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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Complainctes d’amoureux.
Chapitre. XIX.

Depuis hier (Madame) que parlay a vous, j’ay continuellement consommé le temps en merveilleuse sollicitude, craignant que monsieur vostre mary ne vous eust molestee, ou mal traictee, sans ce que eussiez sceu evader son impetueuse ferocité, que je comprendz estre grande, parce qu’il m’a veu parler a vous. Las si je pensoye que a l’occasion de moy eussiez souffert quelques precipitations ou peines, ce me seroit douleur pis que la mort, parquoy je vous exore & prie de m’en vouloir advertir, a celle fin que futurement je modere mon vouloir & affection, en dissimulant l’excessive amour que je vous porte. Et entre toutes les aultres choses je prendz admiration, & ne puis conjecturer pour quelle cause je fuz ung jour menassé d’ung qui se disoit vostre serviteur domestique : lequel en parlant occultement me deist aulcunes parolles non intelligibles, & pour ce je ne sçavoye que presupposer, & craignoye fort que ne luy eussiez declaré de noz amours : mais parce que nous estions en la rue, ne m’en vouluz enquerir, craignant vous offencer.

Apres que je l’euz escouté, & bien recueilly ses parolles, je luy ditz. O Guenelic, soyez certain que je suis fort marrie de vous veoir en ces fascheux & ennuyeux termes. Il semble par voz parolles que je soye quelque femme lascive. Ne considerez vous pas en vous mesmes ce que je vous ay predict, & encores (si c’est vostre plaisir) le vous veulx reiterer. C’est que mon mary m’a tousjours veu user de telle honnesteté & modestie, que par ce moyen il n’a aulcune dubitation sur moy : & bien me peulx glorifier que jusques a present, tellement ma vie a esté instituee, que n’ay esté digne de reprehension : & je vous supplie que vous desistez de telle timeur, qui est sans occasion : & quand a ce que me avez dict d’ung mien serviteur : lequel vous a monstré quelque menasse, je ne puis ymaginer dont procede la cause : & ne debvez craindre que de mon sens je soye si alienee que je luy aye exhibé ce qui est digne d’estre confermé soubz profonde silence. Apres avoir ce dict, nous feusmes quelque espace de temps sans parler : car entre nous les continuelz souspirs pulluloyent, en jectant doux & amoureux regardz, en sorte qu’il nous sembloit que nature de soy mesme s’esmerveillast, puis apres Guenelic reprint le propoz, & deist ainsi.

Madame, je vous supplye que ne vous irritez aulcunement, & ne me vueillez imputer a malignité, ce que je vous ay familierement declaré : car la timeur du grand enflambement qui naistre en pourroyt (si monsieur vostre mary en avoyt quelque doubte) m’a contrainct de prononcer telles & semblables parolles : & si en partie aulcune, vous estimez de moy offensee je suis celluy qui a tout dernier supplice, me efforceroye pour la faulte reparer ou amender, car en vostre vouloyr consiste toute ma presente & future beatitude & felicité, ou ma perpetuelle calamité, & si a vostre bonne grace je suis accepté, ma vie en sera doulce & tranquille, & si aultrement vous disposez, soubdainement au vivre feray cession : mais je suis aulcunement corroboré & reconforté, parce que certain suis estre en la puissance de celle qui ne pourroyt, sinon avecq clemence & doulce mansuetude juger, & pource que c’est chose humaine avoyr compassion, Je vous supplie de mollifier vostre cueur, & vueillez retribuer ou remunerer ung vostre serviteur entier & cordial de tant de fatigues par luy soustenus. Et pendant que nous avons le temps commode & propice : ne vous soit ennuy de me certiorer de vostre ultime & finale volunté. Apres les doulces & suaves parolles je luy commençay a dire. Mon amy, je comprendz voz parolles & profonde eloquence tant efficacissime : qu’elle pourroit pervertir la pensee de la chaste Penelope, & attraire le courage invincible de la belle Lucresse : mais peult estre que voz doulces & attractives parolles sont fainctes & simulees : car le plus souvent vous aultres Jouvenceaulx usés de telles faintises & adulations pour circonvenir la simple credulité fœminine, aulcunesfoys peu constante & trop liberalle : et ne tendez a aultre fin, sinon que a priver d’honneur celles que vous dictes tant aymer : mais si je pensoye que en vostre amour feussiez ferme & stable, & que vostre vouloyr ne feust aulcunement muable ne transitif, affin de ne estre ingrate de si grande amour, si la faculté me estoyt concedee, je desirerois vous premier & guerdonner de voz services : mais comme je vous ay par plusieurs foys dit. Comment se pourrois accomplir vostre vouloyr, sans denigrer & adnichiler en moy la chose, qui en plus grande observance que la propre vie se doibt conserver ? Considerés que toute chose perdue restituer se peult, sinon en chasteté corrumpue : parquoy si je use de pitié en vous, je useray de crudelité en moy mesmes, par estre peu estimative de mon honneur, et pourroye succumber aux dangiers des langues pestiferes, dont en grand peine en bien vivant se peult on garder.

A ces motz ne differa point la responce : mais avecque une eleguante & doulce prononciation me deist. Ma dame unicque, se pourra il faire que soyez si cruelle que par trop grande acerbité a mort me conduysés ? Voz parolles par lesquelles je ne puis gueres esperer, ne me sont de moindre douleur que fut la chemise de Dianira a Hercules. Las ma Dame si tant de felicité me estoit concedee, que je puisse parvenir a mon desir & affection : Auriez vous si maulvaise estime de moy, que par ung vouloir pervers & inique je voulusse divulguer le secret de noz amours ? plustost me exposeroys a mille especes de mort : mais vouldrois estre secrete & curieuse, autant de l’honneur que de l’amour : & si vous pensez que mes parolles soient proferees par simulation ou faintise, grandement seriez alienee de la verité : car ce n’est ma coustume de user de parolles aornees ny adulatoires, entendu que de nulle vivante : je ne quis oncques la familiarité que de vous, & pourtant ne debvez differer de exaulcer ma requeste, en chassant toute rigeur de vostre noble cueur, & me vueillés liberer de si grande anxieté & douleur, sans me laisser continuellement languir.

Finies les doulces & melliflues parolles, je fuz en si excessive joye reduycte, que nulle chose je respondoye, mais en jectant grand affluence de doulx souspirs, luy signifioye la doulceur intrinseque, que par ses parolles j’avoye receue : mais subitement revint en ma memoyre la crainte de mon mary, qui me causa une extreme destresse, pour la timeur que j’avoye d’estre trouvee parlant a mon amy : en prenant ung doulx & amoureulx congé, luy ditz. Vivés en esperance : car soyés certain que je auray de vous memoire. Et luy continuant ses humbles, doulces & depriantes parolles de moy se partit, & encores ne estoye gueres eslongnee, que mon mary survint & luy circonvenu, incontinent nous retirasmes en nostre domicille.

Depuis les amoureuses devises, je continuay tousjours de frequenter le lieu, qui est dedié pour a chascun faire droict & accord : mais je feuz long temps sans que j’eusse l’opportunité de nous assembler en devises. Je ne sçay si mon amy differoit par crainte, ou s’il le faisoit par cautelle, affin que l’amour peust accroistre en moy, parce que aulcunesfoys par continuelle conversation on se fastidie & ennuye, Car la chose moins visitee & congneue, engendre plus de admiration. Je pensoys & ymaginoys incessamment, quelle pouoit estre l’occasion de si grande observance & silence, & venois souvent a reduyre en ma memoire les propos que nous avions tenus ensemble, & y prenois une singuliere delectation : aulcunesfoys en telles varietez de pensees je disoye en moymesmes, c’est la crainte de mon mary qui le garde de parler a moy : car par ce que par conception puis comprendre, ou par fantasie ymaginer, il ne adjouste aulcune foy en mon dire : car il ygnore l’excessive amour que je luy porte, a l’occasion que je le persuade de croire le contraire de cela, dont il a manifeste demonstrance. Mais ce qui me garde de luy declairer, c’est la crainte que j’ay de le perdre. Plusieurs jours passois & consumois en pensant & meditant diverses & nouvellles fantasies, tellement que par continuer je tombay en une insidieuse fiebvre, qui me debilitoit & dissipoit le corps, avecq si grand vehemence, que impossible m’eust esté me soustenir : parquoy contre mon vouloir je delaissay le plaisant & solacieux exercice du lieu plaidoyable. Mon mary continuoyt d’y aller selon sa coustume, & quelque foys me disant avoyr veu mon amy, pour experimenter quelle seroyt ma contenance, & une foys entre les aultres me deist. J’ay veu ce meschant homme remply de iniquité, seminateur de tous maulx, remply de libidinosité & infamie. Je dictz le traystre ton amy : lequel m’a tousjours suivy, je ne sçay se il pense que je ne congnoysse ses manifestes follyes, dont je ne ose monstrer aulcun semblant pour la timeur que je ay de t’engendrer scandale : parquoy il peut seurement aller par tout : car pour la conservation de ton honneur je ne le vouldroye aulcunement molester : mais je soubhayte le tenir dedans mes boys, a l’heure je userois de cruelle vindication, en luy faisant tresgriefz & innumerables tourmens : puis apres que mon appetit seroit rassasié de le travailler, je te feroye present de son corps tout desrompu & lasseré : & a l’heure t’enfermeroys en une tour, ou par force & contraincte je te feroye coucher avecq luy, puis apres luy ferois user sa detestable & miserable vie, par la plus cruelle & ignominieuse mort qui seroit possible de me adviser. Ainsi qu’il se delectoyt a dire telles ou semblables parolles, je l’escoutoye merveilleusement courroucee, & en basse voix je commençay a dire en me adressant a Dieu.

O Eternel, exalté et sublime Dieu : si quelque fois vous plaist ouyr les miserables pecheurs, prestez vostre ouye a ma priere et supplication, et ne regardez en mes pechez & iniquitez. Mais par vostre infinie bonté, doulceur & clemence vueillez accepter & exaulcer ma requeste, qui est telle, que vueillez preserver et garder le mien amy de la cruelle ferocité de mon mary. O paoure desolee que je suis, je congnois et sçay vous avoir griefvement offensé par infinis desirs que j’ay eu d’accomplir mon appetit desordonné, & encores ne me puis repentir, parce que suis du tout privee & destituee de ma liberté. O souverain Dieu, je suis certaine que sçavez le secret de mon cueur : car la divine præscience sçait & congnoist tout, sans riens reserver, et voyez que continuellement je suis tentee de me vouloir tuer et occire sans avoir regard a la perdition de ma paoure ame : et pourtant vous exore et prie que m’octroyez la mort, qui est la derniere fin de toute chose, pour eviter que par excessive douleur, je ne soye contraincte de perpetrer chose si enorme et abominable, a quoy je ne sçauroye resister, si le cas advenoit que mon mary commist homicide en la personne de celluy que j’ayme avecq telle fermeté, que plustost pourroye souffrir mille foys la mort par mille manieres de tourmentz & griefves douleurs, que me sçavoir distraire de son amour. Et doncq pour eviter le plus grand mal, plaise a ta doulceur & benignité de maintenir en vie le mien amy, et si de telle grace ne suis digne, et que ma voix ne puisse toucher vostre altitude Dieu eternel, je supplie les sainct glorifiez, qu’ilz vueillent estre intercesseurs pour moy, affin que par ce moyen mon humble requeste soit exaulcee. Apres avoir faicte telle priere & supplication me semblois estre aulcunement allegee, toutesfoys je fuz assez longue espace sans me pouoir revalider : mais la singuliere affection que j’avoye de parler a mon amy, me contraignit de me lever & aller au lieu judiciaire, premier que feusse guerie : auquel parvenue, je trouvay mon amy, qui de sa premiere coustume estoit fort aliené. Car de la premiere veue, & plusieurs foys depuis accoustumee salutation laissa l’office : mais en passant souvent pres de moy par faintive dissimulation se devisoit de procés, & sembloit que sa pensee feust occupee de merveilleuse sollicitude, Et moy espouventee : ne sçavoye la cause dont procedoit telle observance de silence. Je me doubtoye de quelque nouvelle amour, & disoye, ma longue absence aura peu aliener mon amy de moy : car luy qui est disposé a aymer, & si est digne d’estre ayme, peult avoir trouvé quelque une (selon son desir) aussi disposee a aymer. Parquoy des peines de tant de temps en petite heure seray privee. O peult estre que contre moy est irrité de quelque chose, dont je ne sçay l’occasion, Et se ainsi estoit, y pourvoir ne me seroit possible, pource que a medecin ignorant impossible est le medeciner. Telles variables ymaginations m’estoient tresgriefves, & quasi insupportables, pour les vaines opinions qui me tenoient en suspect, & me causoient une fiebvre si tresfroide (avecq la crainte que j’avoye) que je m’esvanouyssoye : mais apres mes innumerables considerations, deliberay souffrir plus patiemment mes calamitez, en me occupant a penser & a ymaginer par quelles manieres je pourroys estre certioree de la cause de si estrange mutation. De diverses pensees, cures & solicitudes fuz par plusieurs jours travaillee & penetree, voyant mon amy perseverer en telle orguilleuse superbité, & s’il n’eust esté accompaigné (comme il estoit tousjours) je n’eusse esté si lente de parler a luy, pour sçavoir la cause : mais nonobstant, quelque fois je fuz tellement contraincte de furieuse rage D’amour, dont j’estoye enflambee, si que je ne pouvoye plus souffrir l’extreme douleur interieure qui estoit en moy, parquoy sans avoir honte ne vergogne, voyant mon amy se pourmener, je le suyvis, & sans premediter ce que je debvoye dire, fuz si hardie que le tiray par la manche de sa robbe, & doncq il me regarda comme fort esmerveillé, & se arresta, & a l’heure je baissay la veue : & pensay ung petit. Puis apres pour ne sçavoyr trouver commencement de propos plus honneste, luy demanday s’il n’avoit point veu mon mary, luy disant que je le cerchoye pour luy exhiber quelques letres qui me estoient survenues. Et lors il me respondit que non, & se departit sans aultre chose dire. Mais peu de jours apres avecq une grande audace & superbe oultrecuydance vint parler a moy, & me dist.

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