Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Epistres
des deux amantz qui long
temps ne se virent.
Chapitre. IIII.
Les propos du gentil homme finis, les ayant tresaffectueusement escoutez, luy requis qu’il me voulust dire le nom de ceste tant vertueuse Dame, a qui fortune estoyt si cruelle ennemie : A quoy promptement me respondist que le nom d’icelle estoyt Helisenne. Et de ceste parolle ouye ainsi m’advint : comme il faict a une creature de quelque peril marin eschappee, qui par grande timeur, reste sans respirer & congnoyssance de soy mesmes. Toutesfoys aulcunement retourné, le plus honnestement que je peuz, me retiray en lieu taciturne, & Quezinstra me suyvit. Et lors avec vois debile, ainsi je luy dis : Trescher amy, pourtant que a gens d’entreprinse, ociosité ne convient, nous fault estudier de n’estre negligens en ceste affaire : Et pource que les choses originees de bon conseil, de coustumes prennent bonne fin : Je vous demande quelle est vostre opinion : Laquelle en mes urgentes affaires m’a tousjours esté tresutile. Et lors il me prononça telles parolles :
O Guenelic bien est necessaire de penser & excogiter les moyens plus convenables pour sçavoir liberer Helisenne de ceste captivité : Et pour nous y ayder, me semble que mieulx ne pouvez faire que par une fidelissime lettre la certiorer de vostre venue : laquelle estant advertie, ne cessera d’ymaginer les moyens pour sortir : non tant pour recouvrer sa liberté que pour l’aspirant desir que elle peult avoir de se trouver avecq vous. Car croyez que si en amour l’homme ard, vous debvez estimer que la dame brusle : & l’ardeur qui domine en l’un ne default en l’aultre. Mais pource que la condition feminine est plus apte a inventer subtilitez que celle des hommes, son conseil moult pourroit estre favorable : lequel par le benefice d’une lettre, nous pourra manifester tout subit la deliberation ouye. Combien qu’il feust tart & heure de reposer, ne voulus faillir de donner principe a mes amoureux escriptz : qui furent de ceste teneur.
Lettres de Guenelic pour envoyer a Helisenne.
Possible ne seroit au tien Guenelic, souveraine Dame, de pouvoir discerner de deux dissemblables choses tenant lieu de occupation en son cueur : laquelle des deux pourra lieu de superiorité obtenir. L’une si est, l’incredible hylarité par luy conceue, a l’occasion de se sentir pres de la chose : pour laquelle retrouver, a nulles fatigues ne a pardonné. Et l’aultre qui bien est differente si est, l’anxieté douloureuse qui assiduellement son cueur traveille pour estre certain que tu languis & consume ta vie avec extreme misere & calamité : pour de laquelle te delivrer, ay conclus plustost souffrir la mort, que de faillir a te restituer ta liberté. Et de ce ma longue servitude te doibt prester foy indubitable : mais premier que de l’entreprinse commencer, ay bien voulu par lettres le tout te communicquer : tant pour te rendre certaine de ma bonne convalescence, que pour sçavoir ton opinion : car a ton jugement tousjours me veulx condescendre : pour estre en tout avec discretion & prudence determiné : & ce que par toy sera deliberé & advisé, me sera acceptable & aggreable. Mais si en aulcuns degrez de benevolence est la myenne fidelle servitude envers toy, je te exore & prie, que du benefice de lettres ne vueille estre avare envers celluy qui tant desire en ta presence assister : car si bien amplement je ne suis en ton estat certioré, je resteray en une extreme perplexité : ayant timeur que l’occasion de l’espargner d’escripre, ne te procede pour estre succumbee en quelque sinistre accident, ou infirmité de corps, ou de vehemente tristesse de l’ame. Car pour estre les dames fragiles & de petite complexion, te pourroit facilement estre advenu : pource que tu es constituee en telle captivité & destituee de toute consolee lyesse, Toutesfoys j’ay esperance que pour le futur, si tu te recorde mes services, tu reprendras tes forces. Et pour me consoler sans dilation de ton estat, me confermeras en certitude. Quand l’amoureuse lettre fut escripte & sigillee de diverses cogitations fut mon entendement occupé, meditant & pensant en quelle sorte les pourrois faire entre les polites & belles mains de ma dame consigner : ce que voyant Quezinstra, pour craincte que par continuelle sollicitude ne me intervint quelque adversité de maladie, il me dist : Je vous supplie, que vous veuillez desister de ces superfluitez de pensee, qui d’aultres choses ne vous servent, que de consommation d’esperit & dissipation de corps. Bien m’esmerveille qui vous meust, veu & consideré que presentement estes si pres de vostre desir. A vostre advis, est il si difficile de faire diriger voz lettres a vostre dame ? Soyez seur que nous trouverons quelque subtil moyen, & pour vous gratifier, je accepte la charge de les luy faire tenir, parquoy vous debvez vostre cueur reduire en certaine lyesse & consolation. Apres avoir ouy la promesse de Quezinstra, J’estimay tant de son sçavoir, que j’eux esperance pouoir par son moyen la plus grand partie de mes desirs accomplir. Parquoy delaissay ce que mon cueur molestoit & travailloit, puis nous couchasmes pour reposer.
Mais l’heure venue que Proserpine delaysse sa mere, pour retourner aux tenebreux Royaulme de son mary, lors pour donner ordre a noz affaires, en detestant le dormir je me levay : Et Quezinstra (pour me satisfaire) a l’insidieux sommeil ne voulut obeyr : mais en grande promptitude aussy se leva : puis comme vigilant & solliciteux de mes desirs se occupa en plusieurs imaginations : Et entre aultres choses, rememora qu’il avoyt entendu dire que la dame mal disante avoit le gouvernement du chasteau de Cabasus & de ma dame Helisenne. Parquoy luy sembla que pour avoir expedition de nostre affaire, n’y avoit meilleur moyen que par faintise & dissimulation se ayder du nom de la cruelle dame, en faisant mes lettres, de par elle a ma dame presenter. Laquelle les ayant leues entendroit la subtilité excogitee & invention. Cela pensé, a la proposition donna l’effect : Et L’acteur bien instruict en grande diligence sa commission accomplit : & me apporta lettres dont le contenu d’icelles s’ensuit.
Lettres de Helisenne adressantes a Guenelic.
Apres la reception de tes lettres, trescher amy, j’ay esté en danger de succumber en l’inconvenient de la matrone Romaine : laquelle par anxieté de la mort de son seul filz a elle annoncee, ne peult laysser la vie : Et depuis comme elle rencontra sondict filz qui n’estoyt encores mort par excessive hylarité sa vie termina, aussy moy qui par assidue & continuelle douleur n’ay peu parvenir a celle qui de tout maulx est la fin, combien que par divers moyens je l’ay cherchee : mais presentement par estre advertye de ta venue, mon cueur a esté d’une certaine lyesse si profux, que par superabondante delectation, a grand peine ay peu evader que de mon debile corps l’ame ne se soit separee : mais toutesfoys apres longue sincopise, m’a estee restituee aulcune vigueur : qui m’a donné le pouvoyr de t’escripre ces presentes : ayant affectueulx desir que tu soys assistant & present pour recouvrer le singulier plaisir de ta veue : & aussy affin de t’exprimer quelle est mon opinion sur ce que tant tu desire sçavoir. Et pour satisfaire a nostre commune affection, je te advertis que me suis advisee, que moyen n’y a plus convenable pour communicquer l’ung a l’aultre le secret de nostre cueur, que tu te transmigre a ce chasteau : auquel parvenu, a la plus grosse des tours (en laquelle je suis captive) la pourras appercevoir une fenestre ferree : qui de parler nous donnera faculté, au moins si tu es pourveu d’eschelle apte pour parvenir a l’altitude du lieu : Mais il ne fault que tu vienne jusques au temps silentieux de la secrette nuict : toutesfoys si le temps estoit obscur : Et que Diane ne te voulust de sa preclaire splendeur gratifier : affin que par ma coulpe toy & moy ne soyons frustrez de noz desirs, je te veulx donner du lieu plus ample & manifeste notice. Et pour t’en rendre tout certain te fault entendre que la predicte fenestre est sur le jardin : Et a l’endroict d’icelle, y a ung arbre de telle haulteur qu’il excede la summité de la tour. Et pour ce toy estant de ce bien informé, sur ignorance ne te pourras excuser : si te obsecre & prie que ne veuille plus longue espace delayer ta desiree venue : que ceste nuict en laquelle j’espere plus facilement du reste de mon estat te donner intelligence, que par le benefice literaire. Apres avoir par plusieurs foys leu la receue lettre pour les consolatives ymaginations qui me survindrent, en moy mesmes je disoye.
O Seigneur qui prestas tant de felicité au filz de Anchises, quand au giron de Helissa en la forme de Ascanius te reposas : a ceste heure ne te pourroye suffisamment remercyer : car je voys manifestement que par toy plus de graces me est impartye : que a icelluy que je ay predict, combien que ton frere feust, car ce ne est moindre beatitude, le conserver, que l’acquerir. Ces parolles ay je proferees, que ce que tu ne as permys (nonobstant ma longue absence) que l’amour de ma dame envers moy soit diminuee. Et pour tant deposees toutes cures & fastidiation je me persuade de croyre que de Helisenne suis plus aymé. Et avec plus grande felicité que jamais gentil homme fut de dame. Et pour ne vouloir user de ingratitude, voyant, seigneur amour, que de toy toute prosperité provient toutes graces te rendray, tous honneurs je te porteray, tous sacrifices te exhiberay, Et perpetuellement te adoreray. Et tant que l’esperit mon corps informera en tous lieux ou me trouveray, en perpetuelle attestation ta gloire je publieray. Et a la posterité future ton sacré nom commenderay, puis que de ta doulce faveur tu me fais digne.