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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Reproches de l’amy a sa dame pour trop languir.
Chapitre. XX.

Ma dame je cognois ores & le voy evidemment que voz pensees sont merveilleusement discordantes a la prononciation. Au moins si je suis bien memoratif des dernieres parolles que vous me dites, qui furent telles : vivez en esperance, & je auray de vous memoire. Mais vous ne debvés estimer que je soye si exoculé ny aveuglé, que ignore les propos, mocqueries & derisions que journellement faictes de moy, & pareillement monsieur vostre mary, ce que ne sçauriez nyer : car qui a escouté voz devises m’en a faict le rapport, dont je fuz merveilleusement irrité, considerant que de vous je n’euz oncques que fatigues, tristesses, & vie tresdolente : mais si deliberee estiez de me licencier, si debvriez vous user de moyens plus conveniens & honnestes, & m’enucleer & declairer vostre couraige. Car celer les choses qui sont manifestes, est plustost acte de curiosité que de prudence : de laquelle je vous pensoye vraye dame & manifeste, & estimoye tant de vostre vertu, que toutes choses vitieuses vous feussent detestables, & croyoye que non seulement les eussiez evitees, mais avecq une discretion eussiez remonstré aux aultres qui en seroient entachez pour estre moyen de les extirper & abolir : mais si bien considerez, ce n’est acte vertueux de user de telles mocqueries, dont je seroye fort mal content, n’estoit une chose qui me conforte, c’est que je ne suis seul abusé de ce variable sexe femenin, & le unicque refuge des miserables, est de veoir les aultres de semblables passions oppresser.

Apres qu’il eut ce dict (combien que ses parolles feussent proferees en grosse fureur) je sentis mon cueur d’une certaine liesse si profuz, que l’exprimer seroit difficile, esperant que luy feroye croire le contraire de ce que le faulx relateur luy avoit dict & recité, auquel il ne debvoit aulcune foy prester, car il pouoit veoir par signes evidentz que je l’amoye oultre l’humain croire, & si quelques fois faignant de rire & me sollacier, j’avoye tenu aulcun propos de luy, s’estoit pour complaire a mon mary, en dissimulant ingenieusement l’amour que je luy portoye, affin qu’il me feust imparty plus de liberté que paravant. Ainsi que je pensoye & ymaginoye quelle excuse je diroye a mon amy, qui peut avoir lieu de reception, il me pressoit & stimuloit de respondre, & par impatience disoit : Je suis marry que vous estes si lente & tardive de parler : parquoy vous donnez occasion aux detracteurs de penser & de dire plus de mal encores qu’il n’y en a, & a l’heure je luy respondy. Je suis grandement esmerveillee & non sans occasion des fascheux propos par vous proferez, & ne puis conjecturer ne presupposer, qui vous meult de me attribuer telle faculté de derision & mocquerie, a quoy je ne pensay jamais : & si quelque faulx rapporteur vous a persuadé de le croire, la coulpe a vostre inconstance se doibt ascripre : car peult estre que quelque cler voyant s’est apperceu de voz continuelles poursuytes : lequel pour interrompre ou alterer nostre amour auroit esté annunciateur d’une artificielle mensonge, & pourtant ne debvez en vostre conception imprimer semblables habitudes : car le facile croire, le consentir ou mensonge, sont signes manifestes de personne aveuglee. Il me desplaist fort de ce que vous estes si peu estimatif de mon honneur. Je congnois apertement que ne differez de dire en publicque ce qui se debvroit conserver en silence, jusques a ce que nous fussions en lieu plus commode. L’on doibt estre sage, discret & secret es choses qui tousjours les vies & honneurs concernent : pour ce je vous prie & supplie que vueillez estre plus considerant, ou si ainsi ne le faictes, ce me sera evidente demonstration d’une grande scelerité & maulvaistie. Quoy voyant je succumberay en si grosse molestie de cueur : qu’elle sera occasion de me faire finer la vie. Ainsi que je disoye telles parolles, je me retiroye aux lieux qui me sembloyent plus secretz & taciturnes. Et ce voyant mon amy, s’efforçoit de parler plus haultement, & me disoit : Ma dame, diserte & accommode est vostre narration, & de telle efficace, que je me persuade de le croire. Mais affin que ne consumons le temps en superfluité de propos, je vous prie de me dire si je parviendray a mon intention. Je vous prononce briefvement mon intention : mais la crainte que j’ay me doibt servir d’excuse raisonnable. Ouye sa proposition me retiray ung petit arriere des gens qui en grand multitude affluoient : & en basse voix luy deiz, que la journee sequente il se trouvast au temple (lequel je nommay) la ou nous pourions avoir l’opportunité de deviser plus a loisir. A ces motz en grande promptitude il me respondit. Ma dame quand aux devises je me contente, & vous en quitte : car si bien considerez la consummation de temps, a la longue servitude merite premiation : & si vous estes ingrate de si grand amour, vous pervertirez l’ordre de vostre gentille nature, laquelle pour aymer semble estre nee. Ayez memoire & recordation de Cydipe, laquelle pour estre a son amant ingrate, de la deesse Diane griefvement fut punie.

Ainsi comme il m’instiguoit pour me incliner a respondre j’estoys par mouvemens toute commue. Amour & timeur me tourmentoit, & disoye a moymesme. Ce jeune homme icy (comme l’experience le demonstre) a converty amour en desdaing : parce qu’il luy semble que je suis trop lente & tardive de satisfaire a son ardent desir, & par impatience & indiscretion veult que promptement je luy responde : parquoy je puis conjecturer qu’il est inveteré & deliberé de m’engendrer une perpetuelle infamie, car si presentement j’acquiescoye a sa requeste : ce ne pouroit estre sans estre ouye de quelc’un, qui seroit cause de ma totale ruyne & extenuation. Estant occupee en ces considerations, je luy dis que je craignoye fort la survenue de mon mary : parquoy m’estoit chose urgente & necessaire de m’en retourner, & que quelque foys si j’avoys le temps oportun & lieu commode, de ma volunté le rendroye certain. Et en ce disant en grand tristesse & amaritude de cueur de luy prins congé. Et luy comme non content, en murmurant de moy se partit : mais quand je fuz retiree, & que je commençay a considerer l’iniquité de mon amy, cela me causa une extreme & angoisseuse douleur, & ne cessay tout ce jour de plorer & lamenter : mais le soir venu contraincte me fut de cesser mes douleurs, pleurs, & gemissemens, pour ne donner a congnoistre a mon mary que je persistoye en mon amoureuse follie.

Depuis telles rigoureuses parolles tenues par mon amy, il continua tousjours de me appareiller nouvelles occasions de fascherie par toutes les sortes & manieres dont il se pouoit adviser : & en tous lieux ou je assistoye il se trouvoit accompaigné de plusieurs ses compaignons : & juroit & affermoit que j’estoie s’amye. Et moy voiant telle oultrageuse crudelité, qui n’estoit encores que le principe de ses detractions cerchoie les moyens de parler a luy pour luy remonstrer & luy exprimer les anxietez & douleurs que par ses importunitez je souffroye : & pensant parvenir a mon intention me transmigray au temple accoustumé, ou j’esperoye de le trouver : pource que ce jour la estoit le jour d’une feste solennelle, & y avoit grand multitude de peuple tant hommes que femmes faisans divers actes : les ungs faisoient devotes prieres & oraisons, les aultres se pourmenoyent prenant plaisir a speculer & regarder les plus belles dames : mais apres que j’eu regardé en plusieurs & divers lieux pensant veoir mon amy, je me retiray en lieu secret & taciturne pour plus solitairement continuer mes fantasieuses pensees : mais peu apres en jectant les regardz de mes yeulx en circonference, je le veiz avec deux de ses compaignons, en regardant selon sa coustume, & en se efforçant plus que jamais par plusieurs signes et mines pour m’induyre aussi a luy monstrer semblant : affin que plus apertement par mes gestes qui sembloient estre pleines de lascivité feminine, je feisse indice de l’excessive amour que je luy portoye. Et encores pour plus grande experience & certitude de noz amours, fut inventeur d’une artificielle subtilité, affin que ses compaignons indubitablement portassent foy a son dire : car apres qu’il fut fastidié et ennuyé d’aller, il vint passer pres de moy et dist assez hault qu’il s’en vouloit retourner, puis apres en basse voix dist a ses compaignons. Allons nous cacher derriere quelque pillier, et je suis certain que sans dilation elle se absentera : car le long sejour qu’elle faict icy, n’est que a l’intention de parler a moy. Je ouy ces parolles, qui fut occasion que je demouray. Et luy voyant cela, il se commença a pourmener : mais incontinent je m’en party merveilleusement dolente, me voyant frustree de mon intention, qui estoit de parler a luy pour luy faire aulcunnes remonstrances. Mais quand je fuz retournee en ma chambre, par une incredible doleance de mes yeulx vers & irradians, je faisoye distiller les abondantes larmes : & par ung amoureux desir assailly de desespoir, De mon vray sentement demeuray privee : car quand je consideroye l’inconstance de mon amy, ce m’estoit ung inestimable supplice. Mais toutesfoys combien que je le congneuz scelere & maulvais, ne estoyt en ma faculté de diminuer l’amour : car elle estoyt si fort imprimee dedans mon cueur, que continuellement & jour & nuict en ma triste memoire se representoit son simulachre : dont advint que la nuyct sequente, moy estant couchee aupres de mon mary fort attediee & lassee, mes yeulx qui de tresfort dormir estoient tentez, je tenoye vigilantz pour mediter & penser : mais a la fin je fuz de si grand sommeil oppressee, que je demeuray vaincue, & m’endormy : & certes le dormir me fut plus gracieux que le veiller, parce qu’il me sembloit estre avecq mon amy en ung beau jardin plaisant & delectable, & sans aulcune timeur le tenoie par la main, & luy prioie qu’il fut prudent & discret : luy remonstrant la grande doleance qu’il me causoit au moyen de ses importunitez. Il m’estoit advis qu’il me respondoit, que la faulte se debvoit ascripre a Amour : qui par impatience le contraindoit a exceder les metes de raison : mais que doresnavant il tempereroit son appetit sensuel, en sorte que il ne me donneroit occasion de me irriter. Et je oyant ses doulces & melliflues parolles, me sembloit que interrompoie sa voix, par souvent le baiser & accoller : mais las que je fuz dolente, car pour donner ordre a quelque affaire de grande importance mon mary me esveilla dont je demeuray fort melencoliee.

La roside Aurora se separoit du deauré lict de l’anticque Titon son mary, quand je commençay a dire. O faschee femme du viel Titon, qui te meust d’estre si prompte de exciter le bel Apollo a illuminer la terre ? Certes tu te fastidie & ennuye de reposer entre les bras de ton mary, comme celle qui les baisers de Cephalus au prejudice de Pocris plus desire. O fascheuse que te nuysoit le singulier plaisir que le gracieux dormir me prestoit, qui me faisoit croyre estre vray, ce que par le veiller m’est exhibé contraire. Que ne permettois tu ceste felice nuict de aussi longue duree, que celle qui a Juppiter fut octroyee, lors que il estoyt entre les bras delicaz de la belle Alcumena : mere du preux Hercules, quand de trois jours & troys nuyctz les nocturnes tenebres ne furent dechassees : certes je croy que lors faisoys residence entre les bras de iceluy Cephalus, duquel tu ne te vouloys separer. Et disant ces propos je veoye de plus en plus esclarcir : parquoy contraincte me fut de me lever, mais je desiroys fort que la nuyct retournat, affin que en dormant me fust imparty le plaisir dont par le veiller j’estoys privee : mais jamais depuis ne peux avoir telle delectation : mais au contraire par plusieurs fois me sembloit veoir le mien amy en forme horrible & espouentable, tant palle & descoloré, que je avoye horreur de le veoyr en telle sorte : que par plusieurs foys m’escrioye haultement, en sorte que mon mary se esveilloit, & me demandoyt dont me procedoient telles frayeurs & espouvantemens : & je estant rasseuree cognoyssant que ce ne estoit que songe & choses vaines, soubdainement par diligent conseil fœminin trouvoye quelque artificielle mensonge : puis quand il se rendormoyt je commençoye a penser & ymaginer merveilleusement perplexe & doubteuse, a l’occasion de telz songes, qu’il me estoit certain presaige & demonstrance de succumber futurement en plus grand infortune, encores que je ne estoye, & parce que me congnoissoye melencolicque & frigide, cela me causoit plus de anxietez, sachant que en telles personnes la vertu a si grande domination que autant ilz comprengnent en dormant, que les aultres font en veillant. Estant en telles fatigues, me levoye puis me enqueroye a tous augures, aruspices, ariolles & conjecturateurs : affin qu’ilz peussent interpreter mes songes pour en avoir certitude. En telle sorte passay plusieurs jours, jusques ad ce que fortune me permist l’opportunité de parler a mon amy sans aulcune crainte, parce que ce jour mon mary estoit empesché pour la survenue d’ung gentil homme son parent, et pource que n’eust esté chose licite ny honneste de le laisser, il me fust concedé d’aller au lieu ou on plaidoyt les causes, seullement accompaignee de ma familiere damoyselle, mais incontinent que j’y fuz, je vey mon amy accompaigné d’ung jeune gentil homme, lequel ne differa de venir parler a moy, mais apres plusieurs joyeuses devises, le plus subtilement & ingenieusement que je peux luy donnay a congnoistre que j’avoye aulcune chose secrete a luy communicquer : puis faignant d’avoir quelque affaire me sequestray & prins congé d’eulx, & laissay mon amy, duquel la pensee demeura vagante en plusieurs choses, & fust stimulee d’ung affectueux desir de sçavoir quelle chose de nouveau estoit intervenue : & a ceste occasion il me suivit, & par continuelles persuasions me pressa fort de luy declairer, ce que a l’heure je luy deniay, luy promectant de luy exhiber le soyr. Et adoncque luy creut le desir de le sçavoir pour estre la privation cause de l’appetit, parquoy par prieres instantes continua tousjours me priant de ne luy vouloir celer, ce pendant que nous avions l’oportunité, me disant que mon mary y pouroyt estre au soir, qui seroit occasion de le frustrer de son desir. Je voyant qu’il perseveroit ses instigations je m’enclinay & condescendis a son vouloir : & luy dis que pour eviter de m’engendrer scandale, que nous allissions en ung petit temple : duquel n’avoit point grand distance jusques au lieu ou on plaidoyt les causes. Je n’euz pas plus tost prononcé ces motz, que luy qui estoit assis aupres de moy ne se levast. En grand promptitude nous transportasmes au lieu designé : auquel parvenuz, je commençay a proferer telz motz. O mon dieu, n’eusse jamais conjecturé premierement quand je vous veiz (en speculant vostre philosomie, qui vous demonstre estre flexible a toute bonté) que vous eussiez esté si cruel & impiteux que je vous congnois presentement (au moins si le rapport que l’on m’a faict est veritable.) Las les os m’en tremblent, la bouche se clot, la langue est mute a narrer telle crudelité. Toutesfoys pour satisfaire a vostre aspirant desir, en brief parler je vous reciteray : c’est que vous ne cessez de detracter & mal parler de moy, dont je prens grand admiration, veu & consideré que jamais en chose aulcune ne vous ay offensé. Cela me donne certaine evidence que l’amour que monstriez avoir en moy, n’estoit que faintise faulse & simulee. O trop ignare nature fœminine, O dommageuse pitié, comme nous sommes par parolles adulatoires : par souspirs, & continuelles sollicitudes, & par faulx juremens deceues & circonvenues : mais ce nonobstant que je congnoisse toutes ces choses, mon acerbe fortune m’a si fort lyee, qu’il n’est en mon pouoir ne faculté, de me sçavoir en aulcune maniere delier.

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