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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Guenelic persiste en ses advantures pour trouver s’amye.
Chapitre. I.

Apres avoir prins congé du prince, nous montasmes sur mer, & navigasmes a la tresrenommee Carthaige : a laquelle parvenus, totallement la visitasmes : & de la a Valence, Barselonne, Marseille, Moulgues, Albougues & Savonnes : puis tost apres arrivasmes a Gennes, & la prismes port, & affermasmes les ancres : pource que nous estions tant travaillés, que necessairement nous convenoit reposer : en entrant dedans la ville, Je vis ung gentil homme qui aultresfoys en nostre region me avoit esté amy familier & domesticque : & comme je l’euz apperceu, a mon compaignon je dictz ainsi : Quezinstra si la memoyre ne me deçoyt, je voys la ung gentil homme : lequel nous estans au pays avec nous frequentoit, Et en ce disant ingenieusement approchasmes de luy, & nous arrestasmes pour le contempler, puis confermez en certitude nous feismes plus proche de luy : puis treshonnestement le saluasmes. Et lors avec les yeulx ententifz nous regarde : & quand congneu nous eut, avec une certaine doulceur & amour, de luy feusmes humainement & cordialement interroguez : quelle estoit la cause de nostre venue en ce lieu : & a l’heure non sans plourer de ma calamité le feis sçavant, dont le recit le provocqua a lachrymeulx gemissementz, & me dist.

Guenelic vous n’estes seul ayant cause de vous lamenter : car moy que vous congnoyssez de lignee noble de present : par l’instabilité de fortune, de ce lieu suis citadin, ou me fault converser avec gens superbes & de toute bonne coustume alienez. Car combien que ceste terre soit riche, opulente & belle, si n’est elle productive que d’enfans ingratz : avec lesquelz, nulles gens de bon esperitz ne se peuvent conformer. Neantmoins puis que aux immuables cieulx a pleu, d’eulx eternellement me contente : & doresnavant le plus solitairement que pourray, feray residence en mon domicile : auquel je vous supplie vouloir venir vous refociller, en y usant d’aultant de privaulté, que pourryez faire en vostre propre lieu hereditaire. Et en ce faisant, l’estimeray a grand honneur, & singulier plaisir. A ces motz, tant qu’il nous fust possible le remerciasmes : & sans user de reffus, en son domicille nous transportasmes. Et quand nous y feusmes parvenuz, entrasmes en divers propos & arraisonnemens. Et ce pendant se procuroit du benefice corporel : & puis apres le souper, nous fut pourveu de repos honnorable.

La nuyct accompaignee de desir en brief somme me passa : car mon intention estoit de ne sejourner plus d’ung jour en la Cité : mais mon ingrate fortune tousjours contraire a mon desir, ne permist que a ma conclusion se peust ensuyvir l’effect, a l’occasion d’une facheuse fiebvre : par l’operation de laquelle je fuz si cruellement exagité, que aultre chose je n’attendoye sinon que de brief estre du nombre de la famille de Proserpine. Quoy voyant le bon gentil homme, qui si benigne reception nous avoyt faict, a mon accident voulut pourveoir : car en grande promptitude manda ung prudent & diligent physicien : lequel avec plusieurs choses a ce convenables, fut cause de l’evacuation totalle de ce qui m’estoyt nuysible : tellement que peu a peu fuz reduict es termes de ma bonne convalescence : non pourtant fuz longue espace si debile, que en ma puissance n’estoyt de donner principe au tresdesiré partement, Toutesfoys l’affection accoustumee continuellement me stimuloyt : & en moy mesmes disoye. O Guenelic, quel sinistre accident, quelle tediation, quelle destitution de santé, t’empesche d’aller vers celle que tant tu desire ? ne sçaiz tu qu’il n’y a beatitude, felicité, ou contentement : qui le tient peult superer, ne encores approcher : si une foys te peult estre concedé l’assister en sa presence ? O combien a l’heure te seroyt la mort plus felice, que de vivre absent ? Et pour ceste occasion te fault mettre peine reprendre les forces de ton esperit : Et esvertuer tes debiles & fatiguez membres : comme estant certain, que de leurs peines ne demoureront sans remuneration. Parquoy bien heuré sera le travail & tresfelice le martyre, qui a telle suavité te conduyra : tu seras corroboré & restauré de tous les travaulx, que tu as souffers : & si seras reduict en perpetuelle & infallible lyesse. Et pour ceste cause la timeur d’aulcun perilz tant grand fussent ilz ne te debvroit retarder.

Apres avoir ainsi precogité le bien futur que j’esperoye ce m’estoyt occasion de me restituer aulcune vigueur : pour laquelle augmenter m’esforçoye de menger viandes nutritives, & substantieuses : affin que par ce moyen, ma force qui par maladie estoyt de moy sequestree, plus facilement peust en mes membres retourner, & en dechasser la debilitation, ce qu’il ne me fut point fort difficile : car le plus grand principe de guarison, est de vouloyr estre guary. Et quand je me sentys en ma force primitive, de toutes les calamitez soustenues, commençay a oublier : & a l’heure sans aulcune dilation (apres avoyr le gentil homme de ses benefices grandement remercyé) prinsmes la voye de nostre partir. Et nous remis dedans les vaisseaulx aquaticques, Eolus nous conceda assez prospere chemin, & en moins de huict jours, fusmes transportez en une isle assez convenable pour prendre repos : celle estoyt envyronnee de treshaultz rochers & boys, Et si y avoyt aulcuns habitans, entre lesquelz habitoit ung homme qui reluisoyt d’une admirable saincteté : Et si estoit tant experimenté en science, que a ycelluy eussent esté debiteur la fontaine de Helicon, & le mont Pernasus : estantz informé de luy fusmes fort desireux de le visiter, ce que nous feismes, Et depuis les reverences & salutations faictes : il nous commença a interroguer, pour sçavoir quel cas urgent en ce lieu nous amenoyt. Ces parolles disoyt il, pource que telle estoit la coustume de ses circonvoisins de venir vers luy pour avoir son opinion de leurs doubteuses affaires. A ces motz luy respondismes, que long temps y avoit que pour retrouver aulcune chose desiree cerchions le monde : En quoy faisant, avions eu tant de fatigues & de travail, que avec beaucoup moindre sollicitude se conquesteroit le montueulx royaulme de Perse. Dictes ces parolles, il nous requist de luy exprimer la cause de nostre travail. Et lors fuz aulcunement timide, considerant la condition de l’homme, la gravité, la vraye religion, la vie austere, & la continuelle sienne sollicitude en vertueuses operations, me retardoyent de luy divulguer l’occasion de mon voyage, toutesfoys apres quelque espace avoir differé sans riens reserver de toutes mes preterites & presentes anxietez, le rendyz certain : & le tout par luy distinctement entendu, ainsi me dist.

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