Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Infortuné
delivrement de Helisenne, &
fin des amours de Guenelic.
Chapitre. VIII.
O Guenelic je ne puis conjecturer, quelle lyesse pourroit estre si grande, que elle peult celle que presentement je sens superer, ny encores approcher.
O dieux quelle influence celeste de telle beatitude m’a rendu digne.
O felice presence : qui m’est de si grand contentement, que le puis exprimer : car jamais Demetrius a Almya, Leander a Hero, Juppiter a Europa, ne Hercules a yolle, ne furent tant acceptables ny aggreables que tu es a moy. Et si je reputoye heureuse la veue que ces jours precedentz par le benefice de la fenestre me fut concedee, ceste icy excede trop en felicité : car j’estoye fort perplexe & doubteuse que ne peusse parvenir a ma future delivrance : mais a ceste heure par ta providence, je me voys totalement liberee de mon antique travail. Apres ceste amoureuse & doulce prononciation je luy ditz.
O ma dame unicque, soys certaine que si ma veue te donne plaisir, le assister en ta presence me est bien autant plaisant & delectable que jamais fut Andromeda a Perseus, l’egyptienne au triumphateur Cesar, & la belle nymphe Eperye a Esacus. Mais pource ma dame que trop lente departie nous pourroit nuyre, il convient executer noz deliberations, & nous preparer a nostre expedition. Tout subit que j’eux imposé fin a mon dire, ma dame se tourna vers une antique damoyselle : laquelle avec grande observance de fidelité l’avoit servie. Et a ceste occasion, ainsi luy dict, m’amie pour ne vouloir user d’ingratitude, je vous veulx retribuer des bons & aggreables services que m’avez faict : pour recompense desquelz, liberalement vous donne assez grosse somme de pecune : que trouverez en ce mien petit coffre, dont voyla la clef. Et en ce disant, luy presenta : dont la damoyselle grandemenent la remercia : puis luy dict, ma dame je suis grandement letifiee de veoir imposer fin a voz assiduelles anxietez, mais je suis timide que quand la chose sera parvenue a la notice de monsieur vostre mary & de sa parente, qu’il ne me facent souffrir quelques molestations. Car ilz pourront suspecter que je suis de voz secretz participante : vous sçavez que en leurs yres sont tant precipiteulx que tresfacilement envers leurs serviteurs sont cruelz. Et lors ma dame luy respondist, M’amie, vous pourrez certifier a monsieur mon mary & a sa parente, que mon amy Guenelic, pour lequel j’ay enduré si griefve peine, tant par subtile ingeniosité que par force, est entré en ce chasteau avec certaine deliberation de m’en jecter dehors : a quoy je n’ay faict aulcune resistence : car le seigneur amour qui sur moy a domination & seigneurie, me presse & stimule de le suivir. Et pour ce advertirez monsieur mon mary, que s’il a desir de femme qu’il s’en pourvoye : & de jamais me veoir, toute esperance luy soyt perdue : car je n’ay intention de jamais en sa presence assister.
Incontinent apres ces parolles, nous sequestrasmes du chasteau pour venir a la porte, ou noz chevaulx estoient tous prestz & appareillez : sur lesquelz montez, non lentement mais en grande & extreme diligence commenceasmes a cheminer. Mais ce pendant quelque infelice influxion du ciel permist que la dame maldisante fust de nostre affaire certioree : Et ceste infortune nous advint par ung meschant & malheureux garson, qui toutes les devises que nous avions tenues au chasteau avoit entendu : Et par ce moyen, sans que nous en prinssions garde, s’estoit de nous absenté pour a la cruelle dame en faire ample recit. Helas ce nous fust occasion de convertir nostre grand hylarité en trop grand amaritude : car comme nous cheminions dedans la forest & n’estions encores que a quatre mille de distance du chasteau de Cabasus, il nous sembla ouir ung merveilleux bruict de chevaulx. Et a ceste occasion ma dame fut fort timide : car la pensee son mal prevoyant recogitoit & pensoit toutes les choses qui la pouvoient offenser. Et pour ceste cause me dist, Guenelic, je ne puis conjecturer dont me procede l’anxieté douloureuse qui au cueur m’est survenue, je suis en une extreme perplexité, doubtant que se ne soit quelque presage de mal futur, car le bruict que nous avons ouy, me mect en doubte, Et a l’heure moy qui moins angustié & adoloré n’estoye la commençay a reconforter, quand de plus en plus augmentoit le bruict. Et tost apres apperceusmes la grand multitude de gens qui tous d’une voix unanime se escrioyent, O ravisseurs & non point chevaliers, rendez nous la dame que vous avez seduycte, ou aultrement par force serez contrainctz. Par ces parolles fut la mienne Dame de si cruel travail affligee, qu’il n’estoit possible de plus. Et pour ce avecq une voix fort oppressee, ainsi me dist.
Helas tresdoulx amy, je voys apertement, que en ce jour que nous estimions tant felice pensant qu’il feust principe de nostre perpetuelle beatitude, nous sera tresmalheureulx : car ce nous est chose manifeste, que par mort acerbe, furieuse & execrable immaturement finerons noz jeunes jours. Quand j’entendis ces piteuses & lamentables parolles (combien que ma douleur interieure fut grande) je dissimulay en face le tourment que le triste cueur sentoit. Et pour la consoler, luy disoye qu’elle feust ferme & de bon couraige : car je avoye bonne esperance que quelque vertu divine, de peril mortel nous preserveroyt, & en ce disant, contemploye sa face qui tant estoit pasle & descoulouree, que plus morte que vive ressembloit. Quoy voyant Quezinstra & moy, feusmes de advis de la descendre & poser soubz ung arbre, craignant que par debilitation son travaillé corps peust tumber. Mais pas plus tost ne l’euz descendue & que feusmes remontez, que nous feusmes assailliz de toutes partz. Et lors mettant les mains aux espees commenceasmes a nous deffendre virilement : Et de telle sorte, que du principe chascun de nous abbatit le sien qui depuis n’eurent puissance de eulx relever : mais eulx confiant de ce qu’ilz estoient gros nombre, par grande superbité mettoient peine de nous grever, tellement que Quezinstra & moy feusmes ung petit blessez : mais noz vulnerations ne furent cause sinon que de plus en plus nous eschauffer. Et pour les enormes coups que continuellement recepvoient noz ennemys : le nombre commença si fort a diminuer, qu’il n’y eust nulz d’eulx qui ne feust merveilleusement timides : Parquoy ne feirent plus gueres de resistence. Et apres qu’ilz eurent long temps souffers, se rendirent fugitifz. Et en leur absentantz tous ensemblement donnoient maledictions a la dame maldisante, pour ce qu’elle les avoit stimulez de nous invader.
Apres les avoir vigoureusement poursuyvis, nous retirasmes : rendant graces & louenge a la souveraine divinité : qui tant nous avoit esté favorable, dont estions merveilleusement letifiez : & nous estoit advis qu’il ne restoit plus que de consoler madame Helisenne, & puis joyeusement nous mettre au chemin. Parquoy je commençoye a louer & extoller fortune, estimant que elle eust pacifié avec nous : mais manifestement nous demonstra, que d’executer son yre envers nous n’estoit encore rassasiee : car comme nous penssions assister en la presence de ma dame, ne fut en nostre pouoyr : pource que en poursuyvant noz adversaires, nous estions grandement eslongnés du lieu, auquel nous l’avions laissee : Et pour ce commençasmes a investiguer & cercher. Et avec ce je jectoye vociferations treshaultes, en invocquant le nom de ma dame : mais nul sinon Echo ne nous respondit. Toutesfoys apres l’avoir long temps cerchee retrouvasmes le lieu desiré : mais helas je veiz ma dame en telle extremité, que je n’eux occasion sinon de me douloir & contrister.