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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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L’origine du divertissement de Helisenne, pour aymer a reproche.
Chapitre. II.

Ce pendant (O mes nobles dames) que vivoye ainsi constante & a bonne raison, parce qu’il ne estoit chose que peusse desirer, que promptement n’en fusse servie : & croys que si mon mary eust sceu le secret de mes pensees, que sans dilation les eust accomplies. Et si fortune muable ne eust esté envieuse de ma felicité, je me reputeroye fort obligee a elle. Mais a ceste heure a juste cause m’en doibs plaindre, comme de celle qui a usé de crudelité en moy. Et le moyen qui donna voye & ouverture a mes malheurs, fut par une terre que nous avons litigieuse, parquoy nous fut chose urgente & necessaire, de nous trouver en une ville (laquelle n’est loing de la dicte terre en litige) a cause que celluy pour qui estions inquietez, se tenoit sur le lieu, & estoit fort vigilant, & craignant d’estre prevenuz deliberant y aller, Je n’estois aulcunement marrye de l’inquietitude, ignorant la fortune & maladventure, ou briefvement je debvoye succumber : mais suyvant le naturel du sexe fœmenin (lequel n’est jamais rassasié de veoir, & d’estre veu) ne pensoye jamais veoir le jour de nostre partement, & continuellement incitoye mon mary, que ce feust bien tost. Le desiré jour venu, nous transmigrames en ladicte ville (pour avoir raison de justice) ou estoit le comble de mes prochains malheurs. Or pleust a dieu, que j’eusse eu la science, de la troyenne Cassandra, laquelle par esprit de prophetie prevoioyt la destruction du tresillustre & noble sang Troyen. Helas je me feusse conservee des infiniz regretz qui journellement pullullent en mon triste cueur, mais je croys que c’estoit predestination divine, parce que je congnois, que serviray d’exemple aux aultres.

Doncques parvenue au logis, incontinent me vins appuyer sur une fenestre, & regardois, en tenant propos joyeulx a mon mary, sans me soulcier de la chose, qui nous avoit contrainct de venir, ce qui estoit de grande importance. Ce jour se passa en toutes recreations, & voluptueux plaisirs. Et le lendemain me levay assez matin (ce que n’estoit ma coustume) & en m’abillant vins ouvrir la fenestre, & en regardant a l’autre part de la rue, je veis ung jeune homme, aussi regardant a sa fenestre, lequel je prins a regarder ententivement, il me sembla de tresbelle forme, & selon que je pouoye conjecturer a sa physonomie, je l’estimoys gracieux & amyable : il avoit le visage riant, la chevelure creppe, ung petit blonde, & sans avoir barbe, qui estoit manifeste demonstrance, de sa gentille jeunesse. Il estoit assez honneste en son habit, toutesfoys sans user d’acoustremens superfluz. Et au moyen de la grande chaleur, n’avoit autre habillement, que ung pourpoint de satin noir. Apres l’avoir trop que plus regardé, retiray ma veue : mais par force estoye contraincte retourner mes yeulx vers luy, il me regardoit aussi, dont j’estoys fort contente : mais je prenoye admiration, en moymesmes, de me trouver ainsi subjecte, a regarder ce jeune home, ce que d’aultres jamais ne m’estoit advenu. J’avoys acoustumé de prendre & captiver les hommes, & ne me faisoye que rire d’eulx, mais moymesmes miserablement, je fuz prise. Je ne pouois retirer mes yeulx, ne desirois aultre plaisir, que cestuy la. O mes dames, je vous exore & prie, que vueillez considerer, la grande puissance d’amours, veu que jamais je n’avois veu ce personnage, Vous pourriez trouver cela fort estrange : car le plus souvent amours viennent par continuelle frequentation. Las je m’efforçay de resister, voulant expulser amours de mon cueur, car le soir quant je fuz couchee aupres de mon mary, je vins distinctement a penser, la grande amytié, que luy avois tousjours portee, & que ma renommee avoit (jusques a present) esté clere, sans estre notee, de chose, qui peust denigrer mon honneur. En ces considerations, raison me venoit a coroborer, me conseillant d’estre ferme, & ne me laisser vaincre, & me disoit, comment veulx tu prendre le villain chemin, ord, & fetide, & laisser la belle sente, remplye de fleurs odoriferentes : tu es liee de mary, tu peulx prendre ton plaisir en mariage, c’est beau chemin lequel suyvant, tu te peulx saulver. O paoure dame, veulx tu preferer amour lascif, a l’amour matrimonial qui est chaste & pudicque, que tu as en si grande observation conservee ? En considerant toutes ces choses, combien que feusse attaincte, & mon entendement fort blessé, au moyen de l’ardent amour, dont j’estoye possedee. Raison dominoit encores en moy : car une bonne pensee m’en amenoit une aultre : & commençay a considerer, & ruminer plusieurs hystoires, tant antiques que modernes, faisant mention des malheurs advenuz par avoir enfraintz & corrumpu chasteté en excedant les metes de raison, & me vint souvenir de la grecque Helene, qui fut cause de la totalle destruction de Troye. Puis comparut en ma memoire, le ravissement de Medee, laquelle pour remuneration & recompense d’avoir preservé de mort son amy Jason, il l’expulsa de son pays, parquoy luy fut necessaire de mendier, & requerir les suffrages & secours d’aultruy, dont advint que la paoure malheureuse, par ung desespoir, de ses propres mains occist ses enfans. Apres il me souvint de Eurial & la belle Lucrece, lequelz pour aulcun temps en grand hilarité & joyeuseté furent : mais depuis ledict Eurial fut contraint soy absenter, & suyvre L’empereur, qui fut cause de la mort immaturee de sa dame. Plusieurs aultres, se representoient en mes tristes pensees : comme Lancelot du lac, & la royne Genevre, qui furent cause de adnichiller l’excellente renommee du magnanime Roy Artus, & consequemment des nobles chevaliers de la table ronde. Et en ce mesme temps, Tristan de cornouaille, & la Royne yseul souffrirent tresgriefves fatigues, parce que leurs damnables amours estoit venues a la notice du roy Marc.

Apres avoir en mon ymagination consideré toutes ces choses, j’estoye deliberee de me desister d’amours, quand l’appetist sensuel me vint livrer ung tresdur assault, me voulant persuader de le suyvre, en accumulant en ma triste memoire innumerables pensees, toutes dissemblables aux premieres, dont je commençay a devenir froide, & feuz en telle extremité, que par voix ne se pourroit exprimer, par conception comprendre, ou par fantasie ymaginer. La semblance, effigie ou similitude du jeune jouvenceau, estoit paincte & descripte en ma pensee. Cela causoit port, faveur, & ayde, a amours, en sorte que la pensant mitiguer, elle croissoit & augmentoit, & disois en moymesmes, se n’est que simplesse, d’estre ainsi timide, il fault laisser la triste apprehension de maulx qui sont advenus au temps preterit, & avoir regard au temps present. Je cognois plusieurs jeunes dames & damoyselles qui ont bruyct d’avoir quelque amy, lesquelles vivent en joye & en liesse, force me sera de les ensuyvre : car de resister, les puissances me sont ostees : une chose y a qui me conforte, c’est que qui peche avec plusieurs, il n’est pas digne de si tresgrande reprehension. Et pour finale resolution, pour le moins je veulx avoir le plaisir, du regard delectable de mon amy. Je nourriray amours licitement en mon cueur, sans le divulguer a personne, tant soyt il mon amy fidele. Ainsi doncques, commençay du tout a chasser raison, parquoy la sensualité demeura superieure.

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