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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Feste nuptiale & fruition d’amours.
Chapitre. XI.

Venue l’heure que Phebus manda ses chevaulx aux frains dorez, hors de son altissime maison, la trompette de Neptune l’oceant en son lieu revocqua, & petit de temps apres les princes & chevaliers se leverent du paresseux sommeil : Car a ce les incitoient les oysillonetz armonians & jubilans de leurs joyeuses gorgettes : Et quand ilz furent tous triumphamment appareillez, se transmigrerent au logis du Duc de Foucquerolles, lequel ilz trouverent richement accoustré d’une robbe de pourpre battue en or, & fourree de armines, ainsi partit de son logis avec la noble compaignie : d’aultre part sa future espouse fut honnorablement accompaignee de dames de souveraine beaulté, & noblement aornees. La pucelle fut paree d’une robbe de couleur azuree, bordee de subtilles ouvraiges faictes a l’esguille, & garnie par grand prodigalité de grosses perles orientalles, sur son chef avoit une riche couronne de plusieurs dyamans, rubis, baillaitz, escharboucles, saphirs, esmerauldes, topaces, & chrisolittes, tellement que tout entour elle avoit une grande splendeur : & bien autant resplendissoit en venusté, beaulté, grace & faconde, tellement que par le regard de ses yeulx vers & estincellans eust peu attraire ung cueur adamantin, & le subjuguer a l’empire de Cupido. En tresbelle ordre se partit la noble compaignie, & eulx parvenus au temple en observant telles cerimonies, que les anticques avoient de coustume, furent solennellement espousez : puis apres retournerent en pareille ordre qu’ilz estoient venuz. Et eulx reduictz en une spacieuse & bien aornee salle, en laquelle se preparoit le plantureux bancquet nuptial, ou se trouvoit plus de sortes de viandes, que ne eut jadis aux nopces de Piritous, & de la belle ypodame. La refection prinse, commença le son des harpes & instrumens de musicque, desquelz je ne ose dire qu’ilz excedoient l’armonieux son de la lire de Apollo, comme timide de succumber au dangier de Marsias. Plusieurs jeunes chevaliers me persuadoient de dancer (ce que par leurs stimulations me convenoit faire) combien que mon anxieulx & triste cueur ne fut pas conforme a tel soulas. Mais pour me demonstrer courtoys & de honneste civilité, soubz semblant de joyeuse face me convenoit dissimuler l’insupportable douleur intrinseque, qui cruellement me molestoit. Helas trop se peuvent attedier & envoyer les corps delicatz, quand ilz sont privez de la veue de leurs amours. Las quand par aulcuns jeuz ou esbatemens on les pense letifier, l’on est occasion de augmenter leurs anxietez : Car au douloureux feu est mortel accident, de l’eaue ne peult on trouver refrigeration, par semblables delices qui seullement sont aptes a alleger les maladies corporelles. Estant donc en tel lieu ou chascun entendoit a solacieulx plaisirs, les ungs a dancer, les aultres se alloient poser aupres des belles dames, pour contempler & les entretenir d’amoureusez devises : aulcuns des princes se armerent pour aller jouster, le nouveau marié ne y voulut assister, comme celluy qui trop plus desiroit la jouste nocturne. Venue l’heure du souper, qui ne fut moins opulent que joyeulx, avec soefz & modestes parlemens, tous se delecterent jusques a l’heure qu’il fut temps de coucher. Et lors la royne de Boetie, & d’aultres jeunes dames conduyrent l’espousee en sa chambre, ou elle fut couchee, & tost apres survint le duc auquel le jour avoit esté ennuyeulx, pour l’aspirant desir qu’il avoit de avoir la fruition d’amour : & pour ce assez promptement se feist desabiller, & se alla poser aupres de sa doulce amye : aulcuns des jeunes princes delibererent de les aller visiter, & comme ilz estoient ententifz de investiguer & cercher par ou ilz entreroient, apperceurent une fenestre qui estoit demouree ouverte, qui leur fut propice pour entrer dedans. Et incontinent que l’ung d’eulx y fut, ouvrit l’huys aux aultres, sy vindrent au lict des amoureux, & les presserent & stimulerent de eulx lever : si fut trouvé que par force & violence, la chemise avoit esté deschiree, surquoy l’ung des jeunes princes dist, que il convenoit que informations en feussent faictes, pour les interestz d’amours : car telz excez ne doibvent demourer impunis, & ne est point prohibé de chasser aux guarennes : mais il fault preserver les cloustures de estre rompues. Grosses conclusions prindrent tous, & requirent que la damoyselle par serment fut interroguee, pour sçavoir qui telz excés avoit perpetré & commis, laquelle toute palle & descoulouree en baissant la veue dist, que en soy deshabillant, sa chemise estoit ainsi rompue : mais ceste excuse n’eut lieu de reception : car oultre est necessaire, que le delinquent & suspect du cas, soit interrogué. Si furent deputez commissaires, tant pour interroguer que informer le marié : auquel jour fut assigné a comparoir, la sequente journee, a huict heures du matin, pour respondre aux conclusions, requestes & demandes que l’on pourra prendre a l’encontre de luy : & pareillement la belle, comme recelleresse de malfaicteurs. Et alors y eut appel, par eulx interjecté a la court d’amours, ou le procés est encores pendant & indeciz. En telz ou semblables esbatemens se solacioyent les jeunes princes : puis apres se partirent & laisserent jouyr le nouveau marye de s’amye : lequel combien que sa fureur fut grande, en rompant la porte & les murs, sy est il a presupposer que depuis il se rendit humain. Et ainsi chascun se retira. De l’oceant n’estoient encores yssus les courans chevaulx, desquelz le filz de Apollo ne peult retenir le cours, quand diligemment me levay & appareillay, puis en me pourmenant commençay a mediter au desiré partement. Tost apres Quezinstra s’esveilla s’esmerveillant de si grande hastiveté, & pour ce me demanda l’occasion, a quoy je fis responce. Ce n’est la coustume des serviteurs de Cupido de profondement dormir, mais par eulx est tousjours le sommeil detesté. Car continuellement les amoreux ne cessent de cogiter & penser divers moyens, pour parvenir a leurs affectueulx desirs : parquoy vous debvez imaginer, que totallement ma pensee est occupee a chercher terres & mers, pour retrouver celle dont la veue a ceste puissance de restituer a ma debile vie doulceur & tranquillité : car croyez sy Juppiter le souverain des dieux, me vouloit beatifier & assumpter au supernel habitacle, comme il fit jadis le gentil troyen ganimedes, point n’estimeroye ceste felicité equiparable a la doulceur & suavité que pourroye recepvoir, en usant familierement du regard & souefve collocution de ma tresdesiree dame. A ces motz le mien compaignon doulcemment commença a soubrire, & me dist. Certes Guenelic puis que vous estimez la fruition d’amours tant delectable, point ne m’esmerveille de ce que ne voulez pardoner a aulcun peril, pour participer a telle beatitude : parquoy je vous prometz, que promptement sans plus vouloir differer impetreray licence & congé du Duc, affin de satisfaire a vostre desir. En disant ces parolles diligemment se leva & appareilla : puis nous transportasmes au palays, auquel toute la noblesse estoit assistente, & se delectoient en diversitez de joyeuses devises. Et lors Quezinstra desirant de me complaire : s’approcha du Duc : & luy dist. Monsieur presentement est venue l’heure que au partir nous perforce : parquoy apres avoir obtenu licence de vostre celsitude, a nostre partement donnerons principe : vous referant toutes les graces qu’il est en nostre petite possibilité, & non telles que a vostre altissime sublimité appartient : mais au moien de vostre urbanité & clemence, supporterez le petit pouoir de ceulx qui en recente memoire perpetuellement retiendront les benefices dont avez usé envers eulx. Et n’y aura jamais distance de lieux ne cours de temps, qui la souvenance de vous (tresillustre prince) nous puisse faire oublier, Et tant plus croystront lez ans, tant plus viendrons en la vraye congnoyssance de vostre vie politicque & coustumes genereuses. Mais pource que le temps nous presse, en prenant humble congé, nous departirons.

Ces parolles proferees, j’apperceuz le Duc aulcunement en la face commeu, & commença a prononcer telz motz. Nobles chevaliers je vous prie de m’exprimer la cause de vostre sy subite departie, y a il quelc’un en ma court, qui par sa temerité ou folye vous eust provocqué a courroux : si ainsi est faictes m’en sçavant, & je vous prometz que le mesfaict ne demourra impuny : Car il sera payé de sa deserte condigne. Mais si ainsi estoit, que vostre vouloir fut de vous absenter de ma court pour de voz personnes une aultre court honnorer ce me succederoit en une extreme vergongne : Car vous debvez estre certain que chose que puissez demander ne vous sera deniee. A ces motz en grande humilité Quezinstra luy respondit. Noble prince je vous asseure que telz nous a produict nature que tousjours vouldrions nous rendre obeissans a vostre sublimité, & desirerions estre perpetuellement en vostre court : si le urgente necessité a aultrement faire ne nous stimuloit : Car ce nous sera chose tresgriefve d’estre absentz de ceste honnorable court, qui est domicile de toute noblesse, & hebergement de toutes vertus : parquoy ce nous sera chose merveilleusement moleste, d’estre eslongnez de la presence de tant de vertueulx chevaliers. Mais si de la corporelle fruytion sommes privez, de la mentalle jamais. Et si le souverain recteur du ciel, & general arbitrateur de le universel monde, permect que puissons achever noz voyages, n’y aura faulte, que ne retournons en ceste inclyte Cité, pour nous dedier du tout a vostre bien honnoré service.

Quand le Duc eust entendu nostre ultime & yrrevocable deliberation, il se demonstra fort triste : mais voyant que nous disions nostre departie estre tant necessaire, ne voulut plus insister au contraire, considerant que nul ne doibt estre si importun, que de requerir aulcuns de chose, qui a conceder n’est licite. Et pour nous donner manifeste demonstrance de son bon vouloir envers nous, par son commandement nous feist delivrer grande quantité de pecune, pour subvenir aux affaires, que pourrions avoir en nostre voyage, dont de nous fut convenablement remercié : puis apres allasmes sur le Roy D’athenes : lequel n’estoyt encores guary, & la trouvasmes le duc de Foucquerolles, qui moins ne soffroyt a nous, que avoit faict le duc de Goranflos. Apres avoir prins congé d’eulx, nous transportasmes en la chambre de Zelandin : lequel trop plus que nul aultre de nostre departie se contrista : car quand nous feusmes en sa presence, pour prendre de luy congé : il fut si troublé, qu’il ne pouoit donner ne rendre voix : & seulement avec la veue signifioit l’anxieté & tristesse, qui au cueur luy estoit survenue : & quand il peut, prononça telles parolles.

O Quezinstra & vous Guenelic, dictes moy dont vous procede le vouloir, de si soubdainement partir : pour quoy estes vous attediez & ennuiez en ce lieu, qui vous deust estre delectable ? car si bien considerez, entre nous a esté tousjours continuelle conservation, non point servile mais fraternelle : si vous eussiez esté en quelque subjection, point ne m’esmerveilleroie, si d’icelle vous vous en vouliez liberer : car nature de meilleure chose ne pouoit l’homme douer que de liberté, & qui s’en prive, ne l’estime remply de sçavoir : mais puis que vous resident en ce lieu, d’icelle n’avez estez destitué, je ne puis ymaginer, a quelle occasion en si extreme diligence vous desirez de partir. A ces motz ne differasmes la response, en faisant semblable excuse, dont nous avions contenté le Duc, & avecq ce l’asseurasmes indubitablement de nostre brief retour, dont il fut aulcunement letifié. Et lors avecq estroictz embrassemens prismes ung doulx & amyable congé, puis apres nous sequestrasmes. Mais premier que monter sur la mer, le bon Duc nous recommanda a la garde & discretion d’ung marchant, qui pour aller en loingtaine region se departoyt. Donnee la voylle au vent, voulus implorer la divine clemence, a ce que peusse humilier la ferocité de Eolus, & tranquiller Neptune : le vent nous fut assez prospere. En peu de jours parvinsmes en l’ysle de Citharee, laquelle au temps preterit estoyt propice aux navigeans, comme recite Strabo en sa geographie. En celle ysle antiquement estoyt congruit ung temple, dedié a l’honneur de la deesse Venus (comme les habitans d’icelle nous en firent le recit) le lieu fut de moy veneré & adoré, en remembrance de celle ou estoit ma totalle confidence. La peusmes veoir le lieu auquel le Phrygien eust la premiere jouyssance de la fille de Leda, & fut satisfaict de la promesse, que Venus luy avoit faicte. En ce lieu pullule une herbe, qui fut procree des larmes de ceste belle dame, laquelle est appellee Helenion, & a telle proprieté, que elle conserve la beaulté des dames, aussy a puissance de provocquer le cueur des hommes a amour. Nous feusmes en variation d’en cueillir pour en faire present aux dames de nostre region : mais considerant qu’elle estoit apte a stimuler les cueurs des hommes a aymer, nous differasmes d’en prendre : car de ma part me sentoie assez travaillé de l’insupportable charge d’amours, ce que mon compaignon vouloit eviter. Au partement de celle ysle voulions adresser nostre chemin vers Troye la grande, mais la ferocité de Eolus tellement s’esmeut, que fusmes transmigrez a dextre, combien que nostre vouloir fut d’aller a senestre & fusmes jettez sur la coste D’affricque que on dit maintenant Barbarie, & laissames a gauche l’ysle de Candie, & de Rhodes de mijour : & l’impetuosité des ventz nous transporta en la mer de Carpathie & en la mer Pamphilenne, la ou est le gouffre de Sathalie pres du rivage de Turquie. Et finablement nous trouvasmes a l’endroit de l’ysle de Cippre, en laquelle (apres que la mer fut tranquille) prismes port, pour aulcunement nous refociller puis apres nous remismes sur mer, & nous fut fortune tant contraire, que feusmes transportez en la mer Libienne, devant la cité de Sydone, qui est en Syrie, & est l’une des plus grande regions D’asie la majeur devers Orient, & elle a le grand fleuve de Euphrates deverz Occident, Egypte & la mer mediterrane, d’ung costé de mydy la mer Arabicque : & Septentrion, Armenie & Capadoce, elle se devise en quatres parties : la premiere s’appelle Syrie de Mesopotamie situee entre les fleuve Tygris, & Euphrates, & la est la grande & anticque cité nommee Edessa : La seconde est Celosirie, en laquelle est Antioche, en laquelle sainct Pierre fut premier evesque. La tierce se appelle Syrie phenice, & est ainsi nommee de par Phenix, filz D’agenor & frere de Cadmus, qui fonda Thebes, & fut le premier inventeur des caracteres & formes de lettres. Et la quarte Syrie de Damas, en laquelle est la cité tresrenommee a cause de la conversion sainct Paul, si est situee aupres du mont Libanus, duquel scaturie le tressacré fleuve de Jordain. Ainsi doncques arrivez au port de Sydone situee en l’une de ces parties de Syrie, desirant tousjours de veoir le lieu ou Paris (aultrement dict Alexandre) mena celle qui fut cause de l’esmotion de toute L’asie & L’europe, & y adressames nostre chemin, Et sans plus errer ne divertir, exploictasmes tant que arrivasmes au port auquel Prothesilaus la despouille de sa jeune vie laissa. Persuadez de l’anticque forme de ceste tant grande cité, deliberasmes de totallement la visiter, la vismes le fleuve, qui anticquement se nommoit Panthus, & divisoit la ville en deux esgalles parties. On dict que le Tibre de Rome, qui court par le millieu de la cité, est semblable. En contemplant & noz vouloirs rassasiant, apperceusmes ung tumbeau que je comprins estre celluy de Hector, a cause de certaines parolles qui dessus estoient escriptes, Assez pres de celluy en estoit ung aultre, ou pareillement y avoit lettres engravees : par la lecture desquelles, se pouvoit conjecturer estre le tombeau de celluy Ajax, qui de son espee luy mesmes se transperça : puis apres veismes ung aultre dont y avoit grande distance de ces deux, & sur icelluy estoit redigee par escript, comment pour appaiser l’ame de Achilles, la royalle vierge Polixene (laquelle estoit de tresexcellente & resplendissante beaulté) par la main de Pyrrhus dessus ce sepulchre avoit esté immolee, en espandant son sang virginal, pour sacrifices. Apres la speculation de ces choses, & donnez les voiles au vent, feusmes prochains de la mer Hellesponte, laquelle est ainsi nommee, pource que la pucelle Hele fut submergee en icelle. En peu de temps parvinsmes au port d’une tresbelle cité (qui lors estoit nommee Eliveba) ou deliberasmez prendre repos, pource que nous estions merveilleusement fastidiez & ennuyez du long navigage. Nous arrivez en ceste cité, nous print vouloir de distinctement la contempler, elle estoit tresbien construycte & edifiee, & si estoit fortifiee de grosses tours belliqueuses & deffensables, plusieurs temples y estoient erigez par souverain artifice : & par especial en y avoit ung bien autant renommé, que fut jadis l’oracle de Apollo en Delphos, & dedans cestuy entrasmes a l’occasion de la speciosité. Et sans gueres de dilations apres survint une jeune dame de tresexcellente beaulté, & triumphantement aornee : En sa compaignie avoit grand multitude de gentilz hommes & damoyselles : & en telle magnificence, en ce lieu assistoit, que selon ma conception representoit la splendide & claire dame Dyane associee de ses belles nymphes : tous en general, tant hommes que femmes, luy exhiboyent honneur & supreme reverence, qui demonstroit qu’elle avoit la domination & seigneurie du pays.

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