Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Lettres
que la dame escript a son
amy.
Chapitre. X.
Apres avoir a mes yeulx presenté voz lettres, & le contenu d’icelles distinctement medité & consideré, par ce que puis concepvoir (si vostre lettre n’est par simulation ou fainctise composee) je presuppose que par l’insupportable charge d’amours estes plus angustié & afflicté que a homme prudent ne convient : car si bien considerez, vous ne devez persister en telles amours, lesquelles ne consistent en vertu, Parce que impossible me seroit satisfaire a vostre affectueux desir sans denigrer & adnichiler ma bonne renommee : ce qu’il me seroit plus accerbe que une violente mort, parce que je n’estime ceulx ou celles vifz desquelz la bonne renommee est estaincte, mais se doibvent estimer pires que mortz. Et au contraire de ceulx qui ont faict actes vertueux dont leurs noms sempiternellement durent, en despit de la cruelle Atropos, combien que en cendres leurs oz demolis reposent. Iceulx se doibvent estimer vifz, & se doibt l’on persuader de les ensuyvre par vertueuses coustumes, qui rendent l’homme immortel. Et pour a ce parvenir necessairement fault eviter de se laisser submerger en ses voluptueuses lascivitez, affin de n’estre conduict a ceste antique & accoustumee infelicité, soubz laquelle tout le monde se lamente, & s’en ensuyvent plusieurs inconveniens. Si la fille de Leda eust observé le vivre pudicque, le Grec n’eust le tresfameux ylion mis en totalle ruyne. Et si la royne de Carthage eust perseveré d’estre constante, elle eust avec louenge perpetuelle de son amy Sicheus l’umbre suyvie. Telles hystoires doibvent estre suffisantes pour nous garder de succumber en semblables delictz. Et pour ung petit appetit, n’estre si faciles d’escouter les polides, elegantes & suaves parolles de vous aultres jouvencaux : lesquelles ne sont sinon ung laqz deceptif pour circunvenir & decepvoir cellez qui sont trop faciles ou dommageable croire : lequel vice a esté cause de adulterer plusieurs dames fameuses, puis apres qu’ilz ont obtenu la privee & secrete fruition des amours de celles qu’il disent tant aymer ne sont contentz, mais aulcunesfoys par indiscretion s’en vantent & glorifient, Parquoy toutes ces choses considerees tresheureuses sont celles qui de la flamme d’amours se peuvent conserver. Pour laquelle evaderie vous supplie que imposez fin au continuel poursuyvre, car je crains que par voz continuelles stimulations je ne soye persuadee de exceder les metes de raison, car voz doulx & attrayans regardz, avecq les parolles exhibees par voz lettres pourroient causer grand efficace & emotion aux cueurs des jeunes dames, & aulcunes de simple entendement penseroient resider en leurs personnes beaucoup plus de dons & de perfections que dieu & nature n’y en auroit mis. Mais ne voulant tumber au laberinthe de presumption, je ne prens aulcune gloire de voz louenges & exaltations, car peult estre que par affection non moderee vostre œil peult errer. Mais croyez que ce amour de son auree sagette m’avoit attainte, que aultre que vous de ma benevolence ne seroit possesseur. Et de ce vous supplie vous vouloir contenter. En exorant L’altitonant que felice repos vous octroye.
Les Miennes Lettres Sigillay, & avec ung grand desir trouvay subtil moyen de les luy consigner, & il les receut joyeusement, & tout subit apres les luy avoir exhibees me retiray en ma chambre, ou j’estoys plus voluntiers seule, que accompaignee, pour plus solitairement continuer en mes fantasieuses pensees, & en telle solicitude je me delectoye a lire les lettrez de mon amy, puis apres je regardoye le double des miennes, distinctement tous les termes de l’une & de l’aultre. Et ainsi que m’occupoye en telles solacieuses exercices mon mary survint, dont ne me prenoye garde, lequel en hurtant du pied par grande impetuosité ouvrit l’huys de ma chambre, dont je fuz si merveilleusement troublee, que je n’euz advis ne discretion de cacher les lettres. Il commença a me regarder par grand despit & desdaing meslé de colere en prononçant telles parolles.