Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Combat
de deux champions pour
appaiser une guerre.
Chapitre. XIIII.
Apollo sur la queue du supernel escrevice precipitoit son tresgrand veloce curre, illustrant le meillieu de sa sphere par violente chaleur : & faisoit mourir tous terrestres fruictz, quand les deux vertueulx chevaliers en la presence de plusieurs a l’heure assignee se trouverent. Le frere de L’admiral estoit richement armé & si estoit monté sur ung puissant & leger cheval : car il estoit extraict de l’ung des chevaulx de Mars, & d’une Elephante. Quezinstra ne avoit aultres armes que ses blanches : mais l’ung des parens de Madame luy avoit faict present d’ung cheval, qui estoit extraict de la rasse de Pegasus. Beau faisoit veoir la singuliere magnanimité des deux nobles chevaliers, desquelz la valeur estoit si grande, que milles langues de Poetes ne la sçauroient exprimer : car chascun d’eulx se demonstroient assez pleins de proesses, pour attendre le fier, superbe & cruel Dieu Mavors : lequel toutesfoys fist grande timeur aux merveilleux Geans. Ce pendant que toute l’assistence tant d’une part que d’aultre extolloient la vertueuse contenance des deux champions : par si grand impetuosité se esmeurent, que l’espouentable bruyt qu’ilz firent au rencontrer de leurs lances, ne fut moindre que celluy du mareschal de Juppiter Vulcan fabricateur des tonnerres & fouldres. Il sembloit que de son siege fut precipité, l’anticque Saturne, avec toute la machine, soubtenue par le puissant Athlas. Le belliqueulx Quezinstra attaignit le Chevalier au millieu de l’escu, tellement qu’il le penetra jusques a la chair : & de ce coup fut porté par terre : & pareillement fut attainct Quezinstra sur l’escu, & ne peut evader qu’il ne tumbast : mais il se releva le premier : si mist la main a la bonne espee, & courut sus au chevalier qui promptement se estoit relevé : si luy donna tel coup sur le bras dextre, qu’il le fist agenoiller ung genouil. D’aultre part le chevalier donna ung merveilleux coup sur le heaulme a Quezinstra : puis cuida recouvrer : mais le gentil Quezinstra par son agilité saulta a costé, & ne fut attainct : le coup descendit en terre : tellement que a peine peust son espee retirer. Et ce pendant le courtoys Quezinstra attendit jusques a ce que il l’eust retiree. Puis commencerent a eulx entredonner sy tresmaulvais & enormes coups, qu’ilz detrencherent & percerent de toutes partz leurs escus & leurs harnoys : sy furent long temps, que l’on ne pouvoit juger, lequel obtiendroit la victoyre : qui fut occasion de causer merveilleuse timeur aux assistans, tant d’une part que d’aultre. Mais l’extreme tristesse & craincte que je avoye, excedoit celle de eulx tous. Tant dura celle bataille, que les chevaliers estoient tant fatiguez & travaillés, que il ne estoit possible de plus : toutesfoys Quezinstra ne se demonstroit si las, que le frere de L’admiral : lequel en se couvrant le mieulx que il pouoit de ce qu’il luy restoit de son escu, ne faisoit plus que souffrir : en sorte que d’ung coup que Quezinstra luy donna sur le heaulme : il le fendit & divisa en deux partz : & luy fist une grande vulneration, & tumba le heaulme a terre, & le chevalier quant & quant. Et pource que il avoit beaucoup perdu de son sang, ne se pouoit relever : ce que voyant le noble Quezinstra, se approcha de luy & le ayda a relever. Et quand le frere de L’admiral considera la debonnaireté & courtoysie de son adversaire : luy dist ainsi.
O victorieux chevalier, bien est temps que je me desiste de plus vouloir resister contre vous : & que me mettes du tout en vostre mercy : mais puis que aux immuables cieulx ainsi plaist vostre valeur inestimable accompaignee de benignité, me faict reputer felice de estre dompté & suppedité par le plus preux chevalier de l’universel : auquel je ne veulx refuser de me rendre obeissant : avec certaine deliberation de tousjours perseverer en vostre felice servitude. A ces motz respondit Quezinstra, monsieur, je vous asseure que tresjoyeux suis de me avoir experimenté contre ung si vertueux chevalier comme vous estes : car je vous puis nommer la fleur de tous ceux que je trouvay jamais, depuis que je ay donné principe a l’exercice de l’art militaire : & si par vostre benignité me faictes ouffre de vous dedyer a mon service, soyez certain que je ne veulx faillyr de vous faire ouffre reciprocque : car il ne seroyt en ma faculté de vous remunerer du grand bien & singulier plaisir, que par vostre moyen m’a esté faict en preservant de mort le myen compaignon : lequel je n’ayme pas moins que moymesmes. Et pour ce me repute a vous perpetuellement obligé, comme sy ma propre vie m’aviés conservé. Ces parolles dictes tenant la main l’ung a l’aultre, s’en vindrent au pavillon de L’admiral : lequel s’estoyt absenté pour ne pouvoir plus souffrir l’anxieté qui le molestoyt, pour la timeur qu’il avoyt que en ceste bataille son frere ne receust mort. Mais quand il le veist (combien que ce luy fust chose griefve a tolerer, de ce qu’il estoyt vaincu) sy fust il aulcunement reconforté, & feist assez bon recueil a Quezinstra : puis luy dist, chevalier je voys apertement que les Dieux ne sont favorisans aux superbes courages : mais au contraire les mactent & oppriment, ainsi que je congnoys par moy, qui estimoys que nul ne peust resister contre ma puissance : laquelle je croyoys estre invincible, & avoys entreprins de totallement expugner ceste noble cité : & si mon cruel & inique desir eust sorty son effect, j’avoye conclust de continuellement affliger la dame, en luy inferant, & faisant diversitez de tourmens : combien toutesfoys que jamais sa purité & sincerité ne me ayent offensé : car pour le reffuz qu’elle a faict de moy, ne se doibt on esmerveiller ne luy ascripre ou attribuer a coulpe : Car presentement les raisonnables considerations me contraignent de dire, que de vray sens elle eust esté alienee : si elle eust acquiescé a ma requeste : car a sa gentille jeunesse, ne convient homme si antique, debile & cassé comme je suys. A ces motz se print a soubzrire Quezinstra : & riens ne luy respondit. Ce pendant furent mandez les chyrurgiens, pour applicquer quelques medicamens aux vulnerations du frere de L’admiral : lequel ilz trouverent merveilleusement blecé : toutesfoys n’y avoit peril de mort. Ilz voulurent regarder aulcunes petites blessures de Quezinstra : mais il dist que necessairement convenoit qu’il retournast a la cité, ou tout a loysir y pourroit faire adapter quelques oingnemens aptes a le secourir. Et pour ce sans plus delayer, prinsmes congé de L’admiral & de son frere : lequel se contristoit fort de ce qu’il estoit si griefvement blecé : & plus detestoit son acerbe fortune (qui a l’occasion de ses playes l’empeschoit de nous associer) que pour l’extreme douleur qu’il en sentoit : car sans cela, avoit deliberé de nous tenir compaignie en toutes noz adventures bonnes & adverses. Mais considerant qu’il n’y pouvoit remedier, patience luy fut necessaire.
Ainsi doncques nous en retournasmes avec grand hylarité de cueur : car jamais Octovian ne fist plus joyeulx retour de Egypte, que nous fismes en la Cité, en laquelle fusmes avecq grande benevolence recueilliz & acceptez : & nous fut exhibé & monstré plus d’honneur, que ne feirent oncques les Grecz au magnanime filz de Thetis. Et comme nous feusmes aux degrez du palais, sortit la Dame, & vint au devant de nous, & quand elle fut approchee, estroictement nous embrassa : & quasi en larmoyant dict : auquel de vous je reste plus redevable, discerner ne le pourroye : ou a vous Quezinstra, pour me avoir esté vray protecteur & deffenseur : ou a vous Guenelic, en faveur duquel plus a esté la chose entreprinse, que pour aultre cause : car depuis que fustes prisonnier, vostre compaignon fut si anxieulx, que nullement ne se peult consoler jusques ad ce que il fut certioré de vostre bonne convalescence. Parquoy je puis bien imaginer, que autant l’a faict pour vous restituer votre liberté, que pour la pityé & commiseration dont il a esté commeu pour me veoir en telle calamité. En disant telles parolles, entrasmes en la salle, puys tout subit furent mandez chyrurgiens pour subvenir a Quezinstra : Et eulx venuz, applicquerent a ses vulnerations medicamens convenables pour mitiguer toute douleur quelque acerbe qu’elle fust. Ces choses faictes, commencerent les chevaliers, dames & damoyselles a eulx resjouyr, & se passa le jour en toute recreation & delectables plaisirs. Puis venue l’heure que Somnus excite les lassez membres a prendre repos, nous retirasmes en nostre chambre : si fust concedé au corps le petit repos, que la briefve espace nocturne nous prestoit.