← Retour

Les angoysses douloureuses qui procedent damours

16px
100%

Apres maintz travaulx Guenelic a nouvelles de s’amye.
Chapitre. III.

Encore estoit la belle Aurora couchee, quant (apres avoir gratieusement congé prins) donnasmes au chemin principe. Et allasmes a la clarté de la deesse Proserpine jusques a ce que l’amye de Tyton, de sa veue, nous commença a gratifier : & ne cessasmes de aller tant que la face du reluysant jour commençoit a diminuer sa clarté. Et a l’heure arrivasmes a une petite ville situee en assez beau lieu : mais tant nous mesadvint, que en icelle nul ne se entremettoit de loger aulcunes personnes en leurs domiciles. Car ce estoient gens qui ne avoient charité ny amour : mais au contraire, entre eulx regnoyent emulations, seditions & envies de telle sorte, que a brief parler, estoient estimez pires que dyables. Parquoy ne fut de merveille, se nous (qui estyons estrangers) nous sentismes de leurs iniquitez : dont ilz nous donnerent assez d’evidence : car ilz estoyent si superbes, que pour quelques supplications que sceussions faire, nulle pityé interieure ne les commeut a nous loger : mais ne se soucioyent que de user de derisions & mocqueries : car telle estoit leur coustume, de eulx delecter a provocquer les gens a courroux. Et pourtant pour nous yrriter, nous disoient : messieurs s’il vous plaist, vous nous racompterez de voz nouvelles, venez vous de faire la guerre aux Macedoniens ? aux Arabiens ? ou a ceulx D’athenes ? ne vous soyt ennuy, pour nous solacier de nous reciter de voz faictz d’armes : puis apres voyant que nous tenions silence, disoient, Si vous ne nous voulez narrer du Martial exercice, dictes nous si vous venez de veoir les belles filles de l’isle de Chypre : car voz belles faces blanches & delicates avec les cheveulx tant bien pignez, a la verité dire, vous remonstrent estre plus aptes a la jouxte nocturne que a nulle aultre. Quezinstra oyant proferer telz propos, a grand peine pouoit son yre refrener : car quand il consideroit que tant d’honneur nous avoit esté exhibé par princes & grandz seigneurs, bien se contristoit de souffrir de ses iniques gens : Car il n’est chose si acerbe, que de souffrir de ses inferieurs. Et lors je luy dictz je vous prie sequestrons nous de ces gens : Lesquelz sont tant sceleres & maulvais, que leur superabondante infelicité, les stimule a prononcer plus par insolence que par utilité : Bien voy que quand nous sommes sortiz des dangiers de Scilla, nous sommes entrez aux perilz de Carybdis, pourtant j’estimoye qu’il n’en fust nulz pires que ceulx de Bouvacque, & de Gennes : mais les habitans de ceste petite ville en malice les excedent.

En disant telz propos, nous en allions quand nous apperceusmes une dame regardant a une fenestre Laquelle merveilleusement nous regardoyt : ce que voyant, estimant que ce fust plustost par benevolence que par maulvaistie : pour estre une chose vulgaire, la condition fœmenine estre inclinee a toute benignité, urbanité & clemence : ou aultrement defaillent de leurs naturelles conditions. Ceste consideration nous presta audience de luy supplier que en ceste urgente necessité ne nous voulust secours denier : mais si les aultres s’estoient demonstrez superbes & orguilleulx, ceste dame se monstra encores plus furieuse : tellement que son cruel regard semblable a celluy de Meduze Gorgone, m’espouventoit. Et lors feist tonner sa voix pleine d’horreur & de menaces & nous dist : que mieulx aymeroit nous veoir par execrable mort finer, que de nous gratifier aulcunement. Et que sans delayer, nous ostissions de devant sa presence, ou aultrement nous donneroit a congnoistre combien il luy en desplaisoit. Apres avoir ouy ces propos, premier que de nous absenter, luy dismes : ma dame si nous eussions estimé que nostre requeste vous eust tant esté desaggreable, soyez certaine que ne vous eussions requis : mais pensant que feussiez doulce & benigne comme est la coustume des aultres dames de ce faire : la hardiesse avons prins, toutesfoys si vous dictes, que nous ayons faict faulte, je le vous concede, car presentement a juste cause se doibt blasmer & detester nostre rude conception & debile sçavoir, lequel n’a sceu comprendre en vous voyant si layde, que possible n’estoit, qu’il y eust en vous quelque bonté.

En disant ces parolles, sans plus differer nous departasmes : & incontinent que feusmes sortyz hors de la ville, lors nous veismes que gueres n’y avoit de distance jusques a ung petit chasteau, vers lequel nous adressasmes nostre chemin. Et quand nous y feusmes parvenuz, le gentil homme, qui y faisoit residence, nous feist treshonnorable reception, & nous commença a interroguer de plusieurs propos, dont luy recitasmes une partie de nos fortunes tant prospere que adverses. En quoy oyant, il prenoyt singuliere delectation : mais entre aultres choses, ne oubliasmes de luy exprimer l’inveteree malice que nous avions trouvee aux habitans de la petite ville. Et par especial a la cruelle dame : laquelle nous avoit si inhumainement repulsez & dechassez. Tout subit que le gentil homme entendit telles parolles : il interrompit propos, nous disant : certes je congnois bien ceste dame dont vous parlez : laquelle est si accomplie en toutes iniquitez, que par bouche ne se pourroit exprimer, par conception comprendre, ou par fantaisie imaginer. Et entre aultres vices qui resident en sa personne, celluy de detraction jamais ne la desaccompaigne : & de telle sorte en a usé, qu’il n’est memoire du contraire. Parquoy sans usurper le droict d’aultruy, elle a acquis le nom de la dame maldisante, car jamais de sa bouche, une veritable ne doulce parolle ne sortit. Et si vous veulx bien advertir, que non seullement par parolles, mais par l’effect de ses œuvres perverses, elle a esté occasion de faire dilater sa renommee en plus de divers lieux, que ne pourroit faire ung vertueux & magnanime chevalier par admirables faictz d’armes. Et encores sa crudelité est fort augmentee depuis le temps que ung sien parent a eu discord contre une treshonneste dame sa femme pour quelque occasion a nous occulte & incongneue : mais toutesfois son ire a esté si vehemente contre la noble & gratieuse dame que il luy a appareillé une vie trop pire que une violente mort : Car long temps y a qu’elle est detenue captive en ung chasteau nomme Cabasus, & pour plus la molester & aggraver ses tourmens & aussi pour gratifier a sa cruelle seur sachant qu’elle se delectoit fort a mal faire, luy bailla la dame en garde, a laquelle comme j’ay ouy reciter elle commença a inferer trop de contumelies & opprobres, mais toutesfoys selon ma conception encores n’est riens des maulx qu’elle luy a faict en comparaison de ceulx qu’elle a proposé de faire. Car non plus que enfer se rassasie de transgloutir ames, aussi ne faict ceste oultrageuse dame, de executer ses iniques vouloirs. Parquoy, la paoure prisonniere doibt bien desirer la mort.

O que c’est grand dommage de la perte d’une telle dame, car croyez que d’autant que la maldisante est consummee & parfaicte en malice, l’aultre est autant accomplie en dons de grace & de nature, tellement pour les perfections & bontez (dont dieu & nature l’ont singulierement douee) de tous les gentilz hommes & dames du pays celle est plaincte & regretee, comme si de chascun elle estoit parente. Et tous en general considerantz sa condition, croyons certainement que c’est a tort & sans juste occasion, que telle calamité elle souffre.

Chargement de la publicité...