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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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L’impatience d’amours par despit cherche la mort.
Chapitre. XII.

Et pour les bien declarer, vous fault entendre que toutes mes pensees se reduyrent en une, qui estoit telle que par mort me vouloye mediciner. En mon trouble courage, je fuz si eschauffee de fureur, pour l’ardent desir que j’avoye de mettre mon miserable vouloir a execution, que furieuse rage revocqua les forces en mon corps angoisseux & debile, qui toutes dehors estoient dispersees, & voyant que n’avoye l’opportunité de ce faire comme beste vulneree & blessee courroys au long de la chambre en la presence de mon mary, & d’une jeune damoyselle disant en moy mesmes. O Thesiphone, O Megera & Alecto furies infernales, qui continuellement exagitez l’humaine generation, aydez moy a user de crudelité en moymesmes. Tel present me soit faict de par vous qui fut a Canacé de par le roy Eolus son pere, qui fut ung glaive pour transpercer son corps, a cause du crime par elle perpetré & commis. Ou que j’eusse le moyen de me precipiter, comme fist Isiphile. Ou sinon que peusse metre fin a ma miserable vie par quelque venimeux bruvaige, comme celluy qui fut cause du dernier jour a Socrates. Ou que a ma grand fureur & rage fust imposé fin, par telle mort dont Philis se desespera, en se pendant a ung arbre, a l’occasion du tardif retour de son amy Demmophon : mais puis qu’il m’est impossible de trouver moyen de la mort, a cause de la presence de mon mary, je vouldroye qu’il me advint comme a la belle nymphe Perye, laquelle en marchant sur l’herbe de son pied nud, tendre, & delicat, ung aspic venimeux la picqua d’une dent, en y laissast le venin mortifere, dont la pudicque vierge alla promptement mourir, ou qu’il me advint comme a Dathan & Abiron, lesquelz furent transgloutiz en la terre. Moy estant de telle fureur esmeue, cerchoye par tout pour trouver moyen de la mort, mais je croy que quelque furie infernale que j’avoye invocquee, se monstra diligente de me servir selon mon affectueux desir, parce qu’en regardant en plusieurs & divers lieux, se presenta & offrit devant ma veue ung petit cousteau, lequel je prins, & le plus subtilement & occultement que je peuz en le cachant soubz ma robbe.

Et lors que je feuz saisie, incontinent je commençay a trembler a cause de la triste apprehension de la mort, & en pensant marcher, je tumboys & sentoys en moy ung grand debat entre ma douloureuse ame & mes paoureux esperitz de vie, mais la cruelle Megera me persuadoit de suyvre le propos mortel, me faisant rememorer que moy vivante ne pourrois plus veoir mon amy, parce que mes amours estoient trop publiees & vulgarisees, mais apres ma mort mon ame le pourra frequentement visiter, parquoy la mort me seroit felice & heureuse. Et doncques (pour la future esperance de la veue du mien amy) chassa de moy la froide paour, parquoy je feuz enflambee de plus ardens desirs a la mort. Et combien que ma face fust paincte de palle couleur, je commençay a reprendre mes forces, & sans plus vouloir differer, me levay par grand fureur & impetuosité voulant sortir de la chambre, ce que mon mary ne voulut permettre, pensant en son imagination, en considerant les contenances que la grand fureur dont j’estoys oppressee me contraignoit d’aller, affin de trouver mon amy, mais quand je veiz que ne pouoye sortir, je me retiray en une garde robe, & ainsi que je vouloye transpercer ce cueur amoureux avecq le glaive, je croy que par permission divine je fuz preservee & gardee. Car la jeune damoyselle qui estoit en la chambre survint, laquelle voyant chose si horrible & espouentable, ne se peult contenir qu’elle ne s’escriast haultement, & s’approcha de moy pour me oster le cousteau. A quoy feiz tout mon effort de resister, & ce pendant mon mary survint, lequel pensoit que de rechef feusse tumbee en paulmaison, mais quand il eut regardé & consideré la furieuse rage qui me detenoit, il fut espris d’angoisseuse douleur, a cause de l’excessif amour qu’il me portoit, dont il n’estoit en sa faculté de se pouoir divertir : laquelle eust ceste puissance de refrener l’ire dont son triste cueur estoit persecuté, & la convertit en compassion, parquoy benignement me vint a consoler, en me faisant plusieurs remonstrances, & entre aultres propos me disoit : M’amye, puis que je cognois manifestement qu’il n’est en vostre faculté de vous pouoir desister d’amours, parce que n’y avez resisté du commencement, mais par longues & continuelles pensees avez nourry amour lascif en vostre estomach, en vous destituant de vostre liberté, vous estes voluntairement submise a suyvre vostre sensualité. Parquoy l’amour est tousjours augmentee avec si grande puissance, que mieulx aymez estre privee de vie que d’amy, & sans avoir memoire ne recordation, que si par telle mort concedez a la nature, que vous avez perdu vostre bonne renommee, veu & consideré que auriez usé de crudelité en vous mesmes, & moy qui ne l’ay deservy en serois tenu toute ma vie en moindre estime, & devez aussy avoir regard, que quand vostre ame seroit separee de vostre miserable corps, triste demeure luy seroit consignee a l’occasion de l’enorme & execrable peché que vous auriez commis par estre homicide de vous mesmes. Mais affin d’eviter que ne succumbez en semblables inconveniens, je vous conseille de vous retirer, comme je vous ay dict par plusieurs fois, laquelle chose vous sera tresurgente, parce qu’il m’est impossible de plus supporter les importunitez que je seuffre, affin de ne vouz engendrer scandale, car pour la conservation de vostre honneur me fault dissimuler, sans oser prendre vengeance de mon ennemy, combien qu’il soit homme de basse condition, qui m’est chose si penible & fatigeuse, que ne le sçauroye exprimer, & pourtant regardez d’imposer fin a mes extremes tristesses, soit par separation ou par vous reduyre en vivant en plus grande honnesteté.

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