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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Regretz de Helisenne pour estre transportee en lieu a soy non aggreable.
Chapitre. XXIIII.

O Noble cité si je me contriste de t’eslongner ce n’est grand merveille : car en toy je laisse mon cueur, mon ame, ma vie, mon esprit & entiere puissance : & en ce disant levay mes yeulx au ciel haultain, & deiz, O cielz stelliferes : O souverain recteur des olimpicques manoirs : si ton irrevocable deliberation a esté pour sociale compaignie de l’espece humaine me produyre en cestuy hemisphere : Pourquoy ne me alienas tu du grand pouoir de ce fier Cupido. La puissance duquel cruellement se sent, & point ne se voit. O que bien heureux sont ceulx, qui de la flambe D’amours sont sequestrez : mais infelice est, qui sans refrigere & repos tousjours peine, ard & se consume : comme moy paoure & miserable, qui de sanglotz & gemissementz incessamment me repaitz, & suis si agitee & persecutee de cest embrasement, que non seulement les veines : mais les joinctures, nerfz, & os si cruellement sont tourmentez, que ma dolente ame lassee d’estre en ce triste corps ne desire que la separation : sachant qu’elle ne sçauroit souffrir peine plus griefve qu’elle sent d’une telle departie : car jamais Porcia pour Brutus, ne Cornelia pour Pompee, ne Laodomye pour Prothesilaus, ne la magnanime royne Carthagienne pour Aeneas, toutes ensemble tant de dueil ne souffrirent que moy paoure defortunee je sentz.

En continuant telle douloureuse complaincte, j’eslongnoys le lieu ou estoit mon desir, & ignoroys celluy ou mon mary me vouloit conduyre : mais par sa diligence en peu de jours y parvins. Parvenuz au lieu qui pour perpetuelle habitation m’estoit deputé, je veis que c’estoit le lieu qui aultresfoys m’avoit esté plus plaisant & delectable : parce que c’est ung petit chasteau situé & assis en ung fort beau lieu, & a tout a l’entour & circuyt dudict chasteau de petites tournelles, dont entre les aultres y en a une qui est assez grande & spacieuse, & est nommé ledict chasteau Cabasus, qui porte le nom principal du pays et terre de Cabaze. Ceulx qui ont frequenté ledict pays, en peuent bien avoir ouy parler. Incontinent que je fuz arrivee, dedans la plus grosse tour je fuz mise & enfermee, accompaignee seulement de deux damoyselles : dont l’une estoit fort anticque : laquelle avoit esté mandee par mon mary, parce qu’elle m’avoit servy du commencement que je fuz mariee, & en son service l’avoye trouvee moult fidelle, & a ceste cause elle fut persuadee de me tenir compaignie, en luy promettant de la remunerer suffisamment.

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