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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Deux amys qui descouvrent les secretz de leurs amours l’ung a l’autre.
Chapitre. II.

Desja deux foys avoit Phebus le zodiacque enluminé, depuis que m’estoye laissé superer par le filz de Venus, & pour ce, comme fastidié de tant de vaines sollicitudes, par impatience : Je commençay a increper ma dame, luy attribuant le vice d’ingratitude. Non obstant je continuoye ma poursuyte, en sorte que par mon inconstance, je donnay manifeste demonstrance a son mary de la chose ou je pretendoye. Quoy voyant sans dilation il la feit absenter, comme il est bien amplement exhibé au premier livre de ses angoisses.

Je fuz long temps depuis son partement sans en estre certioré, parquoy fort esmerveillé estoye de ce que ne la veoye plus. Je m’en devisoye souvent avec ung mien fidelle compaignon, le nom duquel estoit Quezinstra, & estoit extrait de noble & tresanticque generosité, & des son enfance avoit esté instruict a l’art militaire : & en ce ne demonstroit degenerant de ses progeniteurs. Mais Fortune qui le plus souvent les mauvays exalte, & les bons deprime, luy avoit esté cruelle ennemye : car de la maison paternelle avoit esté expulsé, & ce qui en fut occasion, fut par sa souveraine beaulté, parce que sa marastre en fut d’ung tel desir attaincte, que contraincte luy fut de l’inciter & prier qu’il voulust accomplir son vouloir luxurieuz & inceste, a quoy il ne se voulut consentir : car pour l’honneur & reverence de son pere il avoit vergongne des objections & persuasions qu’elle continuoyt. Mais quand la jeune dame se veit par plusieurs fois reffusee, elle commença a convertir amour en mortelle hayne, parquoy elle conspira pour le faire totalement exiler, en faisant piteuses complainctes a son mary : disant que son filz avoit voulu son honneste pudicité violer, & pour ce il fut banny & expulsé comme furent pour semblables causes Hippolyte, & Bellophoron. Mais je vous veulx exprimer dont procedoit la fidelissime amytié qui estoit observee entre nous, qui fut a l’occasion que le premier jour que je fus surprins d’amours, comme je me pourmenoye en ung petit boys pres de nostre cité, nous nous rencontrasmes & prismes congnoissance l’ung a l’aultre, en narrant chascun de nous les causes de noz anxietez : & pource qu’il me feut advis qu’il precedoit tous aultres (que jamais j’eusse veu) en discretion & prudence, Je luy feiz offre de tant de petit de biens que en ma faculté j’avoye, pour a sa voulenté en pouoir disposer, dont grandement me remercia. Et en telles devises entrasmes en la cité, laquelle Quezinstra trouva plaisante & delectable, parquoy il delibera d’y faire sa residence, ce qu’il feist. Et pource que journellement conversions ensemble, ma coustume estoit de luy reciter toutes mes fortunes, bonnes & adverses, qui au service d’amours me survenoient : & luy qui estoit jeune d’aage, & anticque de sens, me conseilloit tousjours de me desister de telle sollicitude & soing trop puerile, en me exhortant d’exercer œuvres viriles & de louenges dignes. Ung jour entre les aultres, (comme il me faisoit aulcunes remonstrances) mon acerbe fortune permist de sçavoir ce dont continuellement je m’enqueroye : c’estoit de l’occasion de la privation de la veue de ma treschere dame Helisenne. Car par l’ung de mes serviteurs, de son absence je fuz adverty.

En la saison que les arbres se despouillent de leurs verdissantes beaultez, Vulturnus le froid vent venant de Septentrion, estoit annonciateur de l’ivernalle froidure : & son compaignon Boreas congeloit la liquidité des fleuves decourans, & les transformoit en cristal immobile. Alors les tristes nouvelles me furent exhibees : ce fut de la douloureuse transmigration de celle qui estoit de moy souveraine imperatrice. Helas quand si acerbes parolles me furent prononcees, en si grande terreur m’entrerent dedans l’entendement, que peu s’en faillit que ne tombasse mort : & n’eust esté que ce mien parfaict & fidelle compaignon en ma presence assistoit, je feusse subcombé en quelque inconvenient irrecuperable : mais pource que par la mutation de ma couleur, l’extreme travail que je souffroye avoit comprins : Il se monstra diligent de me secourir, toutesfoys je ne differay en sa presence de me plaindre & lamenter, & commençay a dire ainsi.

O aveuglee & instable fortune insidiatrice de tout bon entendement, fabricatrice de tous dolz & frauldes, je voys apertement que par tes subtiles inventions : ingenieusement tu m’as privé de la veue de celle sans laquelle impossible me sera de vivre. Las je ne sçay si les dieux sont irritez contre moy, Et quand pour vindication t’eussent permis de user de crudelité en ma personne, toutesfoys je suys ignorant quelle pourroit estre l’occasion.

O souverain Juppiter, je ne suis celluy qui a ton sacré royaulme avec les geans mis le siege.

O Saturne, ce ne fut pas moy qui de ton paternel royaulme te exhereda.

O Titan, je ne suis celluy qui de vostre droit hereditaire vous priva.

O belle Venus, ce ne fut pas moy qui les artificielles retz, au prejudice de toy & de Mars fabrica.

O tresillustre illuminateur de l’universel monde Apollo : je ne suis celluy qui ton filz Phaeton fulmina.

O Mercure, je ne fuz oncques insidiateur a nul de telz conseilz.

O Phebé, en tes longues amours jamais ne te troublay.

O Juno & Pallas, je ne suis celluy qui le jugement de la pomme contentieuse, en deteriorant voz divines beaultez prononça.

O custodes infernaulx, contre vous au grand Alcides, ne a ses loyaulx compaignons ne prestay faveur, pour de vostre regne vous spolier.

Helas donc pourquoy si cruellement suis je angustié ? ne pour quelle occasion conspirez vous contre moy ? helas par si grand rage le cueur me consomme, que je ne desire que la fin de ma miserable vie.

O Lachesis, Cloto, & Atropos dissipatrices de tous humains, venez a moy qui tant vous desire.

O umbres sans honneur de sepulture.

O esperitz damnez, pourquoy pour me ruyner n’entrez vous dedans mon corps ?

O souverain Dieu Juppiter, je te supplye que de ta main puissante par tes legeres sagettes me faces fulminer, ou s’il est possible de me faire finer encores par plus horribles tourmens.

Je prie tous les Dieux celestes, silvestres & montanicques, que sans dilation vueillent imposer fin a ma douloureuse & penible vie. Et en proferant telles ou semblables parolles, s’ensuivoyent larmes plus chauldes que la flamme du mont de Etna, & estoye par ire & douleur si aguillonné, qu’il fut impossible de plus sçavoir aulcunes parolles proferer. Quand Quezinstra veit que en telle extremité j’estoye reduict, benignement me voulut reconforter, & a telles parolles il donna commencement. Trescher amy, voz angoysseuses douleurs me font succomber en une extreme tristesse, & encores plus me desplairoit si du principe ne me feusse efforcé par continuelles simulations, vous pensant desmouvoir de vous adonner a tant tristes coustumes, lesquelles une foys en l’homme plantees, non sans grande difficulté, ne se peuent extirper ne abolir : Car cest appetit sensuel, est une infirmité incurable, de laquelle nayssent oblivion de Dieu & de soymesmes, perdition de temps, diminution d’honneur, discordables contentions, emulations, envies, detractions, exilz, homicides, destruction de corps, & damnation de l’ame, & en la fin nul fruict n’en vient, comme presentement le pouez congnoistre. Toutesfoys ne vous en pouez desister, a l’occasion que long temps avez plus suivy vostre inutile volenté, que la raison. Et pour ce estes totalement disposé de persister. Mais si debvez vous considerer que folle & non saine est la solicitude ou esperance ne se peult promettre, vous voyez que par vostre inconstance, & pour n’avoir poursuivy par moyens conveniens, vous estes occasion de la transmigration de vostre dame, & si estes ignorant du lieu de sa residence. Comment doncques sera il possible (puis qu’il y a deffault de l’object) de parvenir a ce que si affectueusement desirez ? certes je n’espere aulcun remede en vostre cas, sinon que par bonne discretion mettez peine de mitiger vostre fureur, & ne soyez du nombre d’aulcuns hommes, lesquelz sont si melencolicques & dedaigneux, que quand les choses ne viennent selon leurs desirs, subitement veulent mourir, qui est evidente demonstrance qu’ilz sont submergez en leurs lascivitez, & pour ce sont si impatientz & importuns, & le plus souvent pource que de raison sont alienez. La faulte qui leur doit estre attribuee ilz l’adaptent a fortune ou a amours : lequel par ignorance ilz estiment ung Dieu.

O combien sont detestables ceulx qui si presumptueusement attribuent divinité a ceste effrenee libidinosité, qui de tous espritz prudens debveroit estre contempnee : & pour ce necessairement vous fault mettre peine de vous reduire, & retirer les yeulx de vostre tenebreuse pensee, de l’inicque amour qui tant l’a occupee, & prenez mon amyable record en usant le contraire de ce que le cueur vous stimule. Pour troys choses est l’homme faict subject : ou par nature, ou par education, ou par discipline, aulcunesfoys de vice, & aulcunesfoys de vertu. Faictes doncques demonstrance que par aulcunes d’icelles, vous ne soiez esclave de vices, & ne permettez que ung triste accident adnichile les dons de graces, desquelz Dieu & nature vous ont doué.

Apres que j’euz escouté telles remonstrances (dont l’elegante & doulce prononciation, excedoit celle qui jadis distilla de la melliflue bouche du treseloquent Nestor) ainsi commençay a dire.

Quezinstra comme ainsi soyt que par raisons assez persuadentes vous efforcez de confondre & dissiper la puissance D’amours, laquelle est si grande que suffisamment ne la pourroit descripre toute la congregation de Pernase : vous pouez avoyr leu les histoires tant anticques que modernes : lesquelles font mention de plusieurs tant hommes, que femmes ensemble enchesnez, qui ont deliberé de eulx deslier, ce que n’ont peu faire, Mais par ceste passion sont mors comme Dido & Phyllis : lesquelles par amour violentement leurs vies finerent, comme prochainement se terminera la mienne : car par naturelle inclination contrainct je suis d’aymer chose gentille, honneste, & belle, comme est ma dame. Et plustost que de mon entreprinse laisser, me exposeroye a plus grand peril que ne fist Theseus D’athene, en domptant le monstre Minotaurus, ou que ne fist Jason a la conqueste de la riche toyson. Car je suis le defortuné qui tresaffectueusement la mort desire, qui me seroit liberatrice de mes peines & insupportables travaulx. Helas office de pitié auroit esté, si ma mere genitrice eust usé envers moy comme firent Progne ou Medee a leurs enfans : car le consumer languir par semblable passion, m’est trop oultrageusement acerbe.

Ce pendant que proferoye telles parolles, par plus grande yre me frapoye, & desrompoye mes cheveulx plus que ne faisoit Agamenon : lequel par furieuse douleur sa belle perrucque dilaceroit & rompoit : & a l’heure le mien compaignon s’efforçoit de me dire plusieurs parolles de confort, & entre aultres choses me disoit.

Guenelic je vous prie que par icelle amytié que m’avez tousjours porté, que vueillez vostre infortune avec deue esgalité tolerer & soubstenir, sans vouloir resembler a Marc Antoine & Neron Empereurs, ne aussy a Niobé & Arthemisie : lesquelz par leurs lascivitez abbregerent leurs vies, sans apprendre la vertu de vraye patience. Bien suis certain, que par la vehemence d’amours estes fort angustié : car tant plus ceste amour se trouve en ung subject plus ingenieulx & delicat, Plus griefvement le moleste, exagite & trouble. Et puis que evidemment je congnois, que pour perpetuel mancipe du seigneur Cupido vous estes dedié : Ce vous seroit chose tresurgente par l’exemple de Assuerus vous deslier d’ung neu, & vous lier en ung aultre, comme ledict Assuerus se sequestra de l’amour de Vasti, par le moyen de la belle & gracieuse Hester. D’aultre remede ne y a a vostre acerbe douleur, & aultrement vous seroit intolerable. Mais comme recite Aristote, que par la diversion d’ung fleuve, qui s’espand en plusieurs russeaulx, l’ung se diminue pour l’autre, & les derniers appetissent & deseschent les premiers : semblablement de plusieurs voluntez accumulees, les dernieres font oublier les premieres. Vous sçavez que en ceste cité y a grand nombres de belles dames disposees a aymer & a estre aymees. Disposez vous doncques de vous conformer au vouloir de quelque belle dame : laquelle facilement se submettera a vostre plaisir, tant a l’occasion de vostre beaulté, que de vostre florissante jeunesse. Et par ce moyen de l’aultre Dame vostre liberté retirez.

Ainsi comme Quezinstra me persuadoyt de me divertir de l’amour de ma chere Dame, en grand promptitude je m’efforçay de confondre ses dictz par exemple efficacieuse, & luy dis.

Quezinstra je suis certain & la verité est telle, que ung arbre transplanté le plus souvent deseiche, pourtant que a chascun est le plus naturel la terre de sa premiere semence, que une aultre estrange & incongneue. J’ay une foys mis mon cueur en ceste Dame avec si grande ferveur, que ne le puis ne le veulx distraire, pource que ne seroit chose honneste, licite ne concessible de permuer mes amours, veu & consideré que la mienne Dame est tant accomplie en dons de grace & de nature, que nulle ne se retrouve a elle equiparable. Et pour ce je prie le souverain des Dieux Juppiter, que son ire me confonde, ou que le frere & la seur, filz & fille de Lathone, de leurs splendeurs me privent, ou que les fœtides & puantes Harpyes par leurs infections stercoralles puissent infecter le lieu de mon habitation, ou que mon corps soit escartelé (comme fut celluy de Hippolyte) plustost que je soye si facile a me pouoir divertir ne diviser mon cueur en divers lieux. Et pourtant je vous supplie, que plus ne me vueillez insister au contraire, vous priant avoir recordation de nostre vraye amitié, affin que de vostre conseil & ayde ne me vueillez deffaillir presentement. J’ay certaines intelligences que amour est une essence : a la fruition de laquelle, par travaulx fatigues tolerances & douleurs insupportables se parvient. Et pour ce j’ay ferme propos de ne pardonner a aulcun peril. Je veulx cercher tous pays habitables, en surmontant de Ulixez les peregrinations, pour ma dame retrouver, considerant que a gens diligens & soliciteux, toutes choses sont deues. Hercules, Theseus, Pyrithous, Eneas, & Orpheus descendirent aux enfers, pour satisfaire a leurs aspirantz desirs : je ne suis moins desirant qu’ilz estoyent. Et pour ce je ne doubte riens : car l’ingenieusité faict l’homme hardy, & si n’est riens que amours ne puisse faire. Quand j’euz imposé fin a mon propos, Quezinstra donna principe a son parler & dit ainsi.

Guenelic je sçay bien, que a cueur totallement disposé, castigation, priere ne conseil, ne peuvent valoir : & pource que j’ay manifeste evidence, que de mes exhortations l’operation en est vaine, jamais plus ne vous en parleray, & me veulx deliberer, d’autant qu’il sera en ma faculté, vous prester ayde : car je vous porte si grande amytié, que de moy pouez disposer, comme de celluy qui est plus vostre que mien. Mais toutesfoys de cercher tant de païs que avez deliberé, sera chose fort penible & difficile, & encore si bien considerez, pour le present ne se pourroit faire, a l’occasion que le temps n’est a ce disposé : car necessairement fault attendre que l’hyvernalle froydure soit passee, affin que la ferocité de Eolus se mitigue : car aulcunesfoys par imprudence on est occasion de se nuyre. Le prince des poetes Homere louoit Enee, pour sa science de craincte : car ce n’est moindre vertu le fouyr, que est le demourer, (quand le temps ainsi le conseille.) Et pour ce patiemment vous fault attendre l’opportunité du temps : & ce pendant pour vous consoler & aulcunement letifier, souventesfoys la doulce memoyre de Helisenne raconterons.

Ouyes les parolles de diverses pensees & imaginations, fut mon entendement occupé, mais aulcunement me reconfortoye de la promesse par Quezinstra a moy faicte. Et a l’heure en larmoyant luy dis. O mon doulx amy les parolles de confort que me avez dictes, me sont occasion de temperer mon angoysseuse douleur. Car pource que je cognois la purité de vostre amour, & l’integrité de vostre noble cueur : par longue experience, Je suis certain, que je ne trouveray les parolles des effectz dissemblables : parquoy & vif & mort demeureray vostre debiteur. Ceste vostre discrete consideration de verité accompaignee, me rend facile a attendre patiemment le temps opportun.

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