Les angoysses douloureuses qui procedent damours
La
lecture des letres de l’amoureux.
Chapitre. IX.
Incontinent apres la reception de ses lettres, fort hastivement je retournay, & en entrant dedans ma chambre les ouvry, & leu le contenu d’icelles, lequel s’ensuyt.
Ma dame puis que la libere faculté de parler a vous, pour vous encliner mon amoureuse conception ne m’est permise, j’ay esté contrainct par la persuasion du filz de Venus vous escripre la presente, & pour vous certiorer de l’extremité ou amour excessif m’a conduict, devez sçavoir que lors que premierement dressay ma veue sur voz yeulx vers & irradians, me sembla veoir issir une splendeur, laquelle plus pres le cueur me transperça, que ne feist l’aguë sagette de Juppiter, Phaeton, & a l’heure me sentant de ce doulx regard surprins, je vins distinctement a speculer vostre excellente beaulté, mais en considerant l’excellence de vostre beau corps proportionné, oultre la forme commune de mon vray sentement demeuray privé. Et pour la recente memoire de l’acerbe douleur ou je fuz reduict, mon entendement est si perturbé, qu’il me seroit impossible de vous louer & extoller de louenge condigne, selon la speciosité de vostre forme, & encores que ne fusse agité d’aulcune perturbation cognoissant les debiles forces de mon fragile esperit, je ne l’oseroye entreprendre, parce que j’estime que le narrer seroit difficile a toutes langues disertes, car selon ma conception, l’exprimer de choses si singuliere se doibt reserver a la divine eloquence de Mercure. Et pour ce je m’en abstiendray, & veulx continuer de vous exposer le secret de mon cueur, voulant observer la coustume antique des trescelebres Persians, qui estoit de ne se presenter a l’altissime sublimité du Roy les mains vaques de presens, non pour presumption qu’ilz eussent que le seigneur fust flexible a aulcune avarice, mais pour observance & supreme reverence. Et pource ma dame que je n’ay chose de moy plus estimee que ma personne, le plus fidelement que je puis je vous en fais present pour ung perpetuel mancipe : vous suppliant que de tel cueur l’acceptez comme je le vous presente, & considerez que ce n’est moindre vertu le gracieulx recepvoir, que le liberal donner. Aultre chose donc ne reste, que a ung fidelle serviteur rendre guerdon. Et si ma valeur est petite au respect de vostre altitude, non comme ma compaigne ou eguale, mais comme ma dame & superieure vous prie me guerdonner, affin que par dureté ou negligence de me secourir ne me prestez matiere de cruelle & violente mort, mais vous estant sur toutes creatures souveraine & plaine de urbanité traictable, soyez commeue a pitié & compassion, & ne vueillez souffrir que si infelicement je renonce a la nature, & soubz l’esperance de vostre doulceur imposeray fin a ma fidelissime lettre. Escript par celluy qui hardiment se peult nommer le serviteur en amours excedant tous aultres en loyaulté & fidele servitude.
Et apres les avoir leues, j’eu une incomprehensible & inestimable joye & consolation : car par ses escriptz, il se disoit mien a perpetuité, & lors je commençay a cogiter & penser en moy mesmes, quelle response je donneroys a ses lettres, & me sembla qu’il ne seroit bon d’acquiescer promptement a sa requeste, parce que les choses qui facilement sont obtenues, sont peu apprecieez : mais celles que en grandz fatigues on acquiert, sont estimees cheres & precieuses. Pour ces causes, je luy escripvis lettres par lesquelles il ne pouoit gueres esperer de parvenir a son intention, dont le contenu d’icelles s’ensuyt.