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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Faictz d’armes de jeune chevalier.
Chapitre. IX.

O Deesse tresillustre, de laquelle la planete est l’une des plus refulgente qui soit entre les estoilles non fixes au firmament, laquelle est nommee Venus, pource qu’elle vient a toutes choses : aulcunesfoys aussy est appellee Hesperus, vesperus, ou Lucifer, c’est a dire portant lumiere.

O estoille marine & sidere journal precedant le soleil matutin : laquelle comme je croy a esclairé a ma nativité, en propinant a ma conception, ou fluence amoureuse, & complexion totallement venerienne.

O saincte deesse dont je invocque le nom, vueilles moy estre favorable, en exorant pour moy celluy, lequel pour acquerir ta benivolence, tempera ses fiers & durs regards, ce fut le Dieu des batailles Mars : auquel en faveur de toy j’ay parfaicte confidence & esperance totalle, que mon humble requeste sera exaulcee. Ces parolles prononcees, plus ne doubtay la verité de l’instable fortune : & nous parvenuz au tournoy, lequel estoit ja commencé, nous arrestames ung petit, pour contempler le duc de Fouquerolles, lequel excedoit les aultres en magnanimité de cueur : en sorte que riens ne arrestoit devant luy : il abbatoit chevaliers & chevaulx par telle fureur & impetuosité qu’il passa le tournoy en repulsant ses adversaires jusques aux barrieres : combien que le duc de Locres feist son debvoir de les soubstenir : & a l’heure Quezinstra picqua son cheval des esperons & rencontra le seigneur de Teuffle venant a luy, auquel il donna tel coup qu’il abbatit par terre luy & son cheval, & sans briser sa lance d’une mesme course furieusement attaignit ung aultre chevalier lequel il blessa merveilleusement, puis se mesla au plus fort de la presse, faisant merveilles d’armes, & moy qui de pres le suyvoie, feuz tant favorisé de l’amy de la deesse, que si humblement je avoye exoree, que je n’estoye digne de estre blasmé, quoy voyant ceulx de dedans, reprindrent leurs forces tellement que ceulx de dehors ne faisoient plus que souffrir : dont le duc de Fouquerolles fut fort irrité, & pour ce reprint nouvelle lance pour venir a Quezinstra : lequel en print une aussy, & s’entredonnerent des coups que Quezinstra sur tous estourdy, & quasi prest a tomber, mais le cheval du noble Duc qui toute la journee avoit porté la charge de l’estour ne peult supporter la violence du coup, & pour ce le Duc ensemble son cheval furent abbatus, & long temps demeura sur l’herbe verte : & quand il eust pouoir en grand promptitude se leva, & se retira hors des rencz oultrageusement irrité, comme est le vray naturel & coustume des nobles hommes, quand ilz se voyent suppeditez en efficace de vertu, luy estant si fort courroucé, qu’il n’estoit possible de plus. Le conte de Merlu survint & luy fist present d’ung puissant cheval, dont il avoit abbatu le maistre : adonc le Duc se commença a letifier esperant user de vindication, & pour ce s’adressa a Quezinstra, en proferant telz motz. Chevalier preparés vous a la jouste, car ce me tourneroit en trop grande anxieté, si vous aviés l’honneur de ceste journee sans bien le meriter. A l’heure Quezinstra ne voulut user de reffus : mais plus eschauffé que ung Lyon de Lybie : de toutes ses forces s’esvertua, tellement que de rechef le Duc fut porté par terre, des esclas des lances qui se briserent, & tressallirent jusques aux eschauffaulx, faisant tel bruyt qu’il sembloit que quelque puissante navire agitee du violent & horrible Boreas, fut collisee contre quelque marins scopule ou rocher. Lors dirent les dames.

O Dieu eternel, quel chevalier est celluy qui a jetté par terre le Duc de Foucquerolles : lequel au paravant rendoit tous les aultres fugitifz ? mais a present il a trouvé son superieur : Aynsi disoient les dames de Quezinstra lequel avoit tellement blessé le Duc, que pour l’extreme destresse de sa douleur, ne pouoit parler, ne rendre voix. Mais quand la parolle luy fut restituee, il dist.

O sublime Dieu, quel vigoureux chevalier, quelle furieuse lance j’ay a ceste heure rencontré ? Et lors on luy demanda s’il vouloit remonter : mais il fist responce que le plus diligemment qu’il seroit possible. C’estoit chose tresurgente : que on le porta hors de renc, car il sentoit bien qu’il ne seroit en sa faculté de se pouoir soubstenir. A ces parolles, par aulcun de ses gens fut incontinent transmigré : mais pour le present me deporteray de parler de luy, pour vous narrer les incredibles prouesses de Quezinstra : lequel apres avoir mys la main a l’espee, feist tant de chevalerie, qu’il me seroit difficile de le reciter : car il molestoit si oultrageusement ceulx de dehors, que celluy se pouvoit nommer felice qui evitoit la fureur de ses enormes coups. Le conte de Merlieu, faisoit son debvoir de resister, mais ce ne luy servit de riens car finablement ilz demourerent vaincus. Alors fist le Duc sonner la retraicte, & a tant cessa le tournoy, & tant d’une part que d’aultre chascun s’en alla desarmer.

Quand les Roys & princes furent reduictz au Palays : ilz commencerent a tenir propos de l’inestimable & indicible proesse du nouveau chevalier : & disoyent tous en general, que mieulx ressembloyt son vertueulx prince que simple chevalier : puis que nul ne trouvoyt es œuvres belliqueuses a luy equiparable, & que il estoyt digne que grand honneur luy fut exhibé. Voyant le Duc que chascun extolloit Quezinstra, il appella ung de ses Chevaliers, & luy donna charge de se transmigrer par devers nous, pour nous dire que il ne y eust faulte, des l’heure presente assister au Palays : & incontinent ces parolles ouyes, nous transportames, & ne feusmes en moindre benevolence acceptez, que fust Cicero du peuple Romain, quand de son exil il fist retour. Tost apres furent les tables dressees, ou l’on fut si opulentement servy, qu’il n’est a croyre, que aux nopces de Peleus & de Thetis (esquelles les celestielles Deesses eurent la contentieuse question de leurs divines formositez) eust gueres plus delicates viandes : avecq vins si excellens, que ilz esgaloyent les nectariennes liqueurs. Apres que le sumptueulx service fut achevé, commença la presente armonye du doulx son des instrumens, qui en si meduleuse resonnance armonisoient, que si la eussent estés Orpheus, Amphion, Thamira, & Dardanus, de tristesse se fussent cruciez, pour ne sçavoir en leurs musicques icelles approcher : ce pendant que les chevaliers & Dames se delectoyent a danser : les Roys & princes se devisoient du duc de Foucquerolles, lequel gisoit en sa chambre griefvement blessé : parquoy les princes me disoient, lequel d’entre eulx seroit esleu chef de ceulx de dehors, pour la subsequente journee : puis a la fin consulterent & delibererent, que se seroit le Roy D’athenes, lequel ne vouloit accepter la charge : pour ce que la premiere journee luy avoit esté si infelice, comme d’avoir blessé zelandin. Toutesfois il fut tellement stimulé qu’il ne peut plus user de reffus. Apres ceste deliberation faicte fut apportee une riche & superabondante collation de plusieurs confitures & vins delicieulx : puis apres chascun pour reposer, en sa chambre se retira. Mais Quezinstra & moy allasmes premier visiter zelandin, lequel nous feist ung doulx & begnin recueil : & entres aultres devises nous dist que merveilleusement estoit joyeulx que nostre commencement a l’art militaire nous estoit tant honnorable, comme on luy avoit faict ample recit : a quoy Quezinstra fist telle response : Monsieur si nous avions faict œuvre qui fut digne de louenge, a vous en debvroit estre l’honneur attribué : car sans vostre faveur ne fussions parvenuz a recepvoir l’ordre de chevalerie : parquoy vous referons toutes les sempiternelles graces, que a nostre petit present estat est possible, & non telles que a la vostre dignité conviennent. En disant ces parolles, a cause de l’heure tardive, prismes de luy humble congé, & quand nous fusmes en nostre secrette chambre retirez, Quezinstra se commença a deviser, & a remercier la vertu divine : laquelle ceste journee, nous avoit tant favorisé : a ces parolles je feiz briefve response : a l’occasion que par la vehemence d’amours estoye fort angustié, & par grand desir attendoye la fin de ceste feste : a ce que peusse peregriner pour retrouver ma desiree Helisenne. Mon compaignon me voyant ainsi, imposa silence a son parler, doubtant de me attedier : mais quelque temps apres que feusmes couchez, les nocturnes tenebres, le silence, les vapeurs de l’estomach avecq l’inaccoustumee lasseté, tellement mes sentismens lierent, que tout endormy demeuray.

L’oriental palais de Titon se commençoit desja a ouvrir pour illustrer tout l’universel, quand nous commenceasmes a appareiller : & en donnant principe au Matutinal parler, nous transportasmes en la chambre de Zelandin. Et apres luy avoir donné le bon jour, commença a nous arraisonner & parler de diversité de propos : & ce pendant survint ung chevalier, lequel treshonnestement nous salua : puis nous dict, chevaliers pour vous faire sçavantz de l’occasion de ma venue, debvez entendre que par le commandement du duc de Fouquerolles, me suis transmigré vers vous, pour vous prier de par luy, de vouloir assister en sa chambre, a ce que familierement vous puisse accointer : car vostre chevaleureuse magnanimité luy a causé si affectueulx desir de vous cognoistre, que depuis la journee precedente, n’a cessé de s’enquerir de vous, jusques a ce que par le Duc (lequel l’estoyt venu visiter) il en a eu certaine science, Et lors Quezinstra respondit, chevalier je vous certifie que merveilleusement nous tenons obligés au magnanime prince : puis que par son humaine benignité, desire l’accoinctance de si paoure chevalier, & qui ne sommes riens au respect de son altitude : & pour ce n’est raison que tant se humilie vers nous comme de nous prier : mais peult user sur nous de totalle prerogative & autorité, comme de ceulx qui nous voulons nommer ses perpetuelz mancipes, & pourra de nous disposer a son bon plaisir. En disant ces parolles, prismes nostre chemin vers le domicile du prince, & n’arrestames jusques a ce que en sa chambre feusmes conduictz, ou le trouvasmes tresmal disposé : toutesfoys avec grande hylarité de luy feusmes acceptez & receuz : & depuis les salutations & receptions faictes, non moins prudentement que doulcement nous interrogua de nostre estat : a quoy subtilement & ingenieusement respondismes, sans luy manifester l’occasion de noz voyages : & a l’heure par la subtilité de son esperit il eust certaine evidence que nous voulions tenir noz affaires occultes & secretes, & pour ce imposa fin a ce propos, & commença a dire. Nobles chevaliers quelz que vous soyez, de sempiternelles louenges estes dignes, a l’occasion des incredibles faictz D’armes, que en la journee d’hier feurent par vous accomplis, & pour la modeste honnesteté, que je vois resider en voz personnes, merveilleusement me letifie de vostre honneur & utilité, & bien desireroie que fortune vous feust autant favorable ceste journee que la precedente : n’estoit une chose que vous veulx celer, c’est pource que si par vous est obtenue la victoire, vous pourriés choisir celle des damoiselles qu’il vous plaira : & a ceste occasion suis agité d’une timeur excessive craignant que par vous je ne soye frustré d’une damoyselle fille au Conte de Merlieu, laquelle j’ayme si effusement & cordialement : que si je estoye possesseur d’autant de tresors que fut jamais Midas, mieulx aymeroye en estre destitué, que de faillir a mon esperee premiation. Dictes ces parolles, Quezinstra ainsi luy dict.

Monsieur toute beatitude ou honneur que l’homme reçoit en cest inferieur monde, il le doibt attribuer au souverain des cieulx, sans vouloir user de ingratitude, en ne estimant icelluy honneur luy proceder par son propre merite : & pour ce considerant la felicité, que il pleust a la supernelle bonté nous donner aide en cueur & en parolle, humblement le remercie, sans ce que aulcune louenge que l’on pourroit de moy proferer, me face succumber au laberinthe de presumption, ce que de tout mon pouoir veulx eviter : & quant a ce dont vous estes si timide, je ne y voy occasion : car peult estre, que l’eslargiteur de tous biens, a disposé de aultre que de moy de la victoire de ceste journee gratifier. Mais encores si ainsi estoit que tant de felicité me fust concedee, que je peusse retourner vaincqueur, bien je vous asseure que de vostre amye ne seriez spolié : mais au contraire vous en vouldroye faire vray possesseur, ce que bien seroit en ma puissance : car je ay entendu que le vaincqueur en pourra disposer ou en faire present a prince ou chevalier, tel qu’il luy plaira. Incontinent que Quezinstra eut achevé son propos : en face joyeuse le duc telle parolle luy dist.

O noble chevalier, soyez certain que la promesse que m’avez faicte m’est plus aggreable, que ne seroit la conqueste de toute la terre de Asie : car j’estime tant de vostre vertu : que je croys indubitablement, que retournerez victorieulx : & a l’heure si vous desirez chose qui soit en ma puissance & faculté : pas ne debveriez differer de me le declarer : car vous ne trouverez reffus a chose que puissiez requerir, & en faveur de vous ne veulx moins offrir a vostre compaignon.

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