Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Les
adventures des deux compaignons
en leur peregrination.
Chapitre. IIII.
Apres noz transmigrations de l’hermitaige, nous feusmes huyt jours premier que parvenir a la cité de Sirap : en laquelle parvenuz : parce que nous estions merveilleusement fatiguez & travaillez, nous y convint sejourner troys jours, pour ung petit nous reffociller, & le quatriesme jour, sy tost que Phebus de son hault sejour se demonstra, Nous appareillasmes & nous allasmes solacier sur le rivaige, & en nous devisant prenions singuliere delectation, en speculant la tresbelle face de Juno qui estoyt toute seraine. Car yris sa Damoyselle avoyt purifié l’air : puis regardions comment la belle Nimphe Flora accompagnee de son amy zephirus, s’estoyt entremise d’estendre ses beaulx tapis decorez de belles fleurs & plantes aromaticques : qui rendoyent telle odeur, que toutes les regions en estoyent imbues. Apres commençasmes a considerer, que la marine estoyt calme & tranquille, & souffroyt Neptune naviger ses ondes salees : & pour ce deliberasmes nous mettre sur mer, soubz la conduicte & protection de la Deesse Venus, laquelle de la mer est extraicte. Et pour ce qu’elle est princesse D’amours, avoie esperance qu’elle nous seroyt favorable, en sorte que n’estimoye monstre marin, ne Bellue sy hardye, ne Pirate coursaire si entreprenant, qui se osast ingerer de nous molester. Aussy n’avoye aulcune timeur des pucelles de Proserpine : lesquelles par leurs supplications impetrerent des Dieux d’avoyr aesles, & furent muees en Seraines : affin qu’elles peussent achever leurs entreprinses, qui estoyt de retrouver leur maistresse : laquelle par Pluto avoyt esté ravie : mais encores sont elles occupees a investiguer & chercher : & depuis ont esté cause de submerger plusieurs navires, car elles sont pleines de deceptions & chantent si tresbien, que au moyen de la grande armonie & moduleuse resonnance de leurs doulces voyx, endorment les gens, puis les font perir. Toutesfoys de tous ces dangiers aulcunemens ne me soucioye. Et ayant trouvé une Nef qui pour aller en Chyppre se departoyt, nous convismes aux marinier pour le port, & puis nous mismes dedans & partasmes. Le vent fut merveilleusement prospere au commencement. Mais ne tarda gueres que par sa mobilité ne nous fut contraire. Et pour ce contre nostre vouloyr Eolus nous transmigra au Port d’une belle & spacieuse Cité, le nom de laquelle estoyt Goranflos. Et comme nous feusmes la arrivez, en jectant mon regard en circonference, apperceuz le Seigneur de ceste Region, lequel solacieusement sur le rivaige se pourmenoyt : Mais incontinent qu’il eust dressé sa veue sur Quezinstra & moy, il s’approcha de la rive, & par son humaine benignité, avec une doulce prononciation commença a s’enquerir, & nous demander de quelle region nous estions natifz, ensemble quelle estoyt l’occasion de nostre voyage. Et a l’heure Quezinstra reveremment & humblement luy respondit, luy manifestant le lieu de nostre nation. Et oultre plus luy dist que la cause motive de nostre voyage, n’estoyt que pour rassasier le juvenil appetit : lequel d’aultres choses n’estoyt desireux que de veoir & frequenter diversité de pays.
Quand le magnanime seigneur eust les parolles escoutees, Je croys que quelque vertu divine l’inspira de nous offrir d’estre acceptez & recueillis en son palays, pour nous rafreschir & prendre repos, qui fut cause de grandement nous letifier. Et lors je luy dys : tresillustre prince en nostre puissance n’est de vous rendre les graces & remerciemens convenables au grand merite, a quoy selon ma conception ne suffiroyt l’esperit Ulixien : ne l’experience Nestorienne : mais l’urbanité & clemence, dont il plaist a vostre sublimité envers nous user, ne redonde en moindre louenge envers vous que de plaisir envers nous.
Dictes ces parolles, sans dilation fusmes conduictz en la cité, laquelle estoit construicte & edifiee par grande singularité : car on y pouoit veoir erigez & eslevez haultz & magnificques edifices, qui estoit chose plaisante & delectable a regarder : en contemplant ceste belle cité, parvinsmes au Palais, lequel estoit de marbre diversifié, & faict d’ouvrages si subtilles, que l’exprimer seroit difficile. Plusieurs histoyres anticques y estoient figurees si subtillement, qu’elles esgalloient l’artifice du tailleur Pigmalion, lequel fut surprins d’amours de l’image que luy mesmes avoit fabriqué. Aussi paisçant la veue de ces artificieuses painctures, survint ung jeune jouvenceau, lequel estoit filz du duc. En son premier regard comme apperceu nous eust, se vint adresser a nous, & s’enquist de nostre estat. Et lors Quezinstra avec une discretion & modestie, feist pareille response qu’il avoit faict au seigneur.
En telles devises se passa ce jour, & tousjours depuis le filz du prince (le nom duquel estoyt zelandin) continua de s’adresser a nous en devise, & nous print en singuliere amitié, qui fut occasion que nous fismes plus longue residence que n’avions proposé de faire, & ce pendant nous occupions en diversitez d’exercices : & le plus souvent quand les muneratives heures avoyent esveillee l’amye de Titon : le filz du Duc se levoyt & appareilloyt, puis nous mandoit pour l’accompaigner aux champs, une foys avecq chiens, aultresfoys avec oyseaulx rendions peine de investiguer les lieux habondans de gibier, ou de proye, Puis quand nous estions fastidiez & lassez, retournions au chasteau. Et apres avoyr prins nostre refection, zelandin nous menoyt solacier en une spacieuse salle, ou les Dames se delectoyent a danser : lesquelles en si grande agilité & modestie cheminoyent en dansant, que c’estoyt chose singuliere a veoyr. Mais helas ce ne m’estoyt que chose triste & desplaisante, & disoye en moymesmes. O ma Dame quelle violente prison te possede ? quel lieu indigne te retient, parquoy je suis privé de ta veue ? Qui me cause si extreme anxieté & doleur que pour ouir la delectable armonie de la resonance du doulx son des instrumens, ne me puis aulcunement letifier. Mais au contraire me sont augmentations de mon ennuy. Las quand Orpheus fut aux enfers pour recouvrer la belle Euridice, si doulcement chanta, que sa doulce voix (avec la melodie de sa harpe) eust tant de pouoir, que les tristes ames oublierent leurs douloureuses peines. Mais quand celluy Orpheus avec les neuf muses en ma presence s’efforceroient de chanter delicieusement, si seroit il impossible de sçavoir le travail que je soubstiens diminuer.
En telles pensees pour ne pouvoir plus supporter l’excessive douleur interieure qui m’exagitoit & tourmentoit, je faygnoye d’avoir trouvé aulcun caduceateur, qui pour aller en mon pays se departoit. Et pour ce en simulant de vouloir escripre, avoye occasion honneste de me sequestrer. Mais Quezinstra qui bien cognoissoit que telle faincte dissimulation n’estoit par moy excogitee, sinon pour me retrouver seul, affin de me plaindre & lamenter, pour ceste cause il me suyvoit, & mettoit bonne diligence de me consoler. Mais je luy disoye, que trop me desplaisoit sy long sejour, & que si aulcunement il estoit desireux de subvenir a l’urgente necessité, qu’il convenoit sans dilation departir, pour retrouver la dame de moy tant affectueusement desiree. Et lors me feist telle response. Guenelic puis que j’ay manifeste congnoissance, que le sejour en ceste noble cité ne vous faict que contrister, je ne veulx differer la departie. Car comme par longue experience le sçavez j’ay esté tousjours soliciteux & ententif d’accomplir toutes choses, en quoy j’ay estimé vous satisfaire. Et pour vous donner manifeste demonstrance, que j’ay une irrevocable deliberation de perseverer, quand il vous plaira, je suis prest de prendre licence & congé du duc. Apres qu’il eust ce dict, avec grande hilarité de cueur luy respondiz, que mon desir estoit de promptement impetrer le congé, affin de partir le lendemain.