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Les angoysses douloureuses qui procedent damours

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Le courroux du mary jaloux, & l’excuse de sa femme.
Chapitre. XI.

O Meschante femme, presentement est venue l’heure que tu ne pourroys aulcunement nyer ta lubricité, & non moderee affection : Car combien que tes deceptives parolles ont eu puissance de m’instiguer & incliner a t’eslargir & impartir quelque liberté, en adjoustant foy a tes mensonges, parce que je pensoye, au moyen des remonstrances que je te faisoye journellement que tu feusses pressee & stimulee de te reduyre a ta premiere coustume : mais pour quelques exhortations ou monitions que je sceuz faire, ton cueur en ce inveteré & endurcy, n’ay aulcunement sceu convertir, & en ce disant print les lettres que j’avoye laissees sur mon lict, parce que timeur avoyt obnubilee la clarté de mon entendement, & quand il les eust leues, ce luy fut cause d’augmentation de fureur, & fort indigné s’approcha de moy, & me donna si grand coup sur la face, que violentement me feist baiser la terre, dont ne me peuz lever soubdainement, mais quand je commençay a reprendre mes forces, je plouray moult amerement, tellement que les ruysseaulx de mes larmes tomboyent en grande superfluité & abondance aval ma face. La cause de mon pleur ne me procedoit de la juste douleur, & remordz de conscience que je debvoye avoyr de ma vie detestable, mais au contraire d’une grande superbité, car au moyen que j’avoye chassé raison, tousjours depuis c’estoyt monstree de moy loingtaine & fugitive, parquoy selon mon advis mon mary me faisoit grand tort, lequel continuant ses parolles injurieuses, me deist. Admiration ne te prenne de ce que oultre ma coustume je t’ay furieusement frappé, mais approche de moy, & regarde tes lettres, que tu ne sçauroys nyer : & me deis sans me servir d’une artificielle mensonge (dont tu scez maintenant user). Qui est le personnage a qui tu pretendz commettre telz escriptz ? Quant il eust ce dict, je commençay a mediter & penser, & disoye a moymesmes. Helas je ne me sçauroye excuser, car ma lettre de ma main escripte rend cler tesmoignage de ma vie, puis je disoye au contraire, si m’est il necessaire de le nyer, car a face hardie une prouve ne nuyt. Lors en faisant grandz plainctes & exclamations, deis ainsi. Helas mon amy, qui vous meult d’estre si cruel, pour la lettre que vous avez trouvee, laquelle a esté composee seulement par exercice, & pour eviter oysiveté, parquoy ne me debvez ainsi injurier ne molester, sans avoir ouy mes raisons. Quelle loy au monde est tant inicque, barbare & triste, qu’elle permette le supplice devant la sentence ? Ou est la conseillee raison ? ou est vostre prudent jugement, que premier me condamnez que de m’escouter ? Ainsi que je proferoye telles parolles, les pensant continuer, il interrompit propos, en disant. Voicy lettres qui t’ont esté envoyees, d’ou viennent elles ? Je luy respondis, que je ne les cognoissoye. Non (dict il) & pour plus grand approbation de telz mensonges, je te certifie que j’ay recogneues tes letres entre les mains de ton amy, lequel par inconstance & indiscretion les communicquoit a deux de ses compaignons, & si tu es si hardie & asseuree que vueilles soustenir le contraire, je trouveray maniere de les avoir de luy par quelque subtil moyen, car tout son desir & affection n’est qu’a penser & ymaginer diverses façons, & divers actes, a toy dommageables, pour te priver d’honneur, affin de te publier, mais doresnavant tu n’auras plus de delectable plaisir de sa veue, parce que je ne veulx que tu sorte de ta chambre, ne que regarde a la fenestre, & s’il te semble que en ceste sorte ta vie seroit trop infelice, je ne me veulx desdire de l’offre que je t’ay faicte, c’est de separation comme j’ay predict.

Ainsi doncques estoye contraincte d’endurer, & souffrir toutes ces fatigues, estant privee de la veue de mon amy, lequel estoyt esmerveillé de ce qu’il ne me veoyt plus : mais ce nonobstant il ne voulut imposer fin a l’amoreuse poursuyte, mais continua par plusieurs & diverses foys de venir avecques chantres, dont entre les aultres je recognoyssoye sa voix. O que j’estoye anxieuse a l’occasion que ne m’osoye monstrer, & adoncques je fuz plusieurs foys tentee de me lever, & me precipiter, en me jectant du hault des fenestres en bas, je feuz en telle calamité quinze jours ou environ, que fusmes contrainctz partir pour eviter scandale, car les voisins tenoient divers propos, de ce que l’on perseveroit telz & semblables jeuz. Je feuz assez joyeuse de changer de lieu, affin que plus facilement me feust permis d’aller parmy la ville, pensant que quelque foys pourroye rencontrer mon amy, toutesfoys apres noz transmigrations je feuz trois sepmaines sans le veoir, ne ouyr de ses nouvelles, qui me fut chose tresgriefve, & quasi insupportable. Pendant ce temps que je languissoye en telle calamité, toutes choses m’estoient tristes & odieuses, & ne prenoye delectation es choses de ce monde, & encores fortune non rassasiee de me prester matiere d’angoisseuses douleurs, les voulant augmenter s’efforça d’appareiller une infortune, dont le rememorer m’est triste, & ayant horreur de le relater, toutesfoys en plorant & lamentant mon infelicité, je m’efforçay de l’escripre. Et pour vous declairer, la male adventure ou je cuiday succumber, ung jour entre les aultres moy estant couchee aupres de mon mary, merveilleusement pensive, en sorte que les affections (dont mon cueur estoit agité) me consummoient l’esperit, dont j’estoye si debile, qu’il me sembloit impossible de me sçavoir lever, mais je fuz si fort oppressee de mon mary, que contraincte me fut de m’evertuer, combien que par plusieurs foys me convint recoucher, sans me sçavoir ayder de mes membres, helaz ce m’estoit certain presaige de mon mal futur, mais la demonstrance m’estoyt occulte.

Parquoy sans y avoir regard, ne consideration, en grande & laborieuse peine me habillay, puis allasmes ouyr le divin service de Dieu en ung devot monastere, & ainsi que vouloys entrer dedans, mon mary me deist. Je vous prie dictes moy (sans m’en vouloir riens celer) s’il advenoyt que vostre amy fust dedans ce temple, seroyt il en vostre faculté de pouoyr moderer vostre vouloir & appetit, en sorte que ne useriez des regardz accoustumez ? Adoncques je commençay a le regarder, en disant. Je prie au createur que au cas que cela me advienne : que toute puissance elementee me soit contraire, & que tygres & loups ravissans lacerent & devorent mon corps, ou que les troys seurs le fil vital immaturement me couppent, & quand je euz ce dict, nous entrasmes dedans le temple. Je commençay a regarder entour moy. Je veis grand multitude de peuple tant hommes que femmes, & entre aultres je veis mon amy, & lors combien qu’il me fust prohibé & deffendu de le regarder, je ne peuz dissimuler ne temperer mon vouloir : car sans differer de rompre & enfraindre ma promesse, je regardoye tresaffectueusement, sans reduyre en ma memoyre les peines & tourmens que mon mary me faisoit souffrir, a l’occasion de luy : mais comme une femme ençaincte, laquelle est persecutee de griefves & excessives douleurs devant la naisçance de l’enfant, mais incontinent qu’elle voit son fruict, la parfaicte joye & lyesse ou elle est reduicte luy faict oublier les peines precedentes, & aussi pour la suavité & doulceur intrinsecque que je recepvoye du delectable regard de mon amy, me faisoit oublier tous mes travaulx & fatigues preteritz. Mon mary voyant cela, me vint dire que j’entrasse en ung lieu ou il me mena, ce que je feiz, mais pourtant ne laissay de continuer ma folle contenance, & sans tenir gravité comme a mon honnesteté appartenoit, regardois tousjours si je pourrois veoir passer mon amy, & mon mary voyant qu’il estoit impossible de refrener la vehemence d’amours qui me possedoit & seigneurioit, ne pouant souffrir telles dissolutions en regardz impudicques, fut contrainct de soy absenter, & lors je feuz ung peu memorative de son commandement que j’avoye transgressé, & de mes juremens que j’avoys parjurez, & pour ce me levay soubdainement & le suyvy, & quand feusmes parvenuz en la maison, mon mary commença a m’increper & injurier, en disant. O meschante & malheureuse creature remplie de iniquité qui ne desire que l’execution de ton appetit desordonné comment t’ose tu trouver en ma presence ? n’as tu crainte que je convertisse mon espee par juste ire en ta poictrine ? En proferant tel motz, par si grand fureur & impetuosité, me donna si grand coup, que au cheoir je me rompiz deux dentz, dont de l’extreme douleur je fuz longue espace sans monstrer signe d’esprit vital, & quand je fuz revenue de pasmoison toute palle & descoulouree, je commençay a regarder autour moy sans dire mot. Car a l’occasion des griefves & insuperables douleurs inferieures, la parolle m’estoit fortclose, mais peu apres grand multitude de souspirs vuydoyent de mon estomach, & m’intervindrent diverses & merveilleuses fantasies si cruelles & ignominieuses, que la recente memoire rend ma main debile & tremblante, en sorte que par plusieurs foys y laissay & infestay la plume, mais pensant qu’il me seroit attribué a vice de pusillanimité, je me veulx efforcer de l’escripre.

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