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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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L’estat & liberalité d’une princesse monarque.
Chapitre. XII.

Ce pendant que ceste dame modestement se contenoit par honneste gravité, leva ses yeulx en regardant en circonference, apperceut Quezinstra & moy, lors donna principe a nous regarder ententifvement, & fut long temps sans distinguer l’excellence de ses yeulx de dessus nous. Puis quant elle se leva pour se absenter de ce temple appella ung de ses chevaliers, auquel expressement commanda qu’il se enquist de nostre estre, ensemble de l’occasion de nostre venue : Le chevalier desirant de accomplir le commandement de sa maistresse, se approcha de nous, selon ce que il luy avoit esté enjoinct accomplit sa commission, en nous interrogant humainement de la region dont nous estions natifz, & de la cause de nostre venue en ceste cité. A quoy nous feismes response telle, que preteritement avions faict au Duc de Goranflos : tout subit nostre responce ouye, le chevalier de nous se sequestra, pour en faire le recit. Mais de ce ne suffist a la dame : car comme cupide & convoyteuse de sasier sa veue de choses nouvelles, comme est le vray naturel du fœmenin sexe, de rechef nous transmist le chevalier lequel nous dist, que ma dame nous mandoit que nous transportissions en son palais, car elle desiroit d’avoir plus amples notices de nous. Ces parolles ouyes, sans plus delayer a son mandement nous rendismes obeyssans, & quand nous feusmes au palais trouvasmes la dame en une belle salle si richement tapissee, que c’estoit une chose admirable. Apres la reverence deue & convenablement faicte, d’elle feusmes doulcement interroguez, & par son artificielle eloquence curieusement nous persuadoit luy vouloir manifester, & donner clere intelligence de nostre estat. Et pource qu’elle estimoit quelque indignation du prince, ou aultre infortune estre occasion de noz voyages, effusement nous fist offre de ses biens, disant que en telle sorte son vouloir estoit institué, qu’elle desiroit que tous gentilz hommes infortunez feussent receuz amyablement en sa cité : car elle avoit singuliere affection de gratifier & faire plaisir aulx nobles & vertueulx, lesquelz (comme elle disoit) sont aulcunesfoys plus tribulez que les aultres. Incontinent qu’elle eust imposé fin au modeste parler, Quezinstra ainsi luy respondist.

Tresillustre princesse puis que vostre altitude s’est tant humiliee, comme de si benignement vous enquerir de nostre petit estat, bien est licite que vous en soyez certioree : Car si par nous vous estoit aulcune chose occultee & celee pourriez estimer qu’il nous procedast d’une grande presumption, consideré que si instamment nous en requerez, & avec ce sommes perpetuellement obligez a vostre noblesse, pour l’offre que si liberallement nous avez faict. Et pour ce (ma dame) vous veulx exprimer, & rendre certaine de la cause de nostre voyage, qui de ma part n’est aultre, que pour investiguer & cercher les adventures qui sont par le monde, & aussy pour associer ce mien compaignon, lequel pour aultre occasion se travaille : Mais de l’exposer s’il vous plaist me tiendrez pour excusé, considerant que n’est chose licite de divulguer les secretz d’un sien amy. A ces motz ceste belle dame me dist. Mon gentil homme, je me persuade de croyre, que ne differerez de me narrer la cause de vostre travail, non plus que a faict vostre compaignon. A l’heure en basse voix honteusement luy respondis. Le seigneur Amour en estre coulpable, pour la mutation de ma couleur, imagina la dame me avoir trop importuné, parquoy avec souverain esperit, commença a louer l’amoureuse entreprinse, disant que amours est aulcunesfoys cause de stimuler ses servans a entreprendre œuvres dignes de louenges, a ce que ilz soient tenus en bonne estime & reputation de tous, & par especial de leurs dames : & pour ce me conseilloit de perseverer, & pour amour travailler & pener, pour faire de moy plus d’estime, que on ne feroit en menant vie oysifve.

Apres ces parolles, l’on commença a ouvrir les tables, ou l’on fut tant richement servy, & de viandes si delicates, que elles avoient puissance de restituer les appetitz perdus par quelque accident que ce fut : apres le sumptueulx service ma dame se vouloit aller solatier aux beaulx jardins plaisans & delectables : Mais nouvelles luy survindrent : qui luy causerent excessive anxieté : ce fut que ung puissant Admiral avecq infiny nombre de navires venoient assieger sa Cité : Ces tristes nouvelles ouyes, rendirent la dame tant angustiee & adoloree, que le narrer de son acerbe douleur seroit difficile : Car en la presence d’aulcuns de ses chevaliers & de nous, commença a lachrimer & pleurer, en formant tresgriefves complainctes & exclamations, & entre aultres choses disoit.

O fortune aveuglee & instable marastre de felicité, nourrice de malheur, cruelle ennemie de tranquillité, susciteresse de mortiferes guerres, adversaire de repos, guide d’adversité : helas pourquoy si cruellement me veulx tu persecuter.

O mauldicte & detestable fortune, quandz ingenieulx esperitz & excellentes personnes avec ceste tienne varieté & petite consideration, as maculez & desprimez. Las voy a quelle tristesse & amaritude tu m’as dediee : parquoy j’ay cause raisonnable de te accuser, detester & vituperer : & ainsi a juste occasion je doibz blasphemer Atropos qui privee ne m’a de ma vie, premier que feusse succumbee en telle perplexité.

O que j’eusse esté heureuse, si le souverain des cieulx eust permis que ainsi fut advenu, que la journee infelice que ma mere me produict en ce transitif & mortel monde, si quelque tourbillon de vent impetueux m’eust transporté en quelque montaigne deserte, ou bien es fleuves maritins, ou j’eusse estee submergee, & absconsee en tenebres mortelles. Las je suis certaine sy ce cruel homme parvient a son inique intention (qui est de renverser & totallement ruyner ceste tresfluente & populeuse cité). Il est tant irrité & courroucé contre moy, que je ne pourroye precogiter les contumelies, opprobres & injures qu’il me conviendra souffrir : parquoy je puis conjecturer, que pour l’assidue & continuelle douleur, immaturement se terminera ma triste & doulente vie.

Ainsi perseverant en pleurs & gemissemens, se tourmentoit & travailloit ceste dame, tellement que tous les assistans en eurent pitié & commiseration, & mettoient tous bonne diligence de la reconforter, luy remonstrant que la cité estoit si forte & belliqueuse : qu’il ne seroit en la faculté de ses ennemis de la sçavoir expugner : parquoy n’avoit occasion de tant se contrister : mais plustost debvoit esperer, en considerant que la cité estoit garnie de grand multitude de gens tresaptes au martial exercice : par le moyen desquelz aux ennemys l’on pourroit donner repulsion.

Ce pendant que telles parolles se proferoyent, j’estoie autant attristé comme si avec debile & pertuisee nef, j’eusse navigué les procelleuses mers de Cilla ou Caribdis voyant que impossible m’estoit le partir : j’estoie de cruel travail tant affligé, qu’il seroit bien difficile de le sçavoir exprimer : ce que voyant Quezinstra, me retira au lieu qui luy sembloit plus secret & taciturne. Et lors fidellement avec discretes et begnine raison doulcement me reconfortoit, me disant.

Guenelic je vous supplie que mettez peine de mitiguer & temperer l’acerbe douleur qui si continuellement vous crucie. Et considerez que si de tous accidentz (qui en cestuy hemisphere surviennent) nous voulions ainsi troubler, sans que la vertu de patience eust puissance de superer les passions (dont nous sommes agitez & persecutez) journellemenent surviendroit matiere & cause de desespoir. Car chose n’y a en ce fascheux monde, sur laquelle fidellement fonder on se puisse. Vous voyez ceste noble dame, laquelle est tant opulente & riche, fortune jusques a present luy a esté favorable, & l’a exaltee : Mais presentement par sa legere mutabilité, semble que elle la veuille de toute sa force embrasser, & subitement par inopiné accident la prosterner & ruer jus. Toutesfoys luy sera necessaire de refrener son courroux, et se monstrer vertueuse : Car considerant que aulcune utilité ne vient de nostre lamenter, plaindre & larmoyer : par lequel, se expulser pouvoit nostre dolent penser, plus appreciees seroient les larmes que gemmes orientalles : Mais puis que le tourmenter est une peine en vain soufferte, sans expectation de aulcun fruict : par prudence nous debvons conserver de semblables lamentations.

Par telles parolles Quezinstra me pensoit consoler : mais je estoye sy oultrageusement irrité, que je ne prenoye aulcun confort, & par yre furieusement telles parolles prononçoye.

O dieux a mon detriment tresvigilantz.

O temps a mes maulx promptz & appareillez : helas ou suis je conduict ?

O Lachesis & ses seurs si aulx aultres estes acerbes & cruelles, a moy miserable seriez tresplaisante, combien que soyez une dissolution du corps las, & fourny de nombre par laquelle tous les membres en machination reduictz se opposent encontre les puissances vitalles. Et alors que le corps deffault de les pouvoir porter, les choses vitalles se dissolvent. Helas au monde ne y a corps plus travaillé & las qu’est le mien. Et pourtant doncques se debveroit dissouldre. En disant telles parolles, accompaignees de chauldes larmes, & affluence de souspirs, je consumoye le temps, & sy le jour me fut acerbe, la nuict me estoit sans nul repos. Le fidelle Quezinstra de anxieté estoit griefvement molesté, & ce luy causoit la consideration qu’il avoit de la tristesse de mon ame, & la langueur de mon corps : & par ses benignes & doulces parolles assiduellement s’efforceoit de me reconforter.

A l’heure que devers Orient la belle Aurora commença a apparoir chassant Lucifer & les aultres estoilles, lesquelles selon leurs coustumes, au ciel demeurent les dernieres : nous commençasmes a lever & appareiller, puis ainsy angoisseux & douloureux comme je estoye departis le travaillé & triste corps, & nous transportasmes au palais, auquel desja assistoit la dame, seant en ung siege magnificque, non en moindre majesté que Juno se sied au celeste consistoire. Et lors commença a adresser sa doulce voix vers ses chevaliers, qui lui donnoyent bonne silence, & profera telles parolles.

O vous hommes fidelles, qui avez certaine intelligence, quelle est l’occasion pourquoy cest Admiral (homme scelere & inicque) s’efforce de nous persecuter, & finablement reduyre en totale ruyne, & extermination, Qui n’est pour aultre chose, que pour le reffus que je ay faict de me conjoindre avec luy par lien de mariage. Ce que ne consentiroye, quand il seroit dominateur & possesseur pacifique de tout l’universel monde, tant a l’occasion de ses maulvaises compositions de coustumes, que pour son antiquité : laquelle n’est aulcunement convenable a ma florissante jeunesse, & pour ce toutes ces choses considerees, vous estant gens fideles & amateurs de mon honneur & utilité : ne vous seroit telle alliance moins fascheuse que a moy ennuyeuse & desplaisante, Et aussy debvez estre timides, que ne soyez regis & gouvernez soubz prince mal conditionné, qui pourroit instituer loix inicques & maulvaises : parquoy vous succumberiez en sy grosse moleste de cueur, que ce vous seroit chose griefve a supporter. A ceste occasion par magnanimité de cueur, chascun de vous se doibt persuader de conserver & garder ceste belle Cité : laquelle si elle estoit ruynee, a peine se pourroit jamais telle perte reparer. Apres la prononciation de telles parolles tous les assistans d’une voix unanime respondirent, que leurs deliberations estoient de vigoureusement deffendre la cité, en sorte qu’ilz espererent de rendre leurs ennemys fugitifz. Ce pendant que telz propos se tenoyent, arriva L’admiral avecq cinq cens soixante navires, & prindrent terre au port qui se appelloit Hennerc, & du principe firent estendre les voiles, desployer enseignez & estandars, voletans par l’air, & dresserent plusieurs trefz & pavillons, entre lesquelz estoit celluy de L’admiral merveilleusement riche & sumptueulx. Apres commencerent a contempler ceste noble cité, tant belle & magnificque. Mais ce pendant ceulx de la cité se armerent & sortirent en tresbelle ordonnance : ce que voyant les ennemys, prindrent admiration, en speculant la grand multitude des chevaliers, tellement qu’il n’y eust nul de eulx si audacieux ne vigoureux, qui ne fut aulcunement timide : toutesfoys en reprenant les forces de leurs espritz se mirent en armes : & y eust merveilleux conflict & bataille mortifere : ceulx de la cité estoyent a merveilles belliqueux, comme par evidence le demonstroient : car ilz commencerent a opprimer & molester si cruellement leurs ennemys, que par violence les contraignirent de reculer : & si le frere de L’admiral ne fust survenu (lequel estoit fort apte a l’art militaire) les ennemys ne pouoient plus souffrir : mais il commença a les exciter de reprendre leurs forces, en inferant & donnant fort a faire a ceulx de la Cité, en sorte que il y eust merveilleuse effusion de sang tant d’une part que d’aultre. En continuant ceste execrable bataille, Apollo commençoyt a decliner, parquoy chascun tout fatigué & travaillé, commencea a departir, & se reduyrent ceulx de Eliveba en leur cité.

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