Les angoysses douloureuses qui procedent damours
La
jalousie du mary avec la description
d’une femme laide.
Chapitre. VI.
Quand le SOLEIL matutin eust rendu le jour cler, il s’esveilla & me print entre ses bras, pour me penser resjouyr & retirer a son amour, mais il estoyt merveilleusement abusé, car mon cueur avoit desja faict divorce & repudiation totale d’avecq luy, parquoy tous ses faictz me commencerent a desplaire, & n’eust esté contraincte, je n’eusse couché avecq luy, mais pour couvrir & donner umbre a mon unicque vouloyr, me convenoit user de dissimulation, monstrant semblant de me vouloyr reduyre & remettre es termes de raison, en quoy mon mary avoit esperance : pour ce jour ne me vouluz lever, & feiz fermer les fenestres, ne desirant que d’estre solitaire, & en lieux taciturnes, comme font gens contritz inconsolablement, parce qu’il m’estoit prohibé & deffendu de me trouver en lieux ou fut mon amy, & encores mon ingrate fortune permist que mon mary (ce jour mesmes) s’enquist a plusieurs des voysins que signifioyent telz & semblables jeux, que journellement on continuoyt de sonner devant nostre maison. Il luy fut respondu, n’estre la coustume s’il n’y avoyt fille a marier, & incontinent la response ouie, s’en vint a nostre hoste qui estoit homme rusticque, & de rude & obnubilé esperit, auquel il dict. Mon hoste, n’avez vous ouy ces jours precedentz par plusieurs & diverses foys, la grand melodie des joueurs de fleutes, dont on joue devant vostre maison ? Je vous asseure que selon ma conception je presuppose que c’est quelqu’ung qui est espris de l’amour de vostre femme ou de la mienne. A ces motz respondit l’hoste, Monsieur, je m’esbahys qui vous meult, ny a quel propoz vous dictes telles parolles, car j’estime ma femme aussi bonne & chaste que femme de la ville, & en ce disant s’eschaulfoyt, monstrant par signes evidentz qu’il estoit oultrageusement irrité, qui estoit manifeste demonstrance de son petit & rural entendement, parce que sa femme estoyt layde & odieuse, & de sa deformité & laydeur je vous en veulx faire le recit : Elle estoyt de petite stature, bossue & boyteuse, & si avoit le visaige fort ridé, les sourcylz larges de deulx doygs, sans y avoir distance de l’un a l’aultre, elle avoyt les yeulx petitz & noyrs, merveilleusement enfoncez en la teste, & le nez fort camus, la bouche oultrageusement grande, & les lebvres grosses, & si n’avoyt seulement que deux dentz grandz oultre mesure, & avoit le col court, & les tetins luy reposoient sur le ventre, & si estoit aagee de soixante & douze ans. Parquoy toutes ces choses considerees, je pense & a bon droict, qu’elle eust esté refusee & chassee de tous hommes. Ainsi que mon mary se delectoyt (en escoutant les propos de l’hoste,) l’une de mes damoyselles estoit presente, laquelle incontinent me vint reciter le tout, mais combien que fusse fort marrie & destituee de tous plaisirs, je ne me peulx garder de rire, en considerant la follie de l’hoste, & comme j’en tenoys propos mon mary survint, lequel me demanda comment je me portoye, & me deist. M’amye, je vous prie que delaissez voz pleurs & gemissemens, & reduysez vostre cueur en consolee liesse. Quant a moy, je ne vous presteray matiere, ny occasion de melencolie. Il est demain le jour d’une feste solennelle, parquoy je veulx & vous commande que vous accoustrez triumphamment, affin que vous assistez au temple avecq moy, car doresnavant ne vous sera permis de sortir de la maison sinon en ma compaignie, car je veulx veoyr quelle contenance sera la vostre en ma presence, parce que je suis certain, que vostre amy se y trouvera. Tel propos me tenoyt mon mary, auquel ne feiz aulcune responce, mais tins silence, nonobstant que tacitement grand joye & hilarité m’estoyt irrigee, emanee, ou exhibee au moien de l’esperance future de la veue de mon amy, & pour le fervent desir que j’avoye, la nuyct me sembla de grande duree.
Mais quand Proserpine commença a cheminer en la maison du chien tricipite, & Phœbus son chair au zodiac accomodoyt, sur lequel (icelluy Phœbus monté) portoit en son chef son dyademe tout couvert de resplendissantz & lucides rais pour illustrer & esclarcir l’universel monde, Je me levay subitement, & commençay a m’appareiller, je vestis une cotte de satin blanc, & une robbe de satin cramoisy, j’aornay mon chef de belles brodures, & riches pierres precieuses, & quand je fuz accoustree, je commençay a me pourmener, en me mirant en mes sumptueulx habillemens, comme le pan en ses belles plumes, pensant plaire aux aultres comme a moymesmes, & ce pendent mon mary se habilloit, lequel prenoit singulier plaisir en me voyant, & me dict qu’il estoit temps d’aller, & en ce disant, sortasmes de la chambre en la compaignie de mes damoyselles, je cheminoye lentement, tenant gravité honneste, tout le monde jectoit son regard sur moy, en disant les ungz aux aultres, voyez la, la creature excedant & oultrepassant toutes aultres en formosité de corps. Et apres qu’ilz m’avoyent regardee, ilz alloyent appeller les aultres, les faisant saillir de leurs domicilles, afin qu’ilz me veissent. S’estoyt une chose admirable de veoyr le peuple qui s’assembloyt entour moy, & quand je feuz parvenue jusques au temple, plusieurs jeunes hommes venoyent en circuyt tout a l’entour de moy, me monstrant semblant amoureux, par doulx & attrayantz regardz tirez du coing de l’œil, pour essayer de me divertir & decepvoyr, mais je ne m’en soucioye aulcunement, Car toutes mes pensees estoyent accumulees en ung seul. Je regardoye en plusieurs et divers lieux, mais je ne veoye celuy qui estoit le singulier plaisir de ma veue, et ne vint jusques a ce que le service divin fut commencé, et luy venu, il ne usa des regardz accoustumez, mais ne feist seulement que passer devant moy, Je ymaginoye que c’estoyt pource que mon mary estoit present, pour eviter de luy donner suspition, parquoy je feuz contente. Et quand l’office solennel fut finé, nous partismes pour venir au logis, et passasmes le temps en recreation et voluptueulx plaisirs, jusques a ce que retournasmes pour ouyr vespres, ou mon amy ne faillit de se trouver, lequel (a ceste foys) ne usa de discretion, parce que a la presence de mon mary donnoyt evidente demonstrance de son affection, par ses regardz amoureux, & doulx attraictz, en perseverant de me monstrer a sez compaignons, combien qu’il n’eust encores parlé a moy, & quand je veoye son inconstance, je regardoye d’ung regard doulx & simple, affin de luy monstrer & exhiber par signes, que par sa contenance il causoyt une grande doleance en mon cueur : mais pour ce, ne differa ses importunitez, car il venoyt passer si pres de moy qu’il marchoit sur ma cotte de satin blanc, j’estoye fort curieuse en habillemens : c’estoit la chose ou je prenoye singulier plaisir : mais non obstant cela il ne m’en desplaisoit, mais au contraire voluntairement & de bon cueur j’eusse baisé le lieu ou son pied avoit touché : mon mary veoit le tout, lequel par fascherie fut contrainct soy absenter, dont contre mon vouloyr, & pour eviter occasion de noyse je le suyvis, et incontinent que feusmes en la maison il me deist. Je m’esbahys de vostre amy, lequel n’a sceu dissimuler son amoureuse follye en ma presence, il luy procede de grande presumption de venir marcher sur vostre cotte, il semble par cela qu’il eust grand privaulté et familiarité avecq vous. Doncques pour eviter de m’engendrer plus de passions et fascheries, que mon triste cueur ne sçauroit porter, je vous prohibe et deffendz de vous trouver en lieu ou il soyt en mon absence, et oultre plus quand je seroye present, et feust a l’eslevation du corps de Jesuchrist, je veulz que incontinent que vous le pourrez apercevoyr, que sans dilation vous absentez : et sy vous n’observez ce mien commandement, j’ay ferme propos et deliberation de me separer de vous : vous avez du bien de par vous, terres et seigneuries plus que je n’en ay, lequel je ne vous veulx retenir. Car je ne vouldroye aulcunement prouffiter du bien d’une femme lascive. Et quand il eust ce dict, je luy respondis, que j’accompliroye son commandement, et qu’il n’en fut perplex ne doubteux, sy je ne luy en donnoye l’occasion : et a l’heure il se contenta adjoustant foy a mon dire, et n’en fut non plus parlé jusques au lendemain que me vouluz lever et accoustrer d’habillementz riches & sumptueux : ce que mon mary ne voulut permettre, et pour luy complaire feuz contente de me habiller plus simplement, & quand je fuz appareillee, nous nous transportasmes au temple ou je trouvay mon amy, lequel persevera ses importunitez, en sorte que je fuz contraincte de changer trois foys de lieu, mais tousjours il me suyvoit, en tenant propos de moy a ses compaignons, & par conjecture je pense qu’il parloit de mon mary, lequel continuellement estoit avecq moy, car j’entendis l’ung de ses compaignons qui luy disoit, que parce qu’il pouvoit comprendre en regardant ma face, qui me demonstroit si anxieuse, qu’il y avoit de la suspition : & quand mon amy ouyt ces motz, il commença a rire, & voyant cela, & aussi memorative du commandement de mon mary, je m’absenté, pensant que quelque foys trouveroys lieu plus commode & opportun pour exprimer l’ung a l’aultre les secretz de noz pensees.