Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Subtilz
moyens de l’amoureux pour parvenir
a la presence de sa dame.
Chapitre. VII.
Retourné a la maison ou je avoye laissé Quezinstra, le tout avecq luy communicquay, lequel ayant le tout distinctement entendu, me dict que l’invention par Helisenne excogitee luy sembloit assez subtile pour nostre entreprinse achever. Et je voyant que la chose ne luy sembloit difficile, je feux merveilleusement joyeulx : car plus content, ne en plus grand lyesse ne fut Cesar depuis la Pharsalicque bataille que je fuz. Et pour ce avec la recordation de Helisenne consommay quelque temps : puis apres quand je veiz l’opportunité, fainctement dissimulant je commençay a me enquerir & interroguer le gardeur de la forest en demandant a qui estoyt le chasteau de Cabasus, Et aussy quelles gens y faisoient residence. Et a l’heure me respondist que pour le present n’y avoit aultres gens que une dame : laquelle en grande extremité y estoyt detenue captive pour quelques occasions incongneues a tous les circonvoisins. Et lors Quezinstra & moy luy demandasmes se nul ne l’alloit visiter : A quoy il nous feist responce, que non, fors seullement la parente du seigneur, laquelle n’i assistoyt pour la consoler, mais au contraire, pour l’agiter, affliger & cruellement persecuter. A ces parolles luy dismes, que grand dommage estoit de l’infelicité de ceste dame, Et que si possible estoit de la pouvoir veoir, que pour ce faire a quelque peril ne pardonnerions. Et lors il nous respondist, que souventesfoys il y frequentoit par le moien de la grand familiarité qu’il avoit au portier, auquel totalement on se fioit. Et a l’heure tresinstamment luy suppliasmes qu’il nous voulut tant gratifier, que par son moien feussions dignes de la presence de ceste tant infortunee dame : A quoy en grand promptitude nous respondit, que le portier avoit expres commandement de ne permettre aulcune personne y entrer, Et pource que autant difficile seroit l’assister en cest chasteau, comme seroit d’entreprendre la restauration de toutes les piramides D’egypte, & de la royalle & populeuse Babylonne : & que de chose tant ardue entremettre il ne se vouldroit. A ces parolles fut ma grand joye convertie en trop grand anxieté, car ces motz ne me furent moins acerbes, que fut a Menelaus le recit du ravissement de sa femme, ce que voyant Quezinstra, me tira a part & me dist :
Ne vous esmerveillés pas trop, voyant cest homme qui n’est en riens favorable a voz desirs. Quelle obligation, quel contract d’amytié, quelle estroicte benevolence tient il avecq vous, qu’il doibve si facilement condescendre a voz plaisirs ? Si vous desirez sçavoir son ultime volunté : Il est necessaire de luy faire present de assez grand abondance de pecune. Et en ce faisant, je croys que sans grande contradiction se rendra a voustre vouloir obeyssant.
Nous lisons que la fille de Leda fut par ses damoyselles persuadee de se submettre au plaisir du Phrygien : combien que icelles damoyselles fussent estimees sy fidelles, qu’elles estoient comme gardiennes du corps de la royne deputees. Et mesmes de par le roy Menelaus, du quel elles estoient parentes. Mais elles furent prevenues de avarice : car riens n’est en ce monde, que par icelle ne soyt corrumpu. Et pourtant desistez vous de ceste precipiteuse sollicitude, en usant de mon conseil. Incontinent ces parolles ouyes, je vouluz bien sans aulcunement delayer, ceste deliberation accomplir, ce que je feiz. Et celle invention me fut tresutile : car cest homme de avarice prevenu, apres aulcune repulsion, au prendre se consentit : nous promettant de totallement satisfaire a nostre vouloir : & conclusmes que la nuict prochaine environ deux heures, devant la venue de la belle Aurora, nous transporterions au chasteau de Cabasus.
La nuict accompaignee de desir, ne me permist aulcunement reposer. Et quand l’heure de partir fut venue, au lieu desiré nous transportasmes. Et tout subit que le portier eut la voix de nostre conducteur entendu, assez promptement la porte ouvrit. Et comme esmerveillé de l’extemporanee venue, luy demanda la cause de si grand hastiveté : attendu que ceste heure estoit plus commode & disposee a repos que a aultre chose. Et ce pendant qu’il proferoit telz motz, dedans la porte nous entrasmes : ce que voyant le portier fut merveilleusement irrité. Parquoy a nostre conducteur demanda, dont luy procedoit ceste temeraire hardiesse, de avoir admené gens avec luy. Et pour quelle occasion il avoit faict. Las dist il, bien m’avez deceu & circonvenu, dont je m’esmerveille : car je avoys en vous totalle confidence : je voys apertement, que ceste chose sera cause de me ruyner & exterminer : car si la parente de monsieur en est advertie : il n’y aura excuse qui pour ma salvation soit utile. Et lors nous luy commençasmes a dire, mon amy, desistez vous de ceste timeur qui vous est intervenue, & condescendez a nostre vouloir : qui est tel, que premier que nous absentons de ce chasteau, nous delivrerons la dame de la captivité en quoy elle est detenue. Et pour ce, regardez de nous favoriser en cela. Et si ainsi le faictes, vostre service ne sera sans remuneration : Mais si aulcunement estiez a noz desirs contraire : & que feussiez cause de quelque esmotion, ou tumulte : bien vous pouvez pourveoir de vraye contrition & patience : car sans aulcune difficulté, premier que les gens surviennent, par mort violente vous feray finer. Quand le portier eut entendu mes parolles considerant que sa vie estoit en la puissance d’aultruy : sans ce qu’il fust en sa faculté de pouvoir resister a nostre conducteur demanda si de nostre estat il avoit aulcune notice. Et si nous estions des parens ou aliez de madame : auquel il respondit, que il estoit ignorant de cela. Et que nous estions gentilz hommes a luy estrangers : qui par subtiles ingeniositez & continuelles persuasions l’avions seduict, par donner a entendre que seulement desirions de veoir madame Helisenne : Et que par estre trop credule, il avoit esté deceu. Le tout distinctement entendu par le portier, voyant que force luy estoit de obtemperer a nostre vouloir, nous dist, que de nous favoriser en cela ne sçavoit quelque moyen, sinon que de force convenoit rompre l’huys de la tour. Et apres qu’il eut ce dict, se voulut absenter, disant, que pour le saulvement de sa vie, luy estoit necessaire de se rendre fugitif, sans jamais au pays faire retour. Et lors estantz timides que mal ne nous en advint, je luy prohibay le partir. Et luy dictz, que de ce lieu premier que nous ne partiroit. Et lors pour le contenter, luy feis present de assez grosse somme de deniers, dont il se tint merveilleusement content : puis apres sans plus tenir long propos, a l’huis de la tour feusmes conduictz : lequel fut incontinent par violence rompu. Et en entrant dedans la chambre, gratieusement saluasmes ma tresdoulce dame Helisenne, laquelle me dist ainsi.