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Le livre des visions et instructions de la bienheureuse Angèle de Foligno: Traduit par Ernest Hello avec avertissement de Georges Goyau, de l'Académie française

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CINQUANTE-DEUXIÈME CHAPITRE
LES SIGNES

Il est important de savoir à quels signes on peut connaître la présence de Dieu dans l’âme, et la reconnaître avec certitude.

Quelquefois il arrive sans être appelé, ni prié, et apporte avec lui un feu, un amour, une suavité inconnus. Dans ce feu l’âme cueille la joie, et croit reconnaître la présence et l’opération de Dieu ; mais la certitude lui manque encore. L’âme voit que Dieu est en elle, bien qu’elle ne l’y voie pas, quand elle sent sa grâce et la joie de sa grâce. Mais rien de tout cela n’est la certitude. L’âme sent l’arrivée de Dieu quand elle entend de douces paroles portant avec elles leur délectation, quand elle sent la Divinité par un attouchement délicieux ; mais un doute peut rester encore, un léger doute. L’âme ne sait pas encore parfaitement et absolument si Dieu est en elle ; car un autre esprit peut apporter avec lui ces sentiments. Le doute vient ou des défauts de l’âme, ou de la volonté de Dieu, qui lui refuse la certitude.

L’âme possède la certitude de Dieu présent quand il se manifeste par un sentiment absolument inconnu, nouveau pour elle, étonnant et réitéré, par un feu qui arrache l’amour que l’homme a pour lui-même ; l’âme possède la certitude quand elle reçoit des pensées et des paroles et des conceptions qui ne viennent d’aucune créature, quand ces conceptions sont illustrées de lumière, quand elle a de la peine à les cacher, quand elle les cache de peur de blesser l’amour, quand elle les cache par discrétion, par humilité, et pour ne pas divulguer un secret trop immense.

Il m’est arrivé quelquefois ; portée par une ardeur qui voulait sauver, il m’est arrivé de dire quelques secrets ; on me répondait : « Ma sœur, revenez à la sainte Ecriture » ; ou : « Nous ne vous comprenons pas. » Je comprenais la leçon, et rentrais dans le silence.

Dans le sentiment dont je parle et qui garantit la présence du Dieu tout-puissant, l’âme reçoit le don de vouloir parfaitement. Elle est tout entière d’accord avec elle-même pour vouloir la vérité vraiment et absolument, en toutes choses et à tous les points de vue, et tous les membres du corps concordent avec elle et ne font plus qu’un avec elle, dans la même vérité voulue, sans résistance et sans restriction. L’âme veut parfaitement les choses de Dieu qu’elle ne voulait pas auparavant, dans toute la plénitude de toutes ses puissances réunies. Le don de vouloir absolument et parfaitement est conféré par une grâce où l’âme sent la présence du Dieu tout-puissant, qui lui dit : « C’est moi, ne crains pas. » L’âme reçoit le don de vouloir Dieu et les choses de Dieu d’une volonté qui ressemble à l’amour absolument vrai dont Dieu nous a aimés ; et l’âme sent que le Dieu immense s’est immiscé en elle et lui tient compagnie.

Quand le Dieu très haut visite l’âme raisonnable, l’âme reçoit quelquefois le don de le voir ; elle le perçoit au fond d’elle, sans forme corporelle, mais plus clairement qu’un homme ne voit un homme. Les yeux de l’âme voient une plénitude spirituelle, sans corps, de laquelle il est impossible de rien dire, parce que les paroles et l’imagination font défaut.

Dans cette vue l’âme, délectée d’une délectation ineffable, est tendue tout entière sur un même point, et elle est remplie d’une plénitude inestimable. Cette vue par laquelle l’âme voit le Dieu tout-puissant sans pouvoir regarder autre chose est si profonde, que je regrette le silence auquel me réduit l’abîme. La chose ne peut être ni touchée, ni imaginée ; elle ne peut pas non plus être appréciée. La présence de Dieu a d’autres signes, et je vais en citer deux.

Le premier est une onction qui renouvelle subitement l’âme, qui rend le corps docile et doux, l’esprit invulnérable à la créature, et inaccessible au trouble. L’âme sent et écoute les paroles que Dieu lui dit. Dans cette immense et ineffable onction, l’âme reçoit la certitude que vraiment le Seigneur est là : car il n’y a ni saint ni ange qui puisse faire ce qui est fait en elle. Elles sont tellement ineffables, ces opérations, que j’éprouve une vraie douleur de ne rien dire qui soit digne d’elles. Que Dieu me pardonne, car ne n’est pas ma faute ; je manifesterais de tout mon cœur quelque chose de sa bonté, si je pouvais et s’il voulait.

Quant à l’autre opération qui révèle à l’âme raisonnable la présence du Dieu tout-puissant, la voici : c’est un embrassement. Dieu embrasse l’âme raisonnable comme jamais père ni mère n’a embrassé un enfant, comme jamais créature n’a embrassé une créature. Indicible est l’embrassement par lequel Jésus-Christ serre contre lui l’âme raisonnable ; indicible est cette douceur, cette suavité. Il n’est pas un homme au monde, qui puisse dire ce secret, ni le raconter, ni le croire, et quand quelqu’un pourrait croire quelque chose du mystère, il se tromperait sur le mode. Jésus apporte dans l’âme un amour très suave par lequel elle brûle tout entière en lui ; il apporte une lumière tellement immense, que l’homme, quoiqu’il éprouve en lui la plénitude immense de la bonté du Dieu tout-puissant, en conçoit encore infiniment plus qu’il n’en éprouve. Alors l’âme a la preuve et la certitude que Jésus-Christ habite en elle. Mais qu’est-ce que tout ce que je dis auprès de la réalité ? L’âme n’a plus ni larmes de joie, ni larmes de douleur, ni larmes d’aucune espèce la région où l’on pleure de joie est une région bien inférieure à celle-ci. Au-dessus de toute plénitude et de toute joie, Dieu apporte en lui la chose qui n’a pas de nom, qui serait le paradis, et qui défie le désir de demander au-delà d’elle. Cette joie rejaillit sur le corps, et toute injure qu’on vous dit ou qu’on vous fait est non avenue ou changée en douceur.

Les contre coups que je reçois dans le corps trahissent mes secrets ; ils les livrent à ma compagne ou à d’autres personnes. « Quelquefois, dit ma compagne, je deviens éclatante et resplendissante ; mes yeux brillent comme des flambeaux, ou bien je suis pâle comme une morte, suivant la nature des visions. Cette joie dure, sans s’épuiser, bien des jours. J’en ai d’autres qui dureront éternellement : l’éternité ne les changera pas ; elle leur donnera plénitude et perfection. Mais je les ai déjà, je les ai sur la terre. S’il survient quelque tristesse, le souvenir de ces joies me défend contre le trouble. » Enfin tant de signes peuvent donner à l’âme la certitude de Dieu possédé, que je ne puis ni les dire, ni les énumérer tous.

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