← Retour

Les angoysses douloureuses qui procedent damours

16px
100%

Par sainctz admonestemens femme d’amour picquee ne veult desister.
Chapitre. XIIII.

Ainsi que mon esprit estoit occupé de telles varietez & pensees, j’apperceu ledict religieux, & incontinent que l’euz veu, avecq modeste alleure m’adressay vers luy, & depuis les salutations faictes, & que feusmes retirez en ung petit lieu secret & devotieux, il me feist (de sa grace) asseoir, pource que il veoit que je estoye quelque peu debile. Et pour le principe & commencement de ces parolles, me deist ainsi. Madame, par ce que je peulx presupposer & conjecturer, en regardant vostre face tant palle & decoulouree, vous souffrez des passions si vehementes, que difficile chose vous semble de trouver quelque petite allegeance a vostre griefve douleur, mais si vous voulez vous retourner a Dieu, en luy faisant devotes supplications, Vous debvez avoir ferme credence, avecq une foy indubitable qui ne vous laissera, mais vous donnera ayde & confort : Il vous fault efforcer d’avoir contrition des offenses que vous avez perpetrez & commis : car aulcunesfoys par noz vilains & exorbitans pechez, nous sommes cause d’encourir l’yre & indignation divine, qui nous tourne a grande confusion, & ne pouons estre reintegrez en estat de grace, que premierement n’en ayons faict penitence condigne. J’ay esté adverty que ce jour d’huy avez cuidé tomber en tel inconvenient, comme de perdre corps & ame, en vous voulant precipiter vous mesmes, dont je m’esmerveille fort, quelle infortune ou adversité vous peult estre survenue si grande qu’elle vous preste cause & matiere de desespoir, n’avez vous regard ne consideration que nous decedez de ce monde, & que nostre ame despouillee de ceste triste habitude corporelle, si par cupidité ou maulvaistie elle se trouve fœtide & maculee, a perpetuité & a jamais triste demeure, luy sera deputé. Je croys si vous avez l’apprehension de telles choses, facilement vous pourrez reduyre, & affin que je vous y puisse ayder, je vous supplie de me declarer la cause dont vous procedent telles furieuses fantasies. Apres les salutiferes parolles, je vouluz commencer a parler : mais devant que prononcer la premiere parolle je commençay a trembler, & entra une si extreme froydeur dedans mes os, que pour la douleur que je souffroys, la parolle me fut fortclose, au moyen des regrectz qui anticipoient ma voix : & fuz long temps, que plus simulachre ou statue, que creature vive representois.

Moy estant en ceste extremité reduicte, ne pouoye trouver paix ne tranquilité en mon cueur : mais souspirant jusques a effusion de larmes tenoys le chef baissé, monstrant par mes gestes exterieures, que j’estoye oultrageusement angustiee & adoloree. Ce voyant le religieux avecq ses efficacissimes paroles mettoit peine de m’appaiser, & avoit grande compassion de mes griefves douleurs : mais ses bonnes parolles m’estoient de peu de fruict, ou de nulle valeur, pource que ma pensee estoit occupee de venimeuse amour, qui me tourmentoit jusques a la mort. Toutesfoys apres quelque espace me fut restitué aulcune vigeur, qui me donna force & pouoir de parler. Et lors a voix cassee & interrompue a cause de l’oppression de mon cueur, je commençay a proferer telz motz.

Helas monsieur, sy une congregation se faisoyt de tous ceulx en general qui ont langues disertes, si seroyt il difficile de narrer les insuportables passions, dont mon ame est continuellement agitee & persecutee, sans avoir jamais esperance qu’il soyt imposé fin a mes malheurs, jusques a ce que mort s’en ensuyve : parquoy ne prenez admiration aulcune de veoyr ma face palle & descoulouree, mais affin que ne ignorés l’occasion de mes lacrimes, pleurs & gemissemens de mon infortune vous veulx rendre certain : combien que ne le relate sans douleurs, car le rememorer m’est chose anxieuse. Las les pensees & regretz infinis, dont je suis excessivement tourmentee & travaillee, ne sont pour la juste douleur que debvroye avoir de mes iniques pechez : mais me procedent a l’occasion des innumerables desirs, & amoureux aguillonemens, dont je suis oppressee, & m’est impossible d’y sçavoir resister : car je ayme si ardamment que je aymeroys trop mieulx estre privee de vie, que de la veue de mon amy, dont en ces considerations de mes peines insupportables, cela vous doibt facilement incliner a avoyr commiseration de celle qui par trop grande amour voyez en une langoureuse infirmité, trop pire que une violente mort : vous me incitez & exhortez de me retourner a Dieu : en luy faisant devotes prieres & intercessions. Helas comme seroit il possible de luy faire requeste de me desister d’amours ? Car soyez certain que je ne pourroye a ce contraindre mon cueur : combien (que comme je vous ay predict) j’ay euz peine & travaulx inestimables, il y a eu quelque doulceur, toutesfoys seulement de sa veue : mais ung seul regard de mon amy : si je suiz palle, il me peut colorer : si je suis triste, il me peult resjouir : si je suis debile, il me peult fortifier : si je suis mallade, il me peult rendre saine : & si j’estoye jusques a la mort, il a bien ceste puissance de me vivifier. A ces causes je ne sçauroye avoir vouloir de me retirer de son amour : mais quand ainsi seroit que je m’en vouldroye desister, je ne suis si presumptueuse, & n’estime tant ma pusillanime vertu, que je le peusse faire, veu & consideré que noz predecesseurs les plus experimentez en science, n’ont peu a tel embrasement resister, mais nonobstant la sublimité de leurs entendemens, se sont rendus humiliez & captivez. David pour jouyr de Bersabee commit homicide. Le sage Salomon soubz espece d’amour fut ydolatre. Aristote de naturalité le prince, pour la persone de s’amye Remya, adora amours. Le filz de Alcumena, qui fut dompteur des hommes & des monstres ne peult evader, qu’il ne fut vaincu D’amours, en sorte que pour complaire a sa Dame yolle, il usa de fard, & oultre plus feist œuvre de pedissecque & chambriere. Si je vous vouloye reciter plusieurs aultres, ce ne seroit que consummation de temps, & pour eviter superfluité de propos, je m’en deporte, vous suppliant que veuillez considerer, que puis que amours a eu si grande puissance sur noz predecesseurs, elle ne peult deffaillir a leurs successeurs. Doncque seroit ce a moy grand follye, si j’estimoye superer amours, a quoy les hommes n’ont peu faire resistence ? Et pour ce toute timeur mise arriere, il m’est force d’avoir le desir de ma jeunesse, ou que miserablement je meure. Vous m’avez faict plusieurs remonstrances que je congnois estre vrayes : car je suis certaine que quand mon ame sera transmigree de mon corpz, que selon mes merites, ou demerites, du juste juge elle sera jugee, mais je croy qu’elle ne sçauroit estre en lieux si penibles que en mon miserable corps, car la plus grand peine infernale & la comprehension intellectuelle de la divine justice, cela leur est ung inestimable supplice. Et moy paoure malheureuse qui suis tormentee en corps & ame de la flamme d’amours, qui me brusle & consume, avecq les innumerables regretz, dont je suis agitee, sans avoir esperance de quelque refrigeration : par cela peult on juger leurs peines n’estre equiparables a la mienne, & pourtant je ne crains la mort : mais continuellement j’ay ferme propos de la cercher. En cela ne seray variable, car puis que mes amours sont venues a la notice de mon mary, je suis certaine qu’il me contraindra de me absenter, pour me priver de la veue de mon amy, pensant que par ce moyen je le deusse oublier. Helas donc comment pourrois je vivre ? Car combien que mon corps se departe, mon amoureux cueur fera residence avecques mon amy, jusques a la separation du corps & de l’ame, qui prochainement se fera : car ce qui me conservoit & tenoit en vie, n’estoyt seulement que le singulier plaisir & suavité que je recepvoye, en voyant celluy qui est le seigneur de ma vie.

Chargement de la publicité...