Le livre des visions et instructions de la bienheureuse Angèle de Foligno: Traduit par Ernest Hello avec avertissement de Georges Goyau, de l'Académie française
PROLOGUE DU FRÈRE ARNAUD
De peur que l’enflure de la sagesse du monde ne reçût pas du Dieu éternel la confusion qu’elle mérite, le Seigneur a suscité une femme habituée aux choses du siècle, liée par les obligations du monde, qui avait un mari, des enfants, une fortune ; une femme simple, dépourvue de science et de force ; mais qui, ayant reçu et accepté au fond d’elle-même, avec la croix de Jésus-Christ, la puissance infuse de Dieu, brisa les liens du monde, gravit le sommet de la perfection évangélique, renouvela dans sa plénitude absolue la folie de la croix, sagesse des parfaits, et montra, dans la voie abandonnée du bon Jésus, dans cette voie déclarée impossible et insupportable par la parole et l’exemple de quiconque fait le grand personnage, montra, disais-je, non pas seulement une vie possible, non pas seulement une vie facile, mais les délices inouïes, les délices de la hauteur.
O Sagesse divine et parfaite, comme vous avez révélé dans votre servante la folie de toute sagesse humaine ! Vous avez opposé aux hommes une femme, aux enflés une humble, aux habiles une simple, aux savants une ignorante, aux hypocrites qui s’admirent une créature qui se méprise, aux langues pleines de paroles, aux mains vides d’actions, le silence des lèvres et l’activité dévorante, brûlante, stupéfiante de la vie ! Et la sagesse de la chaleur a été confrontée avec la sagesse de l’esprit, qui est la science de Jésus, et de Jésus crucifié ! Dans une femme forte, Dieu a manifesté sa lumière, qui était enterrée, comme dans un sépulcre de chair humaine, sous l’aveuglement des théoriciens.
Enfants de notre mère sacrée, prenez garde au respect humain ! Apprenez de notre Angèle, apprenez de notre ange, apprenez de l’Ange du grand conseil, la voix de la magnificence et la sagesse de la croix ! Apprenez la pauvreté, les douleurs, les opprobres et l’obéissance de Jésus ; apprenez Jésus-Christ, apprenez sa Mère, et quand vous aurez appris, enseignez cette science aux hommes, enseignez-la aux femmes, enseignez-la à toute créature dans le langage des actes réels, effectifs et puissants ! Et pour que la gloire de votre vocation, enfants de la haute science, apparaisse à vos yeux, sachez, mes biens-aimés, que celle qui nous a enseigné Dieu a fait ce qu’elle a enseigné. Souvenez-vous, mes biens-aimés, que les apôtres ont appris d’une femme la vie mortelle du Sauveur, et d’une femme sa résurrection.
Ainsi, cher fils de notre mère sacrée, venez apprendre avec moi la loi possédée, la loi prêchée par saint François d’Assise et ses compagnons, la loi immortalisée par la pratique d’Angèle.
Il n’est pas dans l’ordre ordinaire de la Providence qu’une femme enseigne et confonde la grossièreté des savants. Mais saint Jérôme, parlant de la prophétesse Olda, vers qui se faisait le concours des peuples, dit que, pour confondre la fierté de l’homme et la science prévaricatrice, le Seigneur a transporté sur la tête d’une femme le don de prophétie.
Frère ARNAUD