rôle :
— Sortez de chez moi, vous dis-je, voleuse d’hommes. Demandez-lui de vous suivre, allez chez lui, si vous voulez. Demain… demain… je déchirerai mon testament… Quand je pense qu’il faut que j’attende à demain.
Et, dans un geste de rage impuissante, elle se tordit les mains.
Sylvaine, ainsi que dans un cauchemar épouvantable, marchait vers la porte. Elle partait, elle partait… Pourvu que les forces ne lui manquassent pas !
Mme Hurstmonceaux, en proie à un véritable délire, continuait à hurler ses insultes à l’un et à l’autre ; Archie Elliot lui ordonna impérieusement le silence.
— Je ne sais quel est le diable qui a préparé ceci, dit-il tout bas… mais prenez garde, prenez garde…
Et la secouant de droite à gauche par le seul mouvement du bras, il la jeta échevelée et écumante sur un siège bas… Elle répétait de sa voix étranglée — on voyait les mouvements spasmodiques de sa gorge qui menaçaient de rompre le fil de perles qu’elle avait au cou :
— Vous me rendrez tout, tout l’argent que je vous ai donné ; et mon testament… je referai mon testament…
Sylvaine avait franchi le seuil. La porte avait été refermée derrière elle, elle était seule. Etourdie comme d’un coup de massue, elle se passa deux ou trois fois la main sur le front, ne réalisant pas, ne sachant ce qu’elle allait faire. Dans le salon, les éclats de voix continuaient et se répercutaient dans la maison sonore. Soudain, une porte du rez-de-chaussée s’ouvrit vivement ; quelqu’un monta l’escalier et nurse Rice, émue contre sa coutume, fut aux côtés de Sylvaine.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Le colonel est très agité ; il veut se lever.
— Je m’en vais… murmura Sylvaine du bout des lèvres, je m’en vais…
— Mais où ? interrogea nurse Rice stupéfaite.
— Je ne sais pas… mais je m’en vais… Oh ! laissez-moi partir, vite, vite…
Nurse Rice l’aida à descendre ; quand elles furent en bas de l’escalier, elle fit entrer Sylvaine dans la salle à manger déserte.
— Restez là ; je vais chercher un manteau.
Boddle, le maître d’hôtel et un valet pied, assistaient imperturbablement graves à ce qui se passait.
— Boddle, dit nurse Rice, miss Charmoy désire un fiacre tout de suite.
— Très bien, madame, mais il vaudrait peut-être mieux que James monte sur le siège.
Rien n’étonnait Boddle, et il ne perdait jamais sa présence d’esprit.
— Oui, certainement, vous avez raison.
La porte fut ouverte et le coup de sifflet d’appel lancé dans la nuit. C’était une nuit assez claire, avec de la neige sur la terre et les arbres dépouillés. En moins d’une minute, une voiture fermée fut arrêtée au ras du trottoir.
Nurse Rice était revenue vers Sylvaine, qui passive se laissait faire ; elle l’enveloppa d’une de ses longues pèlerines d’uniforme et lui mit un châle de laine noire sur la tête.
— Chez Mme Caulfield ? suggéra-t-elle.
— Non, dit Sylvaine en frissonnant, non… chez Nelly Holt ; Nelly me recevra.
— Mais, miss Charmoy, qu’est-ce qui a pu arriver ? Votre oncle est dans un état alarmant ; comment vais-je le calmer ? Qu’est-ce que je dois dire ?
— Dites ce que vous voulez… oh ! laissez-moi m’en aller…
La voix de Mme Hurstmonceaux, vitupérant, s’entendait jusqu’au rez-de-chaussée.
Sylvaine, sans rien regarder, ne pensant qu’à fuir, descendit hâtivement les marches, vit s’ouvrir la portière de la voiture, et, à sa surprise, James prendre place à côté du cocher. Elle n’avait pas parlé, l’adresse avait été indiquée par nurse Rice. Le cheval fatigué s’ébranla, la voiture roula doucement sur la neige. Le trajet fut court.
La vue de James dans sa livrée somptueuse donna au portier de l’immeuble de Queen Anne Street la meilleure opinion de l’importance de Sylvaine, et, sans faire attention à ce que son aspect avait d’étrange, il l’accompagna respectueusement jusqu’à la porte de miss Holt. Là, il fallut sonner plusieurs fois avant d’obtenir une réponse. Enfin, miss Holt, dans une longue robe de flanelle blanche, parut, et à la vue de Sylvaine faillit pousser une exclamation, mais un seul coup d’œil lui apprit qu’il se cachait un drame sous cette venue inopinée ; et, avec un mot de remerciement au portier, le congédiant rapidement, elle entraîna Sylvaine dans son petit salon : le feu s’y éteignait, et la lampe de travail ne donnait qu’une clarté restreinte. La pièce était en désordre et l’aspect plutôt triste.
— Je vais ranimer le feu, dit immédiatement Nelly, s’y employant, et parlant à Sylvaine le dos tourné. Asseyez-vous, mais n’ôtez pas encore votre manteau… je vous ferai un lit sur mon sofa, il est organisé pour cela.
— Comment savez-vous que je viens vous demander à coucher ? dit Sylvaine d’une voix blanche.
— Je le présume, car vous ne venez certainement pas me demander à souper. Ne parlez pas, si cela vous fait mal ; vous me direz demain ce qui en est ; du moins, si vous le voulez ; ne craignez pas mes questions.
Puis se levant :
— Voilà un très bon feu, approchez-vous. Désirez-vous du thé ? Moi, dans les émotions, le thé me fait du bien.
Mais Sylvaine, sous la détente de cette réception rassurante, avait senti défaillir ses dernières forces de résistance, et, avec un sanglot douloureux, tomba dans une crise de nerfs.
Nelly, avec beaucoup de bonté, d’une main ferme, lui donna les secours nécessaires.
— Pleurez, disait-elle, pleurez ; les larmes soulagent.
Peu à peu, Sylvaine s’apaisa ; ses paupières se fermèrent ; elle demeura immobile, et les larmes chaudes qui roulaient lentement sur ses joues révélaient seules l’état de son âme… Une demi-heure s’écoula dans un douloureux silence.
Nelly, assise à terre à côté du large sofa, tenait la main inerte de Sylvaine, et son propre visage trahissait la souffrance. A deux ou trois reprises, son front se contracta et ses lèvres se serrèrent dans une volonté de se vaincre. Puis, quand elle crut Sylvaine calmée, elle se leva, lui prépara la tasse de thé qu’elle lui avait proposée, et la lui fit boire.
— Je suis bien… balbutia Sylvaine. Je vous demande pardon. Oh ! Nelly, si vous saviez…
Et alors, incapable de se contraindre plus longtemps, elle dit l’épouvantable et inexplicable scène qui venait de se passer…
— Comprenez-vous ? Comprenez-vous ?…
Nelly Holt l’avait écoutée debout, le regard fixé sur les yeux de Sylvaine, effarée de ce qu’elle entendait.
— C’est abominable, monstrueux ! Oh ! Sylvaine, votre place n’était pas là…
Puis, d’une voix plus douce :
— Pauvre enfant !
Sylvaine répéta :
— Comprenez-vous, Nelly ?
— Oui, et je devine qui a préparé ce scandale… Ne pleurez pas, Sylvaine ; en quoi la folie de ces misérables peut-elle vous atteindre ?
— J’irai me cacher dans un couvent ; la vie ne vaut plus rien pour moi, murmura Sylvaine.
Nelly pour l’instant ne la contredit pas ; elles se turent. Puis, miss Holt dit :
— Couchez-vous, Sylvaine. Je suis lasse moi-même ; nous causerons demain.
— Si vous le voulez.
— Oui, je vous le demande.
Bientôt Sylvaine fut étendue dans le lit improvisé que lui avait dressé Nelly, et telle était sa fatigue qu’elle s’endormit.
Nelly ne put trouver le sommeil. Elle passa la majeure partie de la nuit à lire, et surtout à envisager l’avenir… Vers le matin, dans le secret de son âme, elle avait pris une décision, et put enfin trouver le repos.
Le jour vint ; le premier jour du nouvel an, triste et blafard. Il pleuvait, la boue semblait couler dans les rues, la neige fondait, devenue noire. Les pensées de mort, de tristesse et d’abandon, flottaient dans l’air.
Sylvaine se leva à l’appel de Nelly, et accomplit mécaniquement les actes de sa toilette. Nelly mit à sa disposition une blouse et une jupe du matin, la força à s’en revêtir, et l’obligea à déjeuner ; l’espèce de réserve qui semblait exister entre elles depuis le voyage à Paris avait disparu. Dans ce petit logis, où tout ce qui était nécessaire et commode se trouvait dans une simplicité parfaite, Sylvaine ressentait une sensation de sécurité et de bien-être ; elle envia Nelly, et se demanda si celle-ci n’avait pas découvert la véritable voie, lui permettant de prendre part à la vie sans être trop meurtrie.
Nelly paraissait si affranchie du monde extérieur, si entièrement maîtresse de sa propre personne ! Il y avait cependant dans l’expression de son visage une sorte de sévérité triste que Sylvaine observa pour la première fois. Elle eut conscience d’une transformation mystérieuse dans la personne de Nelly, et en chercha la raison.
Pas une parole n’avait été échangée sur les événements du soir précédent, quand Nelly dit :
— Sylvaine, je vais vous laisser seule ; je tiens à avertir les Caulfield moi-même, et tout de suite. Je pense que vous préférez ne pas venir avec moi.
— Oh ! non, dit Sylvaine en frissonnant ; mais qu’allez-vous dire ?
— Ce qui est. Je pense à ce malheureux colonel Hurstmonceaux ; il faut qu’on aille le voir.
— Vous avez raison.
— Lisez, en mon absence ; occupez-vous. Tâchez de fortifier votre moral, ne vous abandonnez pas. A quoi cela sert-il ? Soyez une créature raisonnable, Sylvaine. On est dans la vie ; il faut la regarder en face, quelle qu’elle soit.
— Je tâcherai.
Lorsque Nelly fut partie, Sylvaine n’éprouva qu’un immense découragement. Déjà la scène de la veille lui paraissait presque un rêve : la calomnie ne touche vraiment les êtres purs que d’une façon réflexe ; on ne peut souffrir d’une maladie dont on n’est pas atteint… Sylvaine avait entendu avec horreur les mots de Mme Hurstmonceaux à Archie : Vous êtes son amant. Mais l’abominable accusation s’était à peine précisée à son imagination. La grossièreté de l’attaque, et surtout la terreur que lui avait causée la tentative d’Archie Elliot, l’avaient frappée plus comme une souffrance physique qu’une souffrance morale ; elle n’avait, à la vérité, nullement mesuré l’étendue du péril où elle s’était trouvée. Une fois qu’elle avait fui, une fois qu’elle se trouvait à l’abri, c’était fini : il ne lui semblait pas possible que qui que ce soit crût qu’elle avait joué le rôle que lui prêtait Mme Hurstmonceaux. Elle s’en irait, elle retournerait en France, dans un couvent, ou bien elle vivrait avec Pauline… Mais son oncle ? Peut-être son devoir lui ordonnait de se consacrer à lui ? Il l’avait aimée, défendue. Par un revirement, toute sa sollicitude se porta vers lui ; elle se reprocha d’y avoir si peu pensé.
Pendant ce temps, l’année avait commencé à Portman Square d’une façon tragique. Mme Hurstmonceaux, exaspérée par le départ d’Archie Elliot, qui lui avait déclaré qu’elle ne le verrait plus, était descendue à la première heure du matin chez son mari, et là, malgré les supplications de nurse Rice, avait déversé toute sa fureur.
— Oui, votre chère nièce, si pure, donnait des rendez-vous à Archie Elliot ; elle a passé huit jours à Paris avec lui… Je le prouverai, je le prouverai… Non, on ne me fera pas taire, je proclamerai partout ce qui en est… Ah ! vous m’avez épousée pour mon argent, et c’est pour avoir mon argent que vous l’avez fait venir, elle ! Mais elle n’aura rien, rien, entendez-vous ? Je consulterai mon solicitor… Tout Londres saura…
Elle n’avait pu finir sa phrase. Pour un instant la force était revenue au colonel Hurstmonceaux ; relevant sa tête blanche, les yeux hors de leurs orbites, il lui avait crié d’une voix formidable :
— Taisez-vous, femme…
Et, comme elle continuait, le vieil homme, s’emparant d’une carafe à sa portée, l’avait lancée à la volée ; le projectile alla frapper Mme Hurstmonceaux qui, atteinte au côté de la tête, trébucha et tomba, pendant que lui-même, repris par le mal qui le tenait, s’affaissait en proie à des convulsions…
A grand’peine on avait emporté Mme Hurstmonceaux hurlante et appelant la police à son secours. Ce fut une scène d’atroce confusion, où nurse Rice elle-même, vraiment saisie d’horreur, perdit son sang-froid ; le seul Boddle le garda ; par ses soins, le docteur fut appelé en hâte et Mme Caulfield prévenue que le colonel venait d’être frappé d’une nouvelle attaque.
Lorsque Nelly arriva vers onze heures à la tranquille petite maison de Chester Place, Kathleen lui apprit que sa mère avait été mandée auprès du colonel Hurstmonceaux, et, avec une indignation qui se contenait à peine, écouta à son tour le récit que lui fit Nelly.
— Mais cette créature mérite le fouet, mérite le pilori… Pauvre Sylvaine ! Nous n’aurions pas dû la laisser là… Oh ! Nelly, quelles choses on fait pour ce misérable argent !