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Le livre des visions et instructions de la bienheureuse Angèle de Foligno: Traduit par Ernest Hello avec avertissement de Georges Goyau, de l'Académie française

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CINQUANTE-TROISIÈME CHAPITRE
L’HOSPITALITÉ

Nous venons de dire comment l’âme reconnaît en elle la présence de Dieu. Mais nous n’avons rien dit de l’accueil qu’elle lui fait, et tout ce qui précède est peu de chose auprès de l’instant où l’âme reconnaît Dieu pour son hôte.

Quand l’âme a donné l’hospitalité à l’étranger qui vient en elle, elle entre dans une si profonde connaissance de l’infinie bonté du Seigneur, que, souvent recueillie au fond de moi, j’ai connu avec certitude que plus on a le sentiment de Dieu, moins on peut parler de lui. Plus on a le sentiment de l’infini et de l’indicible, plus on manque de paroles ; car auprès de ce qu’on veut rendre, les mots font pitié.

Si un prédicateur était introduit là, s’il sentait ce que j’ai quelquefois senti, ses lèvres se fermeraient ; il n’oserait plus parler, il se tairait, il deviendrait muet. Dieu est trop au-dessus de l’intelligence et de toute chose ; il est trop au-dessus du domaine des paroles, des pensées et des calculs, pour que la bouche essaie d’expliquer parfaitement les mystères de sa bonté. Ce n’est pas que l’âme ait quitté le corps, ou que le corps soit privé de ses sens, mais c’est que l’âme perçoit sans leur secours. L’homme, à force de voir l’ineffable, arrive à la stupeur, et si un prédicateur, au moment de parler, entrait dans cet état, il dirait au peuple « Allez-vous-en, car je suis incapable de parler de Dieu je suis insuffisant. » Quant à moi, je sens et j’affirme que toutes les paroles sorties de la bouche des hommes depuis le commencement des siècles, et que les paroles de l’Ecriture sainte n’ont pas touché la moelle de la bonté divine, et ne sont pas, devant cette bonté, ce qu’est un grain de millet devant la grosseur de l’univers. Quand l’âme reçoit la sécurité de Dieu et est récréée par sa présence, le corps, rassasié aussi, est revêtu d’une certaine noblesse, et partage, quoique à moindre degré, la joie de l’âme. La raison et l’âme, parlant au corps restauré et aux sens, leur disent :

« Voyez quels sont les biens que Dieu vous fait par moi. Infiniment plus grands sont ceux qui sont promis et seront donnés si vous m’obéissez ; et maintenant comprenez quelle perte nous avons faite, vous et moi, quand vous m’avez désobéi. Obéis-moi donc désormais quand je te parlerai des choses de Dieu. »

Alors le corps et les sens, sentant qu’ils partagent la délectation divine de l’âme, se soumettent et lui disent :

« Mes plaisirs venaient d’en bas parce que je suis le corps ; mais toi qui possèdes ces immenses capacités de joie et de gloire, tu ne devais pas te faire mon esclave : tu ne devais pas te priver et me priver des biens immenses que j’ignorais. » Le corps se plaint de l’âme, et la sensualité de la raison ; mais cette longue plainte ne manque pas de douceur. Car le corps sent le plaisir et la délectation de l’âme bien supérieurs à tout ce qu’il aurait pu soupçonner, et la joie le conduit à l’obéissance.

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