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Le livre des visions et instructions de la bienheureuse Angèle de Foligno: Traduit par Ernest Hello avec avertissement de Georges Goyau, de l'Académie française

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SOIXANTE-CINQUIÈME CHAPITRE
LES VOIES DE L’AMOUR

La route qui mène à cet amour est la lecture du livre de vie, et il n’y en a pas d’autre. O mes enfants chéris, que notre amour soit parfait ! Que notre transformation soit entière ! car il est tout amour, cet Homme-Dieu, ce Dieu incréé, ce Dieu incarné ; il nous aime tout entier, il veut que tout entier nous l’aimions. Il veut que Lui, et nous par l’amour, nous fassions un. J’appelle enfants de l’Esprit ceux qui, par la grâce de la charité, vivent en Dieu, dans la perfection de l’amour transformé. Nous sommes tous fils de Dieu par la création, mais ceux-là sont les vases de l’élection et les fils de l’Esprit, en qui Dieu a posé son amour, et dans lesquels il se repose, attiré par sa propre ressemblance. C’est sa grâce et son amour qui a formé son image dans l’âme. J’appelle parfait celui qui a transformé sa vie en la ressemblance de l’Homme-Dieu.

Or, sachez que Dieu, noble par nature, nous demande notre cœur tout entier et non la moitié de notre cœur ; il le veut sans intermédiaire, sans partage, sans contestation. On dirait que Dieu fait la cour à l’âme humaine. Si elle se donne toute, il prend tout ; si elle se donne à moitié, il la reçoit à moitié ; mais c’est la première de ces deux choses qui fait sa joie ; car l’amour parfait est un amour jaloux. L’Epoux, dans son amour, ne peut souffrir chez l’Epouse l’ombre d’un partage, ni en public, ni en secret. Or, notre Dieu est un Dieu jaloux. Je sais, du reste, je sais parfaitement que s’il existait un homme qui eût goûté l’amour de Jésus crucifié, de Jésus souverain bien, cet homme-là ne s’arracherait pas seulement aux créatures, il s’arracherait à lui-même pour se donner plus absolument, et que toutes les puissances n’en feraient plus qu’une pour le transformer tout entier en Celui qui est notre Sauveur et notre amour, Jésus-Christ, Jésus-Christ !

Si l’âme veut se dégager et s’élever vers la perfection de l’amour qui se donne tout entier, qui se consacre non pas seulement en vue de la récompense temporelle ou éternelle, mais aussi en vue de l’être de Dieu, qui est la Bonté par essence, la Bonté digne de l’amour ; l’âme, dis-je, doit marcher dans la voie droite, marcher dans la voie de l’ordre, avec les pieds brûlants de l’amour.

Le premier pas qu’elle doit faire dans cette voie, c’est de connaître Dieu en vérité, non pas par la surface, par le dehors, par la science des livres. Il faut connaître profondément. Car l’homme aime, comme l’homme connaît. Si notre connaissance est bornée, vague, superficielle, si nous pensons à Dieu, comme quelqu’un qui s’acquitte de sa fonction, notre amour sera misérable. Relisez ce que j’ai déjà dit sur ce sujet.

Mais l’amour a des propriétés et des signes qui permettent de le reconnaître.

Première propriété. L’amour transforme l’un en l’autre, quant à la volonté.

Or, la volonté du Christ est, ce me semble, la vie dont il a donné l’exemple, vie pleine de pauvreté, de mépris, d’obéissance et de douleur ; l’exercice de ces choses est un rempart contre le mal et contre la tentation.

Seconde propriété. L’amour transforme l’un dans l’autre, quant aux qualités constitutives de l’Etre. Je n’en citerai que trois : L’amour s’incline vers les créatures, suivant les lois de l’universelle harmonie. L’amour est humble et doux. L’amour est immuable. Plus l’âme est voisine de Dieu, plus elle est inaccessible au changement. La honte consiste à être ébranlé par quelque chose de petit ; c’est là que nous sentons notre misère.

La troisième qualité de l’amour est la transformation parfaite de l’âme en Dieu. Alors elle est inaccessible aux tentations ; car elle ne réside plus en elle, mais en Lui.

Quand nous revenons à notre misère, défions-nous de toute créature, défions-nous de nous-mêmes ; je vous en supplie, restez en possession de vos âmes, ne vous donnez à aucune créature ; mais gardez-vous pour Celui qui a dit « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de tout votre esprit, de toute votre âme et de toutes vos forces. »

Voici quelques-uns des signes de l’amour. D’abord la soumission de la volonté.

Ensuite l’exclusion absolue de toute amitié contraire ; fallût-il quitter père, mère, frère, sœur, et tout ce qui ferait obstacle à la volonté de l’amour.

Puis l’amour porte en lui une force révélatrice des secrets qui oblige à montrer le fond de soi ; ce troisième signe me paraît capital. Il est le complément nécessaire des actes de l’amour.

Enfin l’amour possède un désir d’assimilation qui fait chérir la pauvreté, si le Bien-Aimé est pauvre ; le mépris, s’il est méprisé : l’amour veut partager les douleurs. Il ne semble pas qu’entre le riche et le pauvre, entre l’homme des douleurs et l’homme des délices, l’amitié puisse ne rien laisser à désirer : la distance des conditions est en général un obstacle au partage de la vie.

Or, l’amour n’est pas seulement une force d’assimilation, mais une force d’unité qui fait partout des semblables.

Jésus-Christ, l’éternel amour, a réuni ces signes. Il s’est soumis à la volonté de l’homme, et Lui, qui d’un signe eût pu tout écraser, il a obéi jusqu’à la mort. Il a renoncé à sa mère et à sa chair, se livrant à la mort et les quittant sur la croix. Il nous a dit ses secrets : « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs ; car le serviteur ne sait ce que fait son maître ; je vous ai appelés amis. » Il s’est rendu semblable à l’homme, la faute exceptée. Il a été vraiment homme et vraiment mortel. Imitons-le pour ne pas faire injure à l’amour de ses entrailles. Cherchons-le comme il nous a cherchés. Imitons-le comme il nous a imités. Si un seul homme faisait toutes les pénitences du monde réuni, ce serait trop peu pour reconnaître une seule goutte de la sueur du Christ, ou pour mériter la moindre des joies du paradis, ou pour expier le moindre des péchés mortels, ou pour offrir seulement à Dieu la satisfaction de la créature. Aussi chacun devrait s’efforcer de faire pénitence en secret, dans la mesure convenable, et de désirer ce qu’il ne peut pas faire, et même de faire pénitence publiquement, pourvu que ce ne soit pas pour chercher les regards ; car s’abstenir du bien par crainte d’être vu, c’est tiédeur et lâcheté. Le Maître a donné l’exemple. Il a fait beaucoup de choses qui n’ont été ni écrites, ni connues ; mais il n’a pas négligé les actes publics par respect humain. Si la pénitence nous paraît dure, la patience ne pourrait-elle nous être agréable dans ces sortes d’afflictions, qui de la part de Dieu, sont des signes d’amour ? Ne pourrions-nous faire, de nécessité, vertu ?

Ce que le Père a donné au Fils, souvent le Fils le donne aux siens. Dieu le Père a choisi pour son Fils la pauvreté et la douleur, l’angoisse du dedans, l’angoisse du dehors, une amertume au-dessus des paroles et au-dessus des pensées. C’est pourquoi plusieurs reçoivent la tribulation non pas seulement avec patience, mais avec joie, comme un signe d’amitié et comme les arrhes d’un héritage. Dans vos douleurs, contemplez celles du Fils de Dieu, et cette vue sera votre remède. La tribulation produit quelquefois d’excellents effets que nous ignorons. Quelquefois elle tourne l’homme vers Dieu et le fait adhérer à lui. Quelquefois elle le fait grandir, semblable à la pluie qui féconde la terre. Quelquefois elle lui donne la force, la pureté et la paix. Ce genre de tribulation est précieux, sa valeur nous est inconnue, et je porte envie à ceux qui l’éprouvent. Si nous savions son prix, nous nous la disputerions : chacun arracherait à son voisin les moyens de se la procurer. Je souhaite que vous soyez toujours consolés sous le fardeau de cette vie par Celui qui est la lumière et la joie des affligés. Qu’à Lui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

Connaissance de Dieu, connaissance de soi-même, voilà la perfection de l’homme. Cette double vue produit grâce sur grâce, lumière sur lumière, vision sur vision. Plus grandira votre connaissance de Dieu, plus grandira votre amour, et avec lui votre force d’action. Votre pratique sera la preuve et la mesure de votre amour ; ordinairement l’amour cherche la ressemblance du Bien-Aimé dans l’action et la passion. Le Christ a supporté la pauvreté, le mépris et la douleur. Le choix de la sagesse révèle la valeur des choses.

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