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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Fin du tournoy, & victoire pour le jeune chevalier.
Chapitre. X.

A ces motz, ne faillismes de treshumblement le remercier : & ce pendant se preparoit le disner ou nous feusmes richement servis : puis apres la refection prinse, impetrasmes licence du duc, & nous retirasmes en nostre chambre : puis incontinent commenceasmes a nous preparer : puis en grande diligence nous trouvasmes au tournoy, & depuis nostre venue, gueres ne tarderent a venir les combatans d’une part & d’aultre : entre lesquelz le roy de Athenes chef de ceulx de dehors, commença le premier, & rencontra le conte de Fosside avecq telle impetuosité qu’il le porta par terre : puis apres attaignit ung aultre chevalier, auquel il donna tel coup, qu’il le renversa luy & son cheval, ce que voyant le Duc de Locres, s’esmeut furieusement contre luy : non pourtant si la lance du Roy ne se feust brisee, le Duc eust prins terre comme les aultres : & lors mist le Roy la main a l’espee & feist tant d’armes, que le narrer seroit difficile : & d’aultre part, Quezinstra se mist au renc faisant tant de prouesses, que tous en general en prenoyent admiration : car de telle sorte se esvertuoit, que ceulx qui le veoient venir vers eulx, se pouvoient desja juger par terre. Le duc de Locres voyant telles merveilles, estoit profusement joyeulx, & luy aydoit de tout son pouvoir : & molestoient tellement ceulx de dehors, que s’ilz n’eussent esté soustenuz par le Roy de Athene, & le seigneur de houssen, nullement ne les eussent sceu souffrir : mais ces deux faisoient grand resistence : & mesmes le seigneur de Houssen s’adressa a moy & nous donnasmes si enormes coups que ne peusmes supporter si extreme violence sans nous entreporter par terre : mais sans gueres tarder fusmes remontés, & voulions recommencer la jouste, quand Quezinstra (lequel alloit par les rencz, abbatant chevaliers & chevaulx) survint entre nous, & par ce feusmes separez. Le roy de Athene estoit merveilleusement irrité de ce qu’il veoit ainsi oultraiger ses gens, & a ceste occasion reprint nouvelle lance : & s’en vint impetueusement contre Quezinstra : lequel s’estoit preparé pour le recepvoir. Qui vouldroit rediger par escript la vertu & magnanimité de deux champions, seroit chose tresurgente, de exorer non seullement Calliope : mais toutes les neuf muses, a ce qu’elles prestassent stile convenable, pour exhiber leur inestimable valeur, laquelle par bouche humaine ne se pourroit exprimer : car ilz se esmeurent par telle impetuosité, qu’ilz faisoient trembler non seullement la terre : mais de leur fureur pallissoit Apollo, & a leur rencontre feirent si horrible bruyct : que il sembloit que Olympus & Oeta feussent ensemble froissez : le Roy adressa son coup au millieu de l’escu : lequel ne peut guarentir le haulbert qu’il ne perceast Quezinstra jusques a la chair vive : & d’aultre part Quezinstra attaignit le Roy au millieu de la poitrine, & luy feist une petite playe : les lances rompues, meirent les mains es espees en frappant si furieusement, que l’on ne eust peu juger qu’ilz eussent legierement fendues les plus haultes montaignes que la gelide Scythie soubstienne, tellement que par leur invincible courage, chascun de eulx donna & receupt tant de coups, que leurs escus estoient detrenchez, & leurs harnoys percés en plusieurs lieulx : & feurent long temps si esgaulx, que l’on ne pouvoit juger lequel seroit superieur, mais finablement le Roy ne pouvoit plus souffrir.

Toutesfoys craignant la honte d’estre dompté, fut par luy une subtille invention excogitee, car comme ilz commencerent a eulx retirer pour reprendre leurs allaines : lors le Roy telle parolle prononça, noble Chevalier puis que nous sommes si esgaulx en force, que impossible seroit de achever nostre entreprinse, sans nous entretuer, qui seroit une perte irrecuperable : je vous prie que nous facions desarmer pour experimenter nostre force a la lutte, qui sera chose plus delectable aux dames, que de nous veoir ainsi lacerer. Cez parolles disoit il, pource que en cest art estoit merveilleusement expert : & lors combien que Quezinstra eut certaine evidence que le Roy estoit pres d’estre matté, il se monstra sy gracieux que doulcement s’y consentit : & a l’heure firent place les chevaliers tant d’une part que d’aultre, & se arresterent pour les contempler.

Droictement devant l’eschauffault des dames, commencerent a se entrelasser de mains, de bras, de jambes, en mettant toutes leurs forces : le Roy trouvant Quezinstra merveilleusement fort, & de grande resistence : sy labouroit le Roy entour de luy, comme font ceulx qui assiegent une tour & affutent leurs engins de toutes partz pour l’abbatre, puis livrent l’assault : puis d’une part, & puis d’une aultre, selon que ilz ymaginent y avoir plus d’avantaige : toutesfoys nonobstant l’ingeniosité du Roy, il ne pouoit rien entreprendre sur Quezinstra : il se efforçoyent tellement que l’on ne eust peu juger Hercules & Antheus ensemble batailler. Toutesfoys apres longue espace de temps il se distinguerent pour ung petit reprendre leurs allaines, puis apres se remirent en besongne mettant en avant tous les tours & industries de lutter : de quoy ilz se sceurent adviser. Le Roy voyant que il ne pouvoit avoir advantaige sur Quezinstra, estoit merveilleusement marry : car jamais ne avoit trouvé homme qui contre luy peust si longuement durer : parquoy de toutes ses forces se esvertua si tresingenieusement, que il fist chanceller Quezinstra, & fut prochain de tomber : mais par force & legereté evita la cheutte : puis se rasseura ferme sur piedz, & a l’heure par grand yre meslee de impetuosité, commença a importuner & fort oppresser le Roy : & en le tirant a luy il recula le laissant aller si rudement, que violentement luy feit baiser la terre, & parce qu’il estoit grand & puissant, au tomber il sembla donner tel coup, que pourroit faire ung grand arbre, qui par le soufflement impetueux des ventz, ou d’ung grand orage est abbatu. Grandement furent esmerveillez tous les assistentz de la chutte du roy, considerant qu’en tel exercice il estoit tant experimenté, que jusques a l’heure, il n’avoit trouvé son pareil ny semblable. Le roy qui de l’enorme coup estoit tout deffroicé, en sorte qu’il n’estoit en sa faculté de se pouoir relever, ce que voyant ses gens, le vouloient prendre pour le penser emporter. Mais pour l’extreme douleur qu’il sentoit, commença a se escrier en disant, ne me touchez, car vous augmenterez mon mal. Et puis commença a pronuncer telz motz.

O dieu eternel quel chevalier est celluy que j’ay rencontré : je me persuade de croyre que ce soit le dieu Mars en semblance humaine descendu des Olimpicques manoirs en ceste region terrestre & inferieure. Ce pendant qu’il disoit telz motz, fut sonnee la retraicte, & fut admenee une riche & sumptueuse lytiere pour le roy. Et ainsy chascun se retraict : & nous parvenuz en nostre chambre, & que feusmes desarmez : ne tarda guerres que le duc de Fouquerolles ne nous envoyast querir. Mais Quezinstra s’excusa disant qu’il estoit survenu ung messagier de nostre pays pour nous communicquer quelque affaire de grand importance. Et pour ce nous estoit chose urgente de demeurer : mais que la journee sequente n’y auroit faulte, de l’aller visiter. A ces motz se absenta le messagier : & lors Quezinstra qui sentoit quelque douleur de sa vulneration, le feist sçavoir a zelandin, lequel luy envoya le plus sçavant & expert de ses chirurgiens : qui luy administra quelques oignemens bons & aptes a luy diminuer sa douleur, & luy deist, que dedans huict jours seroit totalement guary. Apres qu’il fut party, & que nous retrouvasmes seulz : Quezinstra, qui moins de hylarité n’avoit, que si en L’olympie bataillant eust la victoire rapportee, ainsy commença a dire.

Guenelic bien sommes tenuz de rendre grace avec louenge sempiternelle au souverain recteur du ciel, la vertu duquel tout l’universel informe, & en son saint temple les armes victorieuses debvons offrir : puis que de si noble assemblee le triumphe rapportons, plus ne debvons craindre fortune : laquelle tant plus nous a esté adverse tant plus nous clarifira, si nous perseverons en vertu, car de tousjours prosperer ne fut jamais esperit humain recommandé : car en prosperité ne se pourroit sy bien demonstrer la vertu de l’homme. Alexandre Macedonien sans comparaison eust esté collaudé, si quelque foys, eust eu quelque fortune contraire : laquelle fortune ne nous a esté adverse, comme plainement puis conjecturer pour nous consumer, mais pour nous perpetuer en l’habit de la vraye vertu, affin de nous exalter en triumphante renommee & nous ascripre a l’immortalité. Atropos ne sçauroit empescher que perpetuellement ne dure le noble Scipion, le chevaleureux Camille, le victorieux Cesar, le triumphateur Auguste : desquelz les noms sont encores florissans, qui doibt causer grand efficace & esmotions aux nobles cueurs, croyant que le vray dispensateur du ciel, n’a pas voulu aorner les premiers anges de gens si belliqueux, qu’il ne vueille la posterieure de semblable vertu honnorer. L’on dict le principe de toutes choses estre la plus grand partie. Puis doncques que nostre commencement a l’art militaire nous est tant felice : il ne reste plus que de persister sans nous reduyre en ociosité : car a homme ocieux nulle premiation de vertu ne luy fut jamais deniee. Et a ceste occasion, Juno manda du ciel yris au puissant Agamenon pour luy dire que tout homme de entreprinse, ociosité doibt eviter. Aussy debvons rememorer la fortune de Hannibal : lequel jadis par les anticques en prose & en metre fut honnoré pour les victoires obtenues en Ausonye, mais depuis que il se laissa amuser par le sage Fabius : & ses gens endormis ez delices Capuanes, oncques ne eust prosperité. Toutes ces choses vous ay voulu narrer : pource que me veulx garder de tousjours recorder vostre honneur & utilité : car autant affectueusement le desire comme le mien.

Combien que ses parolles feussent tant accommodement narrees que elles excedoyent la virgilienne prononciation n’avoient tant de vigueur que en aulcune partie de ma volunté de esmouvoir me peussent. Toutesfoys benignement luy respondis : si possible me estoit de accommoder ma volunté a la vostre, sans souffrir peine plus acerbe que une violente mort, de ce faire je me efforceroye : car tant ay de affection envers vous, pour vostre vertu de bonne doctrine : que difficile me seroit vous le exprimer : & aussy il n’est necessaire en grand affluence de parolles aornees, & adulatoyres, le temps consummer : car depuis le temps que nous associasmes, evidentement l’avez peu cognoistres. Mais de ce que me persuadez d’ensuivre le martial exercice, a quoy vostre cueur est totallement adonné, Je vous asseure que tel vouloir je loue & magnifie : mais assés me desplaist qu’il vous semble ne sçavoir trouver lieu plus commode que ceste cité, pour telles choses exercer : & pour ce vous est bien le demeurer autant delectable, qu’il est a moy triste & ennuyeulx : & cela est la cause pourquoy ne puis ma volenté a la vostre conformer : Car je desire de investiguer & chercher plusieurs lieux pour retrouver Helisenne, en quoy faisant ne fauldrons trouver diverses adventures, & ne nous accompaignera ociosité, que tant vous detestez. Et pourtant vous supplye, vous vouloyr desister de toutes anxietez, qui pour l’apprehension de la partie vous pourroit grever & molester.

Dictes ces parolles, es termes de silence me remys. Et lors Quezinstra eust certaine intelligence, que la timeur que je avoye de sejourner, me causoyt une extreme tristesse, Et pour ce a mon angoysseuse douleur non moins doulcement que prudentement confera medicine, me disant que les parolles par luy proferees : ne estoyent pour me desmouvoyr de mon affectee entreprinse : Mais seullement par maniere de fraternelle exhortation, & me promist, que quand il me plairoyt, se prepareroyt a la departie. Ce pendant que nous tenions telz propos, les Roys & princes estans au palays, se delectoyent a parler de Quezinstra : & disoyent tous generallement, que c’estoyt la fleur de chevalerie, & entre les aultres le Roy de Boetye disoit au Duc, que il estimoyt, que nous estions extraictz de tresnoble lieu : Car assez le demonstroyt nostre bonne condition & coustume, magnanimité & gentillesse : par lesquelles vertus l’on pouvoyt conjecturer, que au temps futur pourrions a grand honneur parvenir. A quoy respondit le Duc : certes mon opinion n’est dissemblable de la vostre, & suis joyeulx qu’ilz se sont adressez a ma court. Mais je me contriste, de ce que le Roy vostre frere ne peult assister a ce palais, pour l’acerbe douleur que l’on m’a dict qu’il souffre, a l’occasion de sa cheutte. Aussi ne s’i peult trouver le duc de Foucquerolles, car il n’est encores en sa valitude & santé, dont je suis marry : Car bien desireroye qu’ilz feussent en ma compaignie : Toutesfoys je ne veux faillir de mander les chevaliers : a ce que l’on distribue les pris. Et en ce disant : commanda a ung chevalier de se transporter vers nous, & de nous dire, que promptement ne faillissions de venir : a quoy le chevalier fist responce. Monsieur je crois, que pour le present ne seroit en leur pouvoir : Car je ay entendu dire en la chambre de zelandin que Quezinstra est ung petit vulneré, & avecq ce desirent pour ce jour, ne partir de leur chambre : affin de refociller ung petit leurs membres lassez. Par les parolles du chevalier feusmes excusez de nous transmigrer au Palays, jusques au lendemain que ne faillismes de assister.

Tost apres que en la spacieuse salle feusmes parvenus, survint ung chevalier tenant en sa main une espee merveilleusement belle : Et apres qu’il eust faict la reverence a tous les assistans, se vint adresser au noble Quezinstra : Et avecq une eloquence (esgalle a celle de Cicero) donna tel principe a son parler.

Tresnoble & vertueulx chevalier, duquel les admirables vertus sont incredibles & non equiparables : Certes si je ne rememorois la sentence des anticques, qui disoyent les louenges estre a declarer reservees jusques apres la mort : je m’efforceroie de louer & extoller vostre singuliere prouesses. Mais pour eviter d’estre noté du vice de adulation (qui des hommes de cler esprit, comme peste vient a fuir, je delibere m’en abstenir : aussi cognoyssant l’exiguité, debilité & petitesse de mon stile plustost en silence, que en indigeste commendation le passeray, vous delivrant la bonne espee, que par vostre valeur inestimable avez conquise, Et en ce disant la luy delivra. Et Quezinstra avec souveraine liesse l’accepta : puis en la contemplant, en se tournant vers moy disoit.

O victorieuse espee dont le maistre fut jadis remply de sy grand force, que nul ne luy pouvoit contester : ce fut le filz D’alcumena, lequel mist a mort le Hydre a sept testes au palus de Lairne, Il deffist le grand Lyon, puis le sanglier de Menale en Arcadie : Il conquist a course la cerve de Parthemye aux cornes d’or, & piedz de fer : les harpiez des Stimphalides, pres du lac de Archadie, & les abbatit a fleches, il couppa la gorge au furieux Thoreau vomissant le feu, lequel estoit en Marathone : il rompit la corne a Achelous qui se transformoit en plusieurs formes, Diomedes le tyrant, & Busiris le Roy cruel par luy furent occis : Antheus le geant, filz de la terre fut a la lutte par luy vaincu : il ravit les pommes d’or des Hesperides, en tuant le dragon qui les gardoit : Gerion le geant a trois corps fut par luy despouillé de son bestial : Il osta la ceinture de la royne des Amazones : Cacus le larron filz de Vulquan jettant feu par la bouche, sentit sa main, il occist d’ung traict Nessus le centaure, ravisseur de s’amie Deyanira : Hesione fille de laomedon fut par luy delivree du monstre : Troye fut par luy renversee : Il a soubstenu le ciel de ses fortes espaulles, en aydant au puissant Athlas : il a suppedité Cerberus le chien Tricipite, & l’a enchesné : Et si a faict grande timeur a tous ceulx de la region Plutonicque.

O dieu eternel, bien heureux seroye s’il m’estoit imparty la minime partie de sa proesse.

Telles ou semblables parolles me narroit Quezinstra, & ce reputoit felice de ce que telle espee estoit tumbee en ses mains : Et ce pendant qu’il se delectoit en tel propos : le Duc pour ne le vouloir frustrer de sa conqueste de la derniere journee, feist congreger & accumuler toutes les Damoyselles, affin qu’il peust choysir celle qui plus plaisante & delectable luy seroit. Plusieurs Damoyselles desiroient tresaffectueusement de captiver la benevolence de Quezinstra, tant pour sa proesse : que pour sa souveraine beaulté : Et pour ce elles estant en espoir meslé de timeur, estoient attendantes la determination de son courage : Ainsi comme les litigens escoutent l’arrest, & sentence diffinitive de leurs juges. Mais Quezinstra pour ne vouloir faillir a l’accomplissement de la promesse par luy faicte au duc de Foucquerolles avoit secrette deliberation de eslire la fille du conte de Merlieu, toutesfois il feist semblant de mediter ung petit : puis apres avoir ung petit songé, & en silence demouré, jecta son regard en circonference, & comme il eust apperceu la damoyselle, il profera telles parolles.

L’on ne se doibt esmerveiller si je differe de faire election de l’une de vous (tres nobles damoyselles) car toutes estes tant accomplies en dons de grace & de nature, que selon ma conception a chascune de vous appartiendroit quelque illustre & magnanime prince : Toutesfoys puis que le plaisir de toute la noble assistence est tel, ce sera ma damoyselle la fille du noble & illustre conte de Merlieu, vers laquelle je me adresseray. Et en ce disant se approcha d’elle, puis en tenant sa tant polide & blanche main, soubzriant doulcement luy dist. Tresillustre nymphe, je vous supplie ne vous vouloir contrister, pourtant si je ay prins l’audace & la hardiesse de vous eslyre, combien que je ne soye que ung paouvre chevalier, & ung riens au respect de vostre altissime noblesse & large posseder de voz parens. Toutesfoys je ne l’ay faict a l’intention de diminuer vostre estat, mais au contraire pour le vous augmenter, car je suis deliberé (si vostre vouloir s’i condescend) de vous donner pour espouse au noble duc de Foucquerolles, lequel (comme je croys) avec grand hylarité de cueur vous acceptera, a l’occasion de vostre excellente beaulté, honnesteté & vertueuse prudence, qui en vous singulierement reside.

A ces motz la gratieuse damoiselle rougit, & s’espargit parmy sa clere face une semblable couleur que le noble pourpre sur yvoyre blanc, dont elle se monstra plus belle aux assistentz, puis apres rompit la doulce silence, & ouvrit sa bouche ung petit vermeillette semblable aux nues rubicondes, quand le soleil s’esconce, & d’une voix doulcette plus armonieuse que les accordz de la lyre de Orpheus prononça telz motz.

Victorieux chevalier, combien que par vostre humaine benignité, vous plaise dire estre de petit estat, selon que puis conjecturer, vous estes d’extraction tresnoble : Car vostre grace, beaulté, & faconde, manifestement le demonstrent : parquoy il est assez croyable & concessible, que pourriez trouver dame plus accomplie en beaulté corporelle sans comparaison, que je ne suis. Mais comme je croys, pour le present, vostre deliberation n’est de vous occuper en amour : car vostre vertueux cueur aspire a accomplir louables entreprinses, & vostre genereulx esperit desire entendre a choses supresmes. Mais pourtant ne avez voulu laisser que avec discretion, ne ayez deliberé de me allier par matrimonialle conjunction : a celluy que vous estimez estre de condition assez convenante a la mienne : A quoy liberallement me condescendray, au moins si la paternelle puissance aultrement de moy ne veult disposer : car je ne me sçauroie excuser de filiale obedience. Moult fut louee la damoyselle de ses paroles tant courtoises & gratieuses. Si fut mandé le Conte de Merlieu, lequel joyeusement se consentit a l’aliance du duc de Foucquerolles, & ne restoit plus que de sçavoir en quelle disposition il estoit affin qu’il assistast au palais, pour prendre celle proye, que si long temps il avoit chassee. A l’heure Quezinstra & moy prisme la charge de luy annoncer les nouvelles, par quoy en grand promptitude nous transportasmes en son domicille, lequel ne nous feist moins de recueil que faisoit Menelaus a Ulixes quand de Ilyon la ruine meditoient & pensoient : Et ainsi commença a dire.

O mon esperance infaillible.

O unicque restaurateur de tout mon travail, par le moyen duquel je suis reduict en consolee lyesse, bien est veritable ce que nous lisons de Elvidius philosophe & tresprestant Senateur, lequel en plain Senat conclud les vrays amys estre instrumens de la bonne fortune, Ceste conclusion est par vous bien corroboree : car par l’accomplissement de vostre promesse, J’ay clere congnoissance de la purité de vostre cueur envers moy : dont je me repute felice & heureux : Car plus grand beatitude a l’homme ne sçauroit estre concedee, que de avoir compaignie belle, modeste, discrete & sage, comme est celle, dont par vostre proesse me avez pourveu. Et pour ce suis tellement recreé, que plus ne sens aulcune douleur, plus n’ay craincte de aulcune infortune, je ne ay timeur de mort quotidiane, puis que je ay le comble de mes desirs. Apres que il eust dict telles parolles, commanda que on luy apportast une robbe de velours cramoisy, pource que a l’heure presente se vouloit transporter au palais, puis incontinent qu’il fust appareillé, en la compaignie de plusieurs chevaliers & de nous, partit avecq le corps refocillé & l’ame letifiee. Et quand il fut parvenu, de toute la noble assistence fut honorablement receu. Et a l’heure l’on commença diversité de jeux & esbatemens, sinon le conte de Phocide, lequel se monstroit triste & anxieulx au millieu de l’universelle joye : car a l’occasion que il aymoit tresaffectueusement la Damoyselle, il ne estoit content de ce mariage, & ne cessoit de murmurer, dont Quezinstra fut adverty, & pour ce se adressa vers luy, pour luy faire aulcunes remonstrances, & entre aultres choses luy dist.

Le noble Perseus filz de Juppiter & de la belle Danes, par sa vertueuse magnanimité, delivra la gente brunette Andromeda du peril de la bellue (qui estoit ung monstre marin) qui de longueur avoit quatre vingtz & dix couldees, parquoy justement conquist amour de la belle, avec la succession du royaulme paternel. Mais Phineus & ses adherens, par temeraire presumption se efforcerent troubler les royalles nopces, dont s’en ensuyvit l’occision de plusieurs : & les aultres furent muez en pierres, parquoy en consideration de ce, vous debvez garder de troubler & empescher les mariages, pour craincte que le supernel moderateur, a juste cause ne vous fist miserablement finer. Ces parolles vous ay familierement narrees (tres illustre prince) affin de vous desmouvoir, de vouloir contester a l’encontre de ce mariage : Car ce ne seroit chose honneste ne licite, & vous en pourroit mesavenir. Quand le conte de Focide eut bien escouté telles remonstrances, considerant que il n’y pouoit remedier, il dissimula en face la douleur interieure, que son triste cueur sentoit, & par faintise sembloit que il print les modestes & doulces parolles de tresbonne part si dist a Quezinstra, que selon son opinion & jugement se vouloit condescendre, pour estre totallement avec discrete raison determiné. Ce pendant qu’il tenoit telles devises : chascun entendoit a toute recreation & voluptueux plaisirs, & ainsi se consomma & passa ce jour.

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