← Retour

Les angoysses douloureuses qui procedent damours

16px
100%

Rencontre de brigans sur le chemin, & de leur deffaicte.
Chapitre. III.

En tel propos passasmes ce jour, & tousjours depuis je souffris plus temperement. Mais par innumerables foys je priay Apollo en disant.

O Apollo si aulcune souvenance du gentil laurier encore te reste, je te supplie que en plus grande promptitude veuilles faire ton cours. Puis apres quand la splendide fille de Lathone commençoyt a ses cornes demonstrer, je disoye.

O Phebé si encores aulcune memoire de ton amy Eudimion aupres de toy faict residence, vueille avoir compassion de moy, & te monstre diligente & legiere en ton cours, pour abbrevier le temps. En tel exercice passé plusieurs jours, jusques a ce que le temps se commence a preparer selon mon affectueux desir.

Et a l’heure Quezinstra & moy sans plus vouloir differer, deliberasmes de partir. A la deliberation nous donnasmes l’effect : & soubz couleur de vouloir peregriner & visiter aulcuns sainctz lieux, prins congé de mes parentz & amys, & prismes nostre chemin devers une noble Cité, le nom de laquelle estoit Sirap : mais premier que nous y peussions parvenir, nous intervint une perilleuse adventure, dont je vous veulx faire le recit. Ce fut comme nous passions par une grande forest, nostre acerbe fortune permist, que feussions rencontrez de plusieurs gens de detestable vie : car de aultre chose ne servoyent, que de furtivement piller ceux, qui par ceste forest passoient. Et ce voyant telle maniere de gens, je fuz commeu de quelque timeur, car ces infelices ravisseurs, par leurs philosomie ne se demonstroyent moins cruelz, que Busiris en Diomedes, mais mon compaignon qui moult se fioit en sa force, par ung magnanime couraige, me commença a exhorter, me disant que virillement nous convenoit deffendre. Ce pendant ceste mauldicte sorte de gens s’approcherent de nous : & l’ung d’eulx qui excedoit les aultres en haulteur & puissance de membres, avec une grande audace & superbité nous dict, que sans aulcune dilation luy feissions delivrance totalle de ce que nous avions de pecune, ensemble de noz chevaulx & habillemens. A quoy Quezinstra feist response, que nous n’estions deliberez de ce faire, mais les prioit qu’il nous laissassent aller, sans nous vouloir molester ny oultrager. Incontinent ceste response ouye, ilz commencerent a nous assaillir, & lors Quezinstra mettant la main a l’espee ce commença vertueusement a deffendre, en sorte que du principe donna si grand coup sur la teste de l’ung, que oultrageusement fut vulneré, parquoy violentement luy convint baiser la terre. Puis apres de toutes se forces s’esvertua & donna sy merveilleux coup dextre a ung aultre, que de part en part fut transpercé, & a l’heure a l’exemple de luy me deffendoye, & me fut fortune favorable, en sorte que de ma main en blessay deux si fort, que depuis ne fut en leur faculté de nous nuyre : Ce que voyant les aultres, commencerent a estre timides, toutesfoys celluy qui premierement avoit esmeu le debat, les instiguoit & exhortoit de non laisser leur entreprinse, & lors ilz s’accumulerent & assemblerent en trouvant moyen de tuer noz chevaulx, dont nous feusmes merveilleusement irritez, & par especial mon compaignon, duquel le corps & le couraige n’estoit aulcunement fatigué, mais tousjours continuoit & perseveroit en magnanimité, gentilesse & force de couraige. Si se vint adresser a celluy qui estoit le plus puissant, & qui plus nous grevoit, en luy donnant si grand & enorme coup, qu’il luy fendit la teste jusques aux dens. Puis apres d’ung aultre coup abatit a ung aultre le bras & l’espee par terre, ce que voyant les aultres, craignant d’estre precipitez comme leurs compaignons, se renderent fugitifz. Toutesfoys pour purger la terre de gens si abominables & detestables, en grand diligence par nous furent poursuyvis, & eulx voyans qu’il ne leur estoit possible de evader le peril mortifere, se retournerent resistant le plus qu’ilz peurent en sorte que Quezinstra, qui n’estoit encores gueres blessé, fut vulneré a l’espaule senestre. Et moy qui pres de luy estoye, feuz griefvement navré au bras. Mais toutesfoys pour ce ne nous desistames de les vouloir macter, mais le cler Phebus commença a abaisser son curre devers les parties occidentales, pour plonger ses ardentz chevaulx es ondes de Tetis. Parquoy contraincte nous fut de nous desister de nostre entreprinse. Car a l’occasion des nocturnes tenebres, nous ne sceusmes qu’ilz devindrent. Et lors nous assismes soubz ung arbre autant attediez & faschez, de ce qu’il nous convenoit demeurer la pour la nuict que de l’angoysseuse douleur que nous souffrions de noz playes. Las j’estoye en telle extremité, que la cruciee vie aultre espece de salut ne retenoit : sinon la piteuse memoire & recordation de ma dame, dont l’absence m’estoit si griefve, que ne me pouoye contenir sans me plaindre & lamenter. Mais Quezinstra ymaginoit, que la cause de mes anxietez procedast des peines & travaulx que nous avions souffers ce jour. Parquoy avecques une doulceur, urbanité & clemence me deist ainsi.

Guenelic je m’esmerveille fort, a quelle occasion en lachrimes & gemissemens vous consommez vostre vie, veu que le dieu souverain nous a faict de telle grace dignes, que nous avons suppedité & dompté ceulx qui avoient ferme propos de cruellement nous faire mourir : parquoy nous pouons esperer de prosperer en ce voyage. Ne considerez vous, que nul glorieulx triumphe sans fatigues ne se peult acquerir, ne posseder : ignorez vous les grandes infortunes de Pompee, la troublee jeunesse de Jule Cesar ? lez loingtains & penibles voyages du facond Ulyxes ? les perilz & naufrages de Enee & de Ajax Oyleus : vous debvez entendre que tous haulx & genereux espris, ont de coustume opposite fortune. Non pour tant en despit d’elle, leurs noms demeurent en sempiternelle louenge. Confortez vous doncques, considerant que quand aurez Helisenne retrouvee, de vostre extreme misere, doulx en sera le record. Plus agreable chose ne de plus grand plaisir n’avoient les dames Grecques : que de ouyr narrer les peines & travaulx par leurs marys souffers & endurez : car ce qui a souffrir est ennuyeulx a le rememorer en contempnement est une felicité. Et pour ce ne debvez estre si debile, & de tous accidens ainsi vous esmouvoir : Mais reprenez les forces de vostre cueur : & amour en la fin vous donnera victoire.

Ainsi comme Quezinstra benignement me consoloit je luy dis. Las mon doulx amy, la cause de mon pleur ne me procede pas pour le fatigieulx travail que j’ay ce jourd’huy soustenu : mais seulement me crucye de ce que aux laborieuses peines pour avoir endurees : je ne voys premiation aulcune, qui de futur confort soit presage. Et a ceste occasion amour & timeur a mon douloureux cueur ont mis le siege : lesquelz continuellement me exagitent & tourmentent. Et avec ce non moins me est moleste le mal que pour moy miserable souffrez, que celluy que mon ingrate fortune journellement m’appareille.

Comme je proferoye telles parolles, l’air se commença a obtenebrer. Eoluz dominateur des ventz, a l’heure de sa fureur voulut user : & subitement fut l’air sy obscurcy, que l’on ne eust sceu juger de l’ung & l’autre hemisphere, toutes planetes & estoilles fixees & erratrices estre deschassees : en cest instant survindrent tonnoyrres jaculez par la fureur du premier filz de Saturne, avec une si grande superabondance d’eauue, que l’air obtenebré avoit la face si espouventable, que aultre chose ne se pouvoit esperer que le cruel Chaos. Nous estant en telle perplexité avions recours a exorer celle qui de l’altitonant est mere & fille, qui le salutifere enfant au deffaillant monde enfanta, que par sa doulceur & clemence nous voulut preserver de estre submergez, comme fut aultresfoys le genre humain, sans que nul peust evader ce peril, sinon Deucalion, & sa femme Pirra. Ainsy faictes noz humbles requestes & devotes supplications : commencerent a se separer les nues, & lors bize & zephirus servirent de faire seicher la terre : qui fut occasion de nous aulcunement reconforter, en remercyant celluy qui de l’eauue salutaire la Samaritaine rassasia.

Quand la belle Aurora fut levee du lict de son mary Titon, & se apparoissoit en son habit de pourpre, pour estendre sa lumiere sur la terre : nous donnasmes principe a investiguer & cercher dedans ce boys, pour sçavoir si aulcun lieu habitable se y pourroit recouvrer. Mais en regardant en plusieurs & divers lieux, nous apperceusmes ung petit habitacle, ou residoit ung devot hermite. En speculant & regardant la situation de ce petit lieu, qui bien estoit significatif de grande saincteté, nous approchasmes, & comme nous voulions heurter a la porte, le frere en sortit. Les deues reverences & salutations faites, nous feist entrer en son domicille. Et apres avoir ung peu refocillé noz lassetez, luy commençasmes a narrer noz infortunes, dont il luy print pitié & compassion, & nous promist de nous revalider & guarir de noz vulnerations, nous disant que tousjours avoit esté studieulx a l’art de chirurgie, a quoy il estoit assez experimenté, & que pour ceste cause nous debvions estre asseurez, sans aulcune dubitation. Ainsy nous reconfortoit ceste bonne religieuse personne, qui reluysoit en purité & sincerité. Et a l’heure Quezinstra me dist. O Guenelic nous sommes bien tenuz de regratier, venerer & adorer le sublime dieu, par la providence duquel le ciel, le monde & le moment humain se rege & gouverne : qui de tant de grace nous a faict dignes, comme a de trouver ceste saincte personne pour nostre refuge consolatif. Ainsi devisans, le religieulx de nous se sequestra, puis tantost apres revint, & nous administra herbes & racines pour la refection corporelle, dont nous prismes autant que a la necessité estoit convenable. Et par ce moyen a la debilitante fain fut donnee repletion. Puis apres il s’entremist de regarder noz playes, & quand il les eut visitees, il nous acertena de briefve guarison, puis les commença a oindre d’ung oignement soef & odoriferent, que la senteur equipare a l’ambrosie & nectar. Il continua plusieurs foys, en sorte que dedans huyt jours feusmes reduictz es termes de nostre santé & bonne valitude : mais nous estions merveilleusement debiles, de ce que durant ce temps n’avions esté refectionnez que d’herbes & racines, & pour nous rassasier que de la claire fontaine, Mais non obstant la debilitation ne vouluz differer de partir, car le simulacre de Helisenne, avec si grand vehemence en ma triste memoire assistoit, que d’aultre imagination n’estoyt ma pensee occupee. Et pour satisfaire a mon desir, Quezinstra se consentit de donner principe au chemin : parquoy en adressant son propos au bon hermite luy dist. Certes il ne seroit en nostre faculté de vous pouvoyr rendre toutes les graces, qui a tant grand merite feussent correspondantes, ne ainsy que nostre cueur le desire, de nous avoir recueillis & benignement traictez. Mais celluy seigneur, a qui en sy grand solicitude servez, sera vostre remunerateur, en vous retribuant de l’œuvre charitable, dont avez usé envers nous. Ces parolles proferees, partismes de ce bon religieux : lequel nous accompagna, jusques a ce que nous feusmes hors du boys : nous promettant d’avoyr memoire de nous en ses prieres & oraisons : affin que le Dieu eternel nous octroyast felicité & prosperité en nostre voyage.

Chargement de la publicité...