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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Helisenne surprinse d’amours est apperceue de son mary.
Chapitre. III.

En telles varietez de pensees, je passay toute la nuyct, j’estoye debile & de petite complexion pour ceste cause, au matin quand me voulus lever, me trouvay en maulvaise disposition de ma personne, pour l’acerbe travail, que j’avoys eu, de mes vaines & infructueuses pensees. Non obstant cela, d’ung grand & fervent desir portee, Je m’abilllay le plus hastivement que je peuz, pour venir a la fenestre ou j’atendois d’avoir singulier plaisir, & incontinent que je y feuz, veis celuy qui estoit le vray possesseur & seigneur de mon cueur. Alors je commençay a user de regardz impudicques, delaissant toute craincte & vergoigne, moy qui jusques a ce temps avois usé de regardz simples & honnestes : il avoit aussi ses yeulx inseparablement sur moy, qui fut cause que mon mary (en considerant les contenances de nous deux) eust quelque suspition, & pour en plus sçavoir, me disoit souvent, m’amye, par ce que je peulx comprendre, en considerant vostre contenance (qui est fort differente a vostre premiere coustume) vostre cueur est fort oppressé & chargé de tristesse, & melencolie, dont suis esbahy, veu que vous avez si grand desir d’estre en ceste ville, vous fasche il de quelque chose mal faicte ? que je puisse reparer, ou amender ? ou si vous avez desir d’avoir chose qui soit en ma puissance, ne differez de le dire : car vous debvez estre certaine de l’avoir promptement : car je vous porte si grand amitié, que liberallement exposeroye mon corps pour vous, jusques a la mort (si l’occasion s’y offroit.) A l’heure en grand promptitude, trouvay une artificielle mensonge, & luy deiz non, je vous asseure, que pour le present n’ay aulcune fascherie, a quoy vous puissiez remedier, car ceste soubdaine melencolie, ne me procede d’aultre chose, sinon que j’ay craincte de la terre litigieuse, cognoissant que partye adverse, est fort vigilante, & nous avons accostumé de vivre en delices & plaisirs mondains. Parquoy nous sera difficile estre diligens, comme le cas le requiert. Et lors mon mary en monstrant semblant de prester foy a mon dire & face joyeuse, me respondit, m’amye, je vous supplie ne craignez riens de ce que soyons prevenus ou surprins : car je vous prometz y avoir tel soing, que n’aurez cause de vous irriter, & ne vous soulciez de riens que de faire bonne chere, & prendre recreation. Et en ce disant, il me monstra mon amy (comme s’il n’eust prins garde a noz continuelz regardz) & me dit, voyez la le jouvenceau le plus accomply en beaulté que je veis de long temps : bien heureuse seroit celle, qui auroit ung tel amy. Ainsi qu’il proferoit telles parolles, mon amoureux cueur se debatoit dedans mon estomach, en muant couleur, du principe, devins palle & froide, puis apres une chaleur vehemente, licencia de moy la palle couleur, & devins chaulde, & vermeille, & fuz contraincte me retirer, pour l’affluence des souspirs, dont j’estoye agitee comme le monstrois par indices evidens, gestes exterieures & mouvemens inconstans. Et quand je voulois prononcer quelque propos, par maniere de plaintes & exclamations, l’extreme destresse de ma douleur, interrompoit ma voix, je perdis l’appetit de manger, & de dormir m’estoit impossible.

Long seroit a racompter & difficile, les pensemens que j’avoye : car je croy veritablement que jamais amoureuse ne fut si cruellement traictee en amours. Mais je m’esforceray d’en declarer, le plus qu’il me sera possible. Ainsi doncque perseveray journellement en telles amours tousjours usant des regardz acoustumez. Toutes ces choses veoit mon mary, comme cler voiant estoit certain que j’estoye surprinse, mais il ne m’en monstroit aulcun maulvais semblant. Mais au contraire, me monstroit plus grande amitié que jamais, dont je faisoye bien petit d’estime, car toute l’amour que luy portoys au paravant, s’estoit de luy separee, & en estoit le jeune amy vray possesseur. J’avois tant de plaisir en le regardant, que n’estimoye liesse qui la mienne superast, & ne cessay de penser & ymaginer, comment je pourroye parler a luy, & aulcunesfoys estoye si perturbee, que quant mon mary parloit a moy, je luy faisoye reiterer son propos par plusieurs fois, parce que l’appetist desordonné, avoit tout transporté mon esprit, au moyen de mes inutiles pensees. Je veoye mon amy quelques foys jouer d’une fleuste, aultres foys d’ung luc. Je prenoye singulier plaisir a l’ouyr, & a bref parler tous ces faictz m’estoient merveilleusement aggreables.

Je ne feuz en ceste delectation suave, doulce & melliflue que jusques au sixiesme jour, parce que mon mary me donna a cognoistre, la suspition que celeement & tacitement portoit en son triste cueur : car en se venant apuyer a la fenestre aupres de moy, me vint a prononcer aulcunes parolles, qui me semblerent merveilleusement acerbes. Il se tourna vers moy, & en soubzriant me dit, m’amye, se jeune homme la vous regarde fort, il a ses yeulx immobillement sur vous, je sçay que c’est d’amours, comme celuy qui l’a experimenté, mais je jugeroys & serois d’opinion selon ses gestes & contenances, qu’il est surprins de vostre amour. La prononciation de ce mauldit & insidieux propos me transperça le cueur, & feuz agitee, persecutee, & affligee de nouvelles doleurs, parquoy ne peuz promptement respondre, & quand je peuz parler, riant fainctement luy deis. Je crois que ce bien la ne m’est pas deu, car vous estimez que celle seroit felice & heureuse, qui auroit ung tel amy, non pourtant je ne n’ay point d’envie, car feust il aussi beau que Narcissus, qui n’estimoit creature equiparable a luy en beaulté, jamais mon cueur ne pouroit varier, ne vaciller, & certes aussi je croy que ces pensees & ymaginations, ne sont pas en moy, au moins que j’eusse peu appercevoir.

Et apres avoir excusé mon amy, je me retiray oultrageusement irritee, nouveaux & divers pensementz discouroyent par ma fantasie, j’estois incessamment aguillonnee de la beaulté ymaginee & paincte en ma memoire du plaisant jouvenceau, mais quand j’euz bien consideré, je commençay a mitiguer, & temperer ma fureur, disant en moy mesmes, je ne doybs estre hors d’esperance de mon amy, car mon mary n’a point de suspicion de moy, mais indubitablement m’estime ferme & constante, S’il c’est apperceu des coustumiers regardz de mon amy, je trouveray bien excuse qui aura lieu. Il me fault apprendre a souffrir patiemment, car il n’est si grand travail, que par prudence ne soit moderé : ne acerbe douleur, que patience ne derompe. Et avec ce qui se differe, ne s’abolist. En ceste deliberation passay encores quatre jours, je n’osoye plus regarder a la fenestre en la presence de mon mary, mais en son absence, je usoys des regardz accoustumez, pensant que par ce moyen me fust imparty quelque refrigeration, mais cela me causoit plus de ardeurs & enflammemens. Ung jour entre les aultres, je veiz mon amy allant par la rue, Il me print vouloir de m’enquerir de son estat, & maniere de vivre, ce qui me fut exhibé. Il estoyt de basse condition, dont je feuz merveilleusement marrye, mais la grand fureur d’amours (dont j’estoys possedee & seigneuriee) me offusquoit, & ostoit la congnoyssance, en sorte que combien qu’il m’en despleust, l’amour ne diminuoyt.

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