Les angoysses douloureuses qui procedent damours
Les
advertissemens de l’ancienne
damoyselle reconfortant Helisenne.
Chapitre. XXVI.
Ma dame, par ce que je puis comprendre par voz gestes & parolles, lesquelles j’ay bien notees & distinctement considerees, vous estes oultrageusement angustiee & travaillee, a l’occasion que Amours a vulneré vostre cueur tant tendre & delicieux. Je suis certaine qu’il est bien difficile de resister a la fureur du filz de Venus, si se n’est du commencement : car qui par longue espace nourrist Amour lascif en son cueur, a bien grand peine le peult on expulser, ne refuser les delectables jeux, a quoy voluntairement on se submect : mais comme j’ay entendu par voz parolles, Amours n’a encores riens entreprins sur vostre honneur. Vous debvez entendre qu’il y a cinq poinctz ou cinq degrez especiaulx en Amours, C’est assavoir le regard : le baiser, le parler, l’atouchement & le dernier est le plus desiré, auquel tous les aultres tendent. Pour finalle resolution, c’est celluy qui par honnesteté est appelle le don de mercy, J’entendz bien qu’il n’a tenu a vous, que ne soyez parvenue a ce dernier, mais la continuelle presence de monsieur vostre mary vous a empeschee, en sorte que n’avez eu seulement que le regard & le parler, encores s’estoit en merveilleuse timeur & crainte, Parquoy vous estes agitee de regrectz indicibles, a cause que n’esperez jamais parvenir a voz ferventz & ardentz desirs : parquoy vous consumez le temps en pleurs & gemissementz, vous increpez vostre constellation, detestez fortune, & cerchez la mort, laquelle l’on ne peult souffrir qu’une foys, & soubz l’imagination de ce que pensez qu’elle est fin de tous maulx tresaffectueusement la desirez. Et parce que la fureur domine la raison, ne considerez que telle violente mort est commencement d’horrible & insupportable peine, qui perpetuellement dure, & voz passions amoureuses se peuent terminer & prendre fin, & pour ce si seulement considerez ce qui sera perpetuel d’avecq le temporel, vous feriez aultre jugement, & metteriez peine d’extirper de vostre cueur le venimeux Amour qui si long temps y a faict residence, lequel vous a obtenebré les yeulx, en sorte que vous estes eslongnee de la vraye lumiere de raison : a laquelle il seroit bien temps de retourner, pour vous liberer des douloureuses anxietez, qui sont accumulees en vostre triste cueur. Vous me pourriez respondre, qu’il est bien aisé a dire, & mal aisé a le mettre en effect, & que l’amour est si fort inseree & vive en vostre cueur, que pour nulle espece de tourmentz ne le sçauriez distraire : mais au moins s’il vous est impossible de vous en desister, souffrez plus temperement, & ne continuez telles lachrimes & pleurs : car combien que nature pour pitié nous ait concedé les larmes, ce n’est pourtant pour en icelles nous consumer : & pour ce delaissez ces larmes non prouffitables, qui d’aultre chose ne servent que d’effacer la couleur de vostre plaisante face, & ne remplissez le ciel & la terre de clameurs vaines, & ne derompez vostre blanche poictrine d’enormes coups : mais reservez vostre vie a meilleur usage, & vivez en esperance, pensant que non plus que l’on ne peult avoir certitude d’aulcune chose mondaine advenir, Aussi ne se doibt on desesperer de perdre esperance d’ung bien advenir. Car en ce mortel monde nous survient diverses fortunes bonnes & adverses. Confortez vous doncques par bon advis, esperant que quelque foys dame fortune vous sera favorable : & s’il vous est force d’obeyr a Amours, duquel la puissance vous semble invincible, plus facilement parviendrez a vostre affectueux desir, en endurant patiemment qu’en usant de telles inconsultees & inconsiderees importunitez : & pour ce vous est chose tresurgente de temperer la ferocité, considerant qu’il vault mieulx ployer que rompre, & fleschir par obeyssance, qu’estre desracinee par obstination. Se vous vous monstrez vertueuse, il est assez croyable & concessible, que monsieur vostre mary prendra pitié de vous : parquoy ne serez long temps detenue en ceste tour : & se vous estes libere de telle calamité, ce ne sera chose impossible d’accomplir vostre desir : car en amours se trouvent plusieurs actes secretz & tours ingenieulx, qui les Amantz conduysent a leur fin desiree. Et encores que ne feussiez delivree, si ne vous debvriez vous tant contrister que de vous vouloir priver de vie : mais par le plus subtil moyen que l’on sçauroit penser & excogiter, vous seroit necessaire de certiorer vostre amy de vostre malheureuse infortune : Lequel voyant que pour perseverer en son amour soustenez vie douloureuse, triste & angoysseuse. S’il a aupres de luy quelque estincelle de l’amoureuse flamme retenue, il ne pardonnera a aulcun peril pour vous delivrer : mais avecq mille tourmentz & insidiations, encores luy contrariant le ciel, poursuyvra sa haulte entreprinse, comme estant certain de parvenir a la fruition du desiré plaisir par luy pretendu. Peult estre qu’il vous semble difficile, parce que comprenez ceste tour forte & inaccessible : mais croyez que combien que la chose soit fatigieuse, si est il possible d’accomplir ce qui se veult, & que ainsi soit les hystoires nous en font manifestes demonstrances. N’avez vous veu de Juppiter, lequel par subtile invention trouva moyen d’avoir jouyssance de s’amye la belle Danes, combien qu’elle fut enfermee en une tour merveilleusement forte. Aussi debvez avoir recordation de Leander, lequel ne craignoit exposer son corps en dangereux peril de la mer, pour parvenir au celeste plaisir de recueillir l’amoureux fruict du jeu D’amour, & pour ce congnoissant qu’amour par le moyen de sa grande puissance a extirpé toute timeur & crainte juvenile du cueur des dessus nommez, Vous vous debvez persuader de croire que vostre amy ne sera pusillanime non plus que les aultres noz predecesseurs : car je n’estime que l’espece humaine en son principe soit si divisee, que ce qui est concede a ung, a ung aultre ne se puisse accommoder, & pourtant je ne voys occasion parquoy vous deussiez succumber en tel desespoir que vous demonstrez estre par voz gestes & parolles.