Le livre des visions et instructions de la bienheureuse Angèle de Foligno: Traduit par Ernest Hello avec avertissement de Georges Goyau, de l'Académie française
CINQUANTE-QUATRIÈME CHAPITRE
LES ILLUSIONS
Mais ceux qui mènent une vie spirituelle peuvent quelquefois tomber dans l’illusion. Une des causes d’erreur, et la plus grande, c’est un amour impurs mêlé d’amour-propre et de volonté propre ; cet amour a, dans une certaine mesure, l’esprit du monde.
Aussi le monde l’approuve et l’encourage. Cette approbation est un piège, cet encouragement est un mensonge. Dans cet état, l’homme, que le monde voit et approuve, semble brûler d’amour ; il a certaines larmes, certaines douceurs, certains tremblements et certains cris qui portent les caractères de l’impureté spirituelle. Mais ces larmes et ces douceurs, au lieu de venir du fond de l’âme, sont des phénomènes qui se passent dans le corps ; cet amour ne pénètre pas dans le cœur ; cette douceur s’évanouit rapidement, s’oublie facilement, et produit l’amertume. J’ai fait ces expériences ; je manquais alors de discernement. Je n’étais pas parvenue à la possession certaine de la vérité.
Quand l’amour est parfait, l’âme, après avoir senti Dieu, sent sa part propre, qui est le néant et la mort : elle se présente avec sa mort, avec sa pourriture ; elle s’humilie, elle adore, elle oublie toute louange ou tout bien qui revienne à elle-même ; elle a une telle conscience de ses vides et de ses maux qu’elle sent sa délivrance entière au-dessus de la puissance des saints, et réservée à Dieu seul. Elle appelle cependant les saints à son secours ; car du fond de son abîme elle n’ose parler à Dieu : elle invoque la Vierge et les saints. Si dans cet état on vous adresse une louange, la chose vous fait l’effet d’une mauvaise plaisanterie. Cet amour droit et sans mélange éclaire l’âme sur ses défauts en même temps que sur la bonté de Dieu. Les larmes et les douceurs qui se produisent alors, au lieu d’engendrer l’amertume, engendrent la joie et la sécurité. Cet amour introduit Jésus-Christ dans l’âme, et l’absence de toute illusion devient pour elle alors un fait d’expérience.
Voici une autre illusion où Dieu permet quelquefois que tombent les âmes intérieures.
Quand une personne dévouée à l’Esprit sent l’amour de Dieu pour elle, éprouve, fait et raconte les œuvres de l’Esprit, si elle passe la mesure de la prudence, si cette âme perd la crainte, Dieu permet qu’elle tombe dans quelque illusion, afin de connaître qui elle est, et qui il est.
Voici encore une cause d’erreur.
Une âme est dans la voie de l’amour sans mélange ; elle sent Dieu ; ses mains sont pures, son cœur est pur ; elle renonce à l’estime du siècle elle renonce à passer pour sainte ; elle veut plaire tout entière au Christ seul ; elle se place tout entière dans le Christ, elle habite en lui elle éprouve la joie inénarrable, elle sent l’embrassement de Dieu.
Oh ! qu’elle rende alors à elle-même ce qui est à elle-même, et à Dieu ce qui est à Dieu Autrement Dieu permet qu’elle se trompe, il le permet pour la garder, il le permet pour qu’elle ne lui échappe pas ; car il l’aime d’un amour jaloux ; il la plonge dans un abîme où elle trouve deux sciences, la science d’elle-même et la science de Dieu ; c’est ici qu’il n’y a plus de place pour l’erreur ; l’âme voit la vérité pure. Dans cette contemplation, elle éprouve une plénitude telle, qu’elle ne se voit pas capable d’un plus immense ravissement. Absorbée d’abord dans la vue d’elle-même, elle se ferme à toute autre pensée, à tout autre souvenir.
Tout à coup la bonté divine lui apparaît. Puis elle voit simultanément les deux abîmes, et le mode de sa vision est un secret entre elle et Dieu.
Mais ce n’est pas tout. Dieu, qui est jaloux, lui permet encore les tribulations.