Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Regretz
de L’amy, de la mort
de sa Dame.
Chapitre. IX.
Incontinent ces propos finis, pour le travail qui par trop la crucioyt, apertement en contemplant sa face l’on congnoyssoit son extreme fin venir : car ses beaulx yeulx se commençoyent desja a ternir & obscurcir, a l’occasion des tenebres de la mort, dont elle estoit prochaine. Et je voyant que nul remede n’y avoit, souffroys si acerbe douleur, que non moins pasle qu’elle n’estoye. Et quand je vouloys aulcune parolle proferer, la faculté ne me estoit concedee, a cause de l’interruption de mille souspirs accompaignez d’infinies larmes qui totallement me denioyent le prononcer.
Quoy voyant Quezinstra combien que son cueur fut fort oppressé pour la compassion qu’il avoit de nous, si se efforçoit il de me consoler. Et ce pendant je veis ma dame qui de rechief me commença a regarder : & ouvrit la bouche pensant dire aulcuns motz : Mais pour les douleurs mortelles qui l’aggressoyent, la langue & tous les membres furent de leurs puissances destituez. Et lors en se estendant entre mes bras, comme morte demeura. Et a l’heure fut mon douloureux cueur agité d’une si extreme destresse, que fuz long temps sans mouvoir ne respirer. Et puis quand je peuz parler, avec voix cassee & interrompue commençay a dire.
O acerbe mort, cruelle, furieuse & de toute execration digne : pourquoy si immaturement es tu en ce corps entree ? helas tu m’as desherité de celle en laquelle j’estimoie consister mon eternel contentement. Mais je voys bien que les cueurs mortelz sont de plusieurs erreurs nourris : car cela que j’estimoye appartenir a soulas, est converty en pourriture. O caducque & faulse humaine esperance. O fragile condition : nostre voix : combien les choses mondaines sont transitoyres. Certes chose n’y a en ceste region terrestre, sur laquelle on se puisse fonder. Helas bien me avoyt adverty ceste saincte & bonne personne, qui tant de remonstrance me feist, que en quelque extreme peril je succumberoye. Bien voyz qu’il le sçavoit, pour avoir congnoissance de l’infelice planete qui esclaira a ma nativité, qui me propina influence tresmalheureuse, a laquelle je n’ay sceu obvier. O que mauldicte & detestable fut l’heure que je naquis. O que bien desireroye n’avoir jamais esté au monde produyct.
O que j’eusse esté heureulx, si du principe de ma triste & anxieuse naisçance, de la terre nue, m’eust esté faict lict : ou bien que je n’eusse eu plus lonque vie que les hommes qui nasquirent des dentz par Cadmus semez. Helas si ainsi me feust advenu, je n’eusse esté agité de tant d’angoysses, infelicitez, lachrimes, pleurs, souspirs, douleurs, tourmens, & desespoyrs : lesquelz maulx tous ensemblement a mon doulent cueur font residence. Et jamais je n’en seray liberé, sinon par le moyen de la mort, que tant j’ay increpee & desprisee. Mais si briefvement elle faisoit l’ame de mon triste corps separer, elle repareroit en partie l’offense que elle m’a faict. Et pour ce je luy prie qu’elle ne me veuille espargner, puis que de l’aller je suis prompt & appareillé. Et quand je auray passé a l’aultre rive en contemplant la doulce veue rassasieray ma voulunté. Ainsi parlant & formant telles plainctes & exclamations, pour le cruel travail, la voix dedans la bouche se arresta, Et a l’heure Quezinstra ainsi me dist :
Guenelic grandement je m’esmerveille des continuelz murmures que vous faictes a l’occasion de la mort de ceste dame, Ne avez vous craincte de offenser Dieu qui telle loy a nature a donné ? Ignorez vous ce qui est escript : c’est qu’il n’y a sapience, ne conseil, force, ny aultre chose qui puisse valoyr contre le vouloir du sublime & puissant Dieu au vouloir duquel vous debvés condescendre, en donnant evidente demonstrance de vostre discretion : & ne detestez & blasmez la mort, puis que elle est liberatrice de tous noz travaulx. Et a ce propos, le Psalmiste l’appelle & la requiert, que elle vienne diligemment : affin que elle mette fin a ses gemissemens & lachrimes. Et aussi sainct Paul ad Philip. 1. L’estime la porte, par laquelle nous sommes liberez de prison. Or considerez doncques quelle chose est plus juste, plus saincte & de plus grande louenge digne : par son moyen nous parvenons a la fruition de la vie bien heureuse : & sommes ressoulz a l’altitude des choses divines, lesquelles pour la profondité a l’humain entendement sont incomprehensibles : comme manifestement nous enseigne le glorieulx sainct Paul. 2. Cor. 12. & Act. 9. qui gousta de ceste melliflue doulceur quand il feust trois jours ravy jusques au tiers ciel : Et quand il fut retourné, il dist (1. Cor. 2.) que jamais l’œil d’homme mortel ne pourroit veoir, ny les aureilles entendre, ny la conception comprendre ce que Dieu a promis & preparé a ses amys. O combien doncques doibt estre aspirant le desir de parvenir a ceste glorieuse felicité. Certes pour ceste cause ne debvons plorer ne lamenter pour ceulx que nous voyons mourir avec une ferme foy : laquelle donne espoir qui engendre charité parfaicte : & comme il est escript en sainct Jehan. Joan. 4. Charité est Dieu : & pourtant si elle est en nous, Dieu aussy nous avons. O tresgrand don de foy dont telle beatitude vient, que de l’exprimer ne est en nostre faculté : toutesfoys pour ne estre negligent de vous consoler, bien vous ay voulu rememorer les sainctes escriptures : estimant par cela, a vostre douleur remedier : car si vous estes prudent, vous mediterez & penserez souvent avec quelle foy & vraye contrition, madame Helisenne a l’esperit a Dieu, & le corps au monde restitué. Et en ceste consideration, je ne fais aulcune doubte que a vostre mal ne trouvez quelque refrigeration medicamente vous persuadant pour vray : que elle est colloquee en la glorieuse societé. Et pour ceste occasion debvez imposer fin a voz douloureuses complainctes. Et aussy vous supplie de vous voulloir desister de ceste damnable & faulse opinion, de dire, que par le moyen des planetes, nous sommes contrains : car cela est ung merveilleux erreur. Aulcuns hereticques appellés Priscialinistes dyent que tout homme nayst soubz la constellation des estoylles, & est regy & gouverné par leurs influences, lesquelles ilz appellent Fatum en latin : c’est a dire destinee en françoys. Dient en oultre que selon l’ordonnance des influences d’icelles estoylles, l’homme est contrainct a faire bien ou mal, desquelz hereticques l’erreur est condamnee & evidemment improuvee par plusieurs raisons de sainct Augustin au premier chapitre du cinquiesme de la cité de Dieu : Et est aussi condamnee ceste heresie par Chrisostome, qui dict, qu’elle faict troys manieres de blasphemes contre Dieu.
La premiere est, qu’il s’ensuivroit que Dieu est & a esté maulvais en creant les estoylles. Parquoy sur l’evangile de sainct Mathieu est dict en ceste maniere, se aulcun par le moyen des estoylles est faict homicide, ou adultere, grande iniquité & injustice debvroit estre pour ce atribuee aux estoylles : mais encores plus a celluy qui les a creés. Car puis que Dieu est congnoissant & non poinct ignorant des choses futures, & qu’il congnoissoit que telle iniquité debvoit proceder d’icelles, si ne les avoit voulu amender, il ne seroit pas bon, si l’avoit voulu & il n’avoit peu : il seroit impotent, & non point tout puyssant.
La seconde blaspheme est, que dieu seroit cruel de faire souffrir peine pour les delictz que les humains pourroient commettre par la creation & contraincte d’icelles estoylles : parquoy dict icelluy Crisostome, pourquoy endureroys je peine pour la chose que je auroye commise, non par volunté : mais par necessité.
Le tiers blaspheme est, que dieu ne seroit pas saige en ses commandemens : car qui est celluy qui commande a aulcun & deffend de non perpetrer le mal qu’il ne peult par contraincte eviter ny aussi d’accomplir le bien : auquel on ne peult parvenir.
Certes il n’est personne au monde qui feust reputé saige en faisant telz commandemens : Et pourtant telle opinion est grande offense envers dieu. Il est aussi dict au huictiesme sermon sur sainct Jehan, que le seigneur & facteur des estoilles, n’est poinct soubz la destinee & disposition d’icelles. Nous avons quant a ce, une naturelle evidence : Car quand au monde est produict ung roy ou seigneur, si c’estoit œuvre du ciel s’ensuyroit que ceulx qui naistront soubz ceste influxion seroient roys & seigneurs, qui n’est pas verité. On pourroit demander, si l’impression des luminaires celestes est point cause de la diversité des meurs & conditions des hommes. A ce peult estre respondu que la question a double sens, selon diverses interpretations : Si on veult dire que icelles estoilles soient causes necessitantes les voulentés, les fortunes, & conditions des hommes, ce seroit heresie : car c’est contre la foy, en tant que par ce, il s’ensuyvroit que quelconques choses que l’on feist, on n’auroit ne acquerroit nul merite ne gloire : mais si on veult dire que les meurs des hommes sont dispositivement & contingentement variez pour la disposition des estoylles, ceste chose peult avoir verité, & ne repugne point a la foy n’a raison : car il est manifeste que la disposition diverse du corps, faict moult a la variation & mutation des affections des meurs & complexions, comme dict L’acteur des six principes, Parquoy les coleriques sont naturellement disposez & promptz a yre : les sanguins, sont begnins : les melancolicques, sont enuyeulz, & les flumaticques, paresseulx : mais cecy n’est point necessaire : car l’ame a domination sur le corps, quand elle est aydee par grace : comme nous voyons plusieurs colericques qui sont doulx & amyables, aussy plusieurs melancolicques sont begnins. Et pource que la vertu des corps celestes œuvre, & a aulcune causalité en la mixtion & qualité des complexions : de ce procede, que sur les meurs & conditions des hommes peust aulcun petit dispositivement & contingentement : combien que la vertu de nature inferieure, faict plus a la qualité de la complexion, que ne faict la vertu des estoilles. Parquoy sainct Augustin au cinquiesme livre & chapitre deuxiesme de la cité en la solution d’aulcune question, Touchant deux freres : lesquelz furent ensemble malades & guariz, approuve & loue plus la response de ypocras medecin, que de l’astrologie quand on demanda a ypocras la cause pourquoy avoient estez ensemble malades & guariz : il respondit, que ce fut pour la similitude de leurs complexions : mais l’astrologien dict que c’estoit pour l’identité & convenances des constellations, pour ces choses est la question precedente absolue, C’est assavoir que les impressions des estoilles, sont causes aulcunement dispositives de la variation & diversité des meurs : mais non pas necessaires ne suffisantes : car on a liberal arbitre avecq l’ayde de Dieu, pour resister, Et pour ce dict Ptolomeus en son almageste, Le saige homme aura domination sur les estoilles : Et pour ces causes, appert les dessus nommez Priscilianistes errer grandement : car comme dict sainct Thomas en sa premiere partie : question cent & seize, au premier chapitre, Que toutes operations naturelles & humaines sont reduictes a une cause premiere qui est la providence divine. Et pour ce dict encores a ce propos sainct Augustin au premier chapitre du cinquiesme de la cité, l’homme disant de la divine volunté que c’est chose destinee, retienne sa sentence & corrige sa langue : comme s’il vouloit dire, que tel entent mieulx, que il ne dict : car a parler proprement, destinee n’est riens sinon en tant qu’elle est referee a la volunté & prescience divine. Icelluy sainct Augustin (selon la glose du pseaulme cent & ung) dict, que predestination divine : par laquelle dieu nous a eternellement esleux, est cause principale de tous noz merites, & que nostre volunté est seulement cause concomitative & associative. Et pour ce, est dict au neufviesme chapitre de l’epistre aux Romains, Qu’il n’est pas en la faculté du voulant, ne du croyant d’avoir telle predestination : mais est en dieu seulement, que a mercy de ceulx qui luy viennent a plaisir, & les aultres laisse endurcir en leurs malices : Auquel pas de L’apostre, dict la glose de sainct Augustin, Qu’on trouve assez cause de l’obstination des hommes, Mais de la misericorde n’est poinct rendue aulcune cause ne merite : car Dieu par sa grace, donne sans desserte aux hommes premiation & loyers : Mais pourtant n’est poinct a dire que Dieu endurcisse les obstinez en leurs baillant malice : Ains en les destituant & privant de sa grace : de laquelle ilz ne sont point dignes, en tant que ilz ne veullent flechir leurs cueurs & affection au commandement divin. Et pour ce ne est point escript sans cause en la quatriesme question de la vingt deuxiesme cause, Qui par equité & justice a nous tresocculte & incongneue, Dieu, a iceulx ne confere point sa grace. Parquoy a ceste occasion cryoit L’apostre a l’onziesme chapitre de l’epistre aux Romains. O altitude de la sapience & science divine : combien inscrutables & incongneuz sont telz jugementz ? quand de ta grace tu vestz les nudz qui te plaist d’estre vestuz : laquelle chose il faict par certaine raison qui de luy seul est congneue. Et pource que le parler de ceste matiere est chose trop ardue, m’en veulx abstenir : Et de rechief vous supplie que ne veuillés perseverer en telz erreurs : la fin desquelz n’est aultre que travail de corps, & mort de l’ame. Apres que Quezinstra eut a son dire mys fin : combien que j’eusse une si grande douleur au cueur, que par medicine, ne par confort secourir on ne pouvoit : Toutesfoys accumulees toutes les forces, en ceste maniere luy responditz.