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Benjamine : $b roman

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II
M. PAUL GUIRAND NE PEUT PAS DORMIR

Il était deux heures du matin. Le pauvre diable d’ambitieux se mit à la fenêtre pour respirer plus à l’aise ; mais ce qui l’oppressait physiquement n’était pas un mal physique ; ce qui pesait sur son cœur de chair, c’était une lourde inquiétude morale. De quel nom aurait-il pu la nommer ? Était-ce honte ou remords ? ou encore pitié pour son enfant sacrifiée ? C’était un peu tout cela, mais ces commencements de pitié, de remords, de honte, n’avaient en lui qu’une seule origine, sa peur de n’avoir pas réussi.

D’où venait, chez le fort Guirand, une telle inquiétude, si semblable à un trouble de conscience ?… Eh ! lui seul savait ce qu’il avait dit à sa fille, comme dernier argument, pour la décider au mariage, et en quoi cet argument suprême était un danger !

Ce Courcieux qu’il n’avait jamais vu qu’aimable, mais qu’il savait d’esprit sceptique et mordant, n’allait-il pas se réveiller terrible, lui demander un compte sévère de sa conduite et rompre brusquement tous les traités ?

Cela, depuis le matin, paraissait probable à ce pauvre monsieur Guirand. Et alors ? alors, ce serait la ruine de toutes ses ambitions ; c’était sa Benjamine — oh ! la chère enfant ! — sacrifiée sans profit !

C’est l’inutilité du sacrifice qui le lui rendait tout à coup odieux… Guirand commençait donc à se repentir. Il se sentait même prêt à se repentir tout à fait, à se frapper la poitrine… cela pourrait bien attendrir l’époux déçu, trompé par son beau-père.

La mer tranquille respirait largement sous le ciel d’été plein d’astres. De temps en temps une étoile filante décrivait sa parabole sur la courbe du dôme bleuâtre de la nuit. Alors, puéril et superstitieux, le sceptique Guirand se disait machinalement qu’il échapperait aux conséquences de sa faute, s’il avait le temps d’en formuler le vœu avant que l’étoile disparût à ses yeux. Ce libre-penseur, en cette minute, croyait à l’influence des étoiles… Superstition de joueur. Lâcheté secrète des faux esprits-forts.

Sa faute ? mon Dieu, oui ! ce mot se prononçait en lui. Faute morale ? peut-être ; de tactique ? à coup sûr. Il avait mal joué. Il aurait dû préparer au moins l’esprit du jeune homme par quelque parole à double entente, explicable plus tard… Bah ! on verrait bien !… on verrait, quoi ? et une peur, toujours la même, revenait. Si le mordant Courcieux allait se fâcher, quitter le ton détaché qui lui était le plus habituel, se montrer un homme nouveau ? Ces changements-là se voient. Il y a des élégances qu’on oublie, à l’heure des grandes épreuves. Les circonstances suprêmes font jaillir d’un cœur, parfois, d’inattendues colères, de surprenantes révoltes.

Que ferait Courcieux ? Et d’abord contre sa femme ? Cela, le saurait-on jamais ? Ce qui se passe entre deux êtres, entre l’époux et l’épouse, à l’heure de la première solitude, fixe parfois des destinées tragiques et c’est toujours à l’insu du monde.

M. Guirand avait reçu des confidences d’amis, effrayantes. Il y a des maris qui, aux heures psychologiques, deviennent redoutables. Il arrive que l’homme dépouille, avec la correcte tenue du mondain, tout sang-froid. La passion, les nerfs, commandent à de certaines heures. A quelle sorte d’époux avait-il, lui, le père, livré Benjamine ?

Cette question disparut tout à coup devant l’autre, — obstinée à revenir : quel gendre s’était-il donné ? Le lendemain de cette nuit de noces, le beau-père ne serait-il pas traité par le gentilhomme comme un vendeur sans probité — qui a trompé l’acheteur sur l’objet du contrat, sur la qualité même du trésor livré ?

L’armateur se sentit perdu. Courcieux, décidément, n’accepterait pas sa mésaventure. Il viendrait lui apporter froidement ou violemment, dès le lendemain, le reproche et l’injure. Peut-être attendrait-il d’être en présence de quelque témoin pour faire un éclat, et reprendre sa liberté, brisant ainsi, avec son mariage, l’alliance politique si péniblement conclue.

Le divorce ? Guirand n’y songeait pas… Et pourquoi, se dit-il, n’y pas vouloir songer ? C’est tout simplement peut-être au divorce que se réduira la vengeance méprisante du marquis de Courcieux… Quelle folie ! Et pourquoi non ?

Ce malheureux Guirand, le cerveau surexcité, se rappelait des légendes horribles où l’on voit de saints chevaliers, au retour de la Palestine, faire emmurer leur propre mère, coupable d’avoir affligé et humilié leur belle-fille. Se venger d’un beau-père est chose plus facile, et le divorce est un moins grand crime que l’homicide par « emmurement ».

A moitié endormi, malgré la surexcitation cérébrale, — il entra dans les terreurs ridicules.

« Comment se fait-il que je m’exalte ainsi ? Les choses se passeront probablement d’une façon toute normale. Benjamine n’est pas une sotte. A propos de quoi irait-elle révéler ce qu’il vaut mieux taire ?… Eh ! mon Dieu, il suffit d’un incident, d’un mot pour tout perdre, d’une expression trop tendre !… Je me suis trop avancé, j’ai commis une imprudence ! » Et de nouveau il pensa à sa fille, livrée en ce moment même aux colères du chevalier des légendes.

Décidément il avait peur. Que dirait-elle ? Il la savait si loyale, si sincère, si franche, si hardie à dire la vérité, en toute occasion… « Ma pauvre enfant ! ma pauvre enfant !… » Le remords d’avoir exposé sa fille à quelque malheur prit un instant le dessus sur toute autre inquiétude égoïste, et Guirand cessa de regarder la vaste mer bruissante. Il chercha à entrevoir, à travers l’ombre des massifs, la blanche muraille de la Villa des Agaves. Il ne vit rien et, quittant le balcon, rentra dans sa chambre.

Il prit un journal et le rejeta ; il alluma un cigare et le lança par la fenêtre. Il saisit une chaise et la repoussa violemment en disant tout haut : «  — Non ! c’est infernal, à la fin ! »

A ce bruit, Céleste, dans sa chambre, tout à côté, se réveilla :

— Qu’as-tu, Paul ? cria-t-elle.

Il ne répondit pas, il marchait çà et là.

— Paul !

— Eh bien ! dit-il.

— Es-tu malade ?

— Non.

Elle s’agitait un peu dans la pénombre, sans avoir repris encore conscience de la vie. La veilleuse lui montrait les objets familiers. Ses yeux allaient de l’un à l’autre ; et les choses ne lui parlaient pas encore. Enfin, cette pensée s’éveilla la première, brusquement, dans son cerveau ensommeillé :

— Benjamine, marquise de Courcieux !

Céleste sentit son cœur se serrer. Elle se leva, jeta un châle de soie sur ses épaules, entra chez son mari :

— C’est le mariage de Benjamine qui te tourmente, n’est-ce pas ?

Il fixa sur sa femme un regard d’angoisse. Ce regard était inexprimable. L’homme, à ce moment, cherchait et ne trouvait plus d’appui en soi-même. Sa défaillance intérieure avait gagné sa chair. Debout, il fléchissait sur ses jarrets. Et il s’étonnait de se sentir lâche. Avait-il peur de ce Courcieux ? Non, après tout. Décidément, c’était de sa conscience qu’il avait peur. Il est des coupables qui, cachés et impunis, restent durs, rebelles et fiers ; découverts et pris, ils s’écroulent… et parfois s’amendent. Guirand se croyait bien près d’être démasqué. Il se sentait, par avance, anéanti. Il avait le visage terreux.

Elle eut pitié de lui :

— C’est de la folie, voyons !

— Ça n’est pas plus drôle, balbutia-t-il.

— Calme-toi, de grâce.

— J’essaie, parbleu ! tu vois bien que j’essaie.

Il prit un cigare et, entre ses doigts nerveux, il se mit à l’émietter.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! dit-elle, je ne t’ai vu qu’une fois dans cet état. C’était le soir du krack d’Ulysse Leverdier… il y avait de quoi… mais aujourd’hui…

Elle s’arrêta, saisie elle-même d’une inquiétude… Elle devina qu’il lui cachait quelque dangereuse imprudence. Puis, habituée qu’elle était à prendre son parti de tout, pour avoir la paix, — à chercher et à trouver l’excuse superficielle, le sophisme, qui arrêtent la réflexion profonde :

— Les femmes, murmura-t-elle, ont raison de tout, en pareille circonstance. La vie est là avec son charme. Crois-tu qu’ils vont s’amuser à faire de la psychologie ? Pas si sots !

Elle souriait d’un air entendu. Il la regarda et cet homme, sans délicatesse, trouva grossier, en cet instant, un argument qu’on lui offrait par pure pitié.

Il haussa les épaules. Elle vit ce mouvement et la bienveillance l’abandonna. Son cœur s’irrita contre l’homme, si vain de sa puissance, qui, en cette minute, lui avouait sa défaite morale.

Elle dit aigrement :

— Qu’y a-t-il de changé… depuis hier ? Qu’as-tu appris de nouveau ? Voilà des scrupules bien tardifs !

Il répliqua avec fureur, à voix basse :

— Ce qu’il y a de changé ? depuis hier ? tout, parbleu : ils sont ensemble !

— C’était à prévoir ! tu as voulu ce mariage. Il est fait.

— C’est bien ce que je dis, gronda-t-il. Il est fait. N’est-ce rien, ça ?

Elle haussa les épaules à son tour, et dit, ironique :

— C’est un sujet de contentement. Tu en as assez rêvé, de ce mariage ! Tu l’as assez préparée, combinée, voulue, cette alliance diplomatique ! Les rois, disais-tu, n’en font pas d’autres. N’es-tu pas un des rois de l’or ?

Guirand se mit à tourner dans sa chambre ; puis il prolongea sa promenade jusque dans l’appartement de sa femme, d’un côté, — jusque dans le salon, de l’autre. Quand elle le perdait de vue, elle entendait le bruit sourd de ses pas chaussés de pantoufles s’écraser pesamment sur le parquet. Va-et-vient de bête captive, et enragée sous la cravache.

Céleste continuait d’un ton d’ironie satisfaite :

— Tu as voulu donner ta fille à un de Courcieux, dont les parentés, crois-tu, doubleront tes influences dans le monde et à la Chambre. Tu as cru pouvoir te faire, en sacrifiant ta fille, des alliés dans un milieu qui n’est pas le tien. C’est magnifique.

Le nouveau Guirand, le Guirand de la peur, conseillère de remords, eut alors un cri superbe et parfaitement sincère :

— Et c’est toi ! dit-il, c’est toi, la mère ! qui parles ainsi !

Elle haussa les épaules :

— J’aurais parlé tout autrement autrefois. Tu as employé ta vie à me convaincre que mon devoir est de t’approuver toujours. Je t’approuve. Vas-tu me le reprocher ? Tu faiblis aujourd’hui, quand il est trop tard. Je te soutiens de mon mieux en disant ce qu’il faut dire.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! soupira-t-il.

— Ta fille, reprit Céleste, a fini par te sacrifier un amour absurde… qui ne t’aurait conduit à rien.

— Il ne faut pas dire ça, répliqua vivement Guirand, Montchanin était un brave garçon et qui le serait resté.

— Ne l’est-il donc plus ?

— Il a mené en ces derniers temps, une vie absurde, une vie de débauché ; il y a mangé une partie de son petit patrimoine… c’était visiblement du dépit. Le voilà lancé maintenant ! où s’arrêtera-t-il ? Tout cela est fâcheux pour moi, je l’ai trop recommandé à la baronne !

— Enfin, dit Céleste, ta fille n’en a pas moins été admirable.

— C’est vrai, dit Guirand, fier de sa victime ; elle a été admirable.

Céleste oublia de railler son mari pour louer sincèrement sa petite Benjamine :

— Nous devons être fiers de son courage, dit-elle.

Mais Guirand, lorsqu’il se voyait, comme dans un miroir, reflété en quelque sorte par sa femme, cessait de se plaire.

— Un courage, cria-t-il avec amertume, un courage qui est notre œuvre ! que nous lui avons imposé ! que nous avons, je dirai, fabriqué de toutes pièces !… Elle a lutté tant qu’elle a pu !

— Et, dit Céleste, elle a cédé par amour pour nous, pour toi !

Cette interprétation doucement hypocrite des sentiments de sa fille contenait beaucoup d’ironie. Elle agaça Guirand qui savait très bien que sa fille le jugeait, qu’elle avait cédé par faiblesse féminine d’abord, et ensuite parce qu’il l’avait leurrée de sophismes et de mensonges. C’est surtout le dernier de ses mensonges, ignoré de Céleste, qui le troublait, l’embarrassait ; il lui semblait impossible de le dissimuler longtemps. A l’heure présente, Courcieux peut-être l’avait-il découvert !

Guirand arrêta son va-et-vient enragé ; sa main se crispa sur le dossier d’une chaise ; il regarda sa femme bien en face, et prononça d’une voix ferme et cassante :

— Ah ! tiens ! assez ! C’est assez nous mentir l’un à l’autre. Tu as agi sur elle avec une politique sournoise de tous les jours, — à mon ordre, je le veux bien, mais aussi — conviens-en, — parce que tu es plus ambitieuse que moi… et que tu veux être la femme d’un ministre.

Il s’allégeait d’une partie de la faute et puis il trompait sa passive et inutile impatience en attaquant sa complice. La solitude est partout pénible ; mais nulle part davantage que dans le crime.

Lorsque Adam accuse l’épouse première, c’est peut-être encore de l’amour : « Qu’elle soit damnée avec moi ! » Sympathie démoniaque, qui n’en est pas moins la sympathie, l’adoucissement à tous les supplices. Le vrai damné est seul, comme le vrai monstre.

Guirand et sa femme, à cette heure, s’entre-accusaient et ils y trouvaient une manière de consolation.

— Ah ! bon ! dit-elle, elle est forte, celle-là ! Tu ne veux pas devenir ministre ! c’est moi, n’est-ce pas ?

— Non, c’est moi, dit Guirand, mais pour toi !

— J’ai fait tout le mal, si mal il y a, répliqua-t-elle, c’est entendu !

Il concéda :

— Nous l’avons fait ensemble, nous nous sommes poussés, excités, encouragés l’un l’autre.

— Non, non ! je suis la seule coupable de ta fortune ! C’est moi qui ai imaginé ce mariage ! C’est moi qui fais de la politique ! C’est moi qui suis conseiller général et maire ! C’est moi qui serai ministre !

— Je suis aussi coupable, plus coupable que toi ! dit-il, qu’importe cela ! C’est une querelle odieuse et vaine. Seulement…

— Seulement ? interrogea-t-elle, pressentant une attaque d’un genre nouveau, et se préparant à la riposte.

— Seulement, je souffre… et tu ne souffres pas !

Elle ne souffrait pas, en effet, pour l’instant. Elle avait dormi un peu. Elle se sentait l’esprit dispos. La grande glace d’une armoire lui montrait une Céleste Guirand très fraîche encore. Comme il faisait fort chaud, elle avait laissé retomber son châle et, avec complaisance, elle jetait de temps en temps un coup d’œil à demi furtif sur l’opulence de sa gorge nue. Elle se trouvait encore très bien. Encore ? pourquoi ce mot ? Elle se trouvait très bien, tout simplement, et se regardait parler !

— Souffrir ! pourquoi souffrirais-je ? dit-elle. Parce que ma fille a fait un mariage inespéré ? parce qu’elle a épousé un Courcieux, noble, bien fait, beau garçon, jeune à souhait, cousin germain des Chazal, qui font la pluie et le beau temps dans les Académies, au Sénat, à la Chambre, dans les groupes dont tu as le plus besoin ? Je souffrirais, parce que tu as combiné et fait réussir un mariage de haute politique, qui assure à ton républicanisme présumé, et déjà sûr d’une partie des voix de la gauche, l’appui des droites ralliées et des catholiques libéraux ? Eh ! mon cher Paul, la France est à toi ! Tu es un des plus grands financiers du siècle. Tu seras un des plus puissants ministres de la République. Il n’y a pas là de quoi souffrir !

Tout en parlant, elle avait relevé son châle. D’une main, elle le tenait croisé sur sa poitrine, et, de l’autre, elle l’arrangeait autour de ses épaules, en corsage de bal… Ministre !… Président du Conseil… Mme la Présidente… Elle se voyait reine de France. Elle ordonnait les galas, les bals, les banquets historiques. Elle recevait des princes qui, certes, ne la recevraient pas aujourd’hui ; elle s’asseyait à des tables royales… Voyons, elle était belle encore… Elle connaîtrait des triomphes que peu de femmes connaissent… Elle répéta :

— Il n’y a pas là de quoi souffrir.

Notre égoïsme, nos yeux ne le voient pas et notre pensée y est accoutumée. Mais celui de Guirand était là, inattendu, visible, opulent, insolent, incarné, extériorisé en sa femme. Et, dans la glace, le spectre de Céleste le répétait avec complaisance. C’est dans le miroir qu’il la regarda. Elle était là, bien assise, massive, rose, souriant à l’avenir. C’était comme l’âme matérielle de cet homme ; il en eut le sentiment et le dégoût.

— Tiens, tais-toi ! cria-t-il. Tais-toi ! c’est odieux !

Cette fois, il renversa la chaise légère sur laquelle il s’appuyait. Et, pris d’un irrésistible besoin d’aveu, il dit tout d’un trait :

— Mais tu ne sais donc pas que j’ai menacé ta fille, hier encore ?

— Menacée ! et de quoi ?

— Que sais-je ! de la renier, de la déshériter, de ne plus la voir ! Tu ne sais donc pas que j’ai vu dans ses yeux, par moments, une expression de désespoir et de reproche effrayante ! Tu parais ne pas savoir que je n’ai pas cessé de la trahir ! Pour servir mon ambition, j’ai osé attaquer en elle la pureté des sentiments et des idées, tous les principes que nous n’avons plus, mais que nous faisons, à prix d’or, inculquer à nos filles ! Je lui ai répété que « c’est ça, la vie ! » que nul ne réalise jamais rien de son idéal ; que tout au monde est transaction, compromis, accommodements ; que la seule sagesse est la résignation aux basses réalités ; que l’amour est une fiction, une éternelle duperie, une ivresse passagère de l’imagination ; qu’à force d’y avoir été prise, d’en avoir éprouvé la folie, l’humanité a codifié son expérience dont les pères ont le dépôt, et que, finalement, je protégeais ma fille contre elle-même… J’ajoutai que le mari lui révélerait l’amour vrai, qui fait oublier d’un seul coup les rêves puérils d’avant… En d’autres moments, je lui ai affirmé que le mariage est un lien social de pure apparence, que ce sont fictions destinées à en imposer au peuple, parce qu’il faut une règle commune, et un frein aux passions du vulgaire ; mais que les gens d’esprit se font, à l’abri des convenances sauvegardées, une vie plus aimable, plus large, plus compréhensive. Je lui ai donné à entendre qu’en dépit du serment légal, on garde, le plus souvent, des deux côtés, une vie libre, au cas où l’on ne se convient pas ; que beaucoup de ménages en sont là… et que, dans le monde des élégances surtout, cela est ainsi la plupart du temps.

— Oh ! dit Céleste suffoquée, tu lui as dit cela ? Tu es allé un peu loin ! Et cependant, ajouta-t-elle, dans les conditions où tu t’es placé, il le fallait… Et puis, ce n’est que trop vrai !

— Crois-tu donc, gronda M. Guirand, que je me tourmente pour rien ? Suis-je un imbécile ? un timoré ? non, n’est-ce pas ? Eh bien, je vais t’expliquer pourquoi je ne dors pas. A plusieurs reprises, lorsque j’essayais de lui faire entendre que la vie n’est pas une romance, j’ai remarqué, dans les yeux de Benjamine, comme je te l’avouais tout à l’heure, une expression de reproche et de douleur extraordinaires… Ce n’est pas assez dire. J’ai cru y voir de l’égarement, je ne sais quoi de terrifiant qui me glaça. Alors, je me faisais plus doux pour elle et aussitôt elle se rassérénait ; je lui concédais quelque chose, et son regard se calmait. La dernière fois que je la vis ainsi, elle me répéta : « Jamais je n’épouserai cet homme sans lui avoir confessé que j’en ai aimé un autre. » Je lui répliquai vivement que j’appréciais sa délicatesse, et que, pour lui épargner la gêne d’une pareille confession, j’avais expliqué à M. de Courcieux, de sa part, quel sentiment de petite fille elle avait au cœur pour Jean Montchanin. « M. de Courcieux, lui dis-je, a souri, comme je m’y attendais, et m’a répondu que ta franchise le charmait sans le surprendre ; qu’il n’était pas au monde une jeune fille qui n’ait eu son petit rêve bleu, sa passionnette ; que cela était dans les usages ; qu’il n’eût pas été nécessaire de lui en parler ; qu’enfin le désir qu’elle avait d’oublier cet enfantillage lui suffisait. Il ne doute point, ma chère Benjamine, que sa tendresse et ses respects t’amèneront, en peu de temps, à n’aimer que ton mari. »

— Eh bien ! mais, s’écria Céleste, ayant assuré cela, c’est-à-dire une chose très raisonnable, pourquoi n’as-tu pas prévenu, après coup, M. de Courcieux ? Il aurait souri, comme tu le prévoyais fort justement ; tu aurais réalisé ton mensonge et tu ne redouterais pas, à l’heure présente, un malentendu qui est redoutable en effet. Il fallait lui parler, ou me charger de lui parler à ta place.

— Toi ?… J’aurais voulu t’y voir ! s’écria Guirand. Ce diable de Courcieux m’intimidait. Je me disais : « Si j’allais faire tout craquer, avec un mot maladroit ! » Et j’ai rengainé vingt fois la première phrase d’un petit discours vingt fois ruminé sur ce sujet difficile. Oui, vingt fois, j’ai voulu commencer, d’un air détaché : « A propos, mon cher Courcieux, ma petite Benjamine est très sensible, un peu nerveuse ; cela passera ; l’exquise délicatesse morale ne va pas sans une extrême délicatesse physique… Il faudra la ménager… Figurez-vous qu’elle a eu un petit amour de gamine… » Va te promener ! Je sentais que j’arriverais toujours à une parole maladroite… ou impossible à prononcer. Ce diable d’homme vous a dans le regard, dans toute la physionomie, quelque chose de si narquois, de si prêt à vous cingler que, ma foi, non ! je n’ai pas pu.

— Est-il possible ! dit Céleste, prise de peur tout à coup… Est-il possible ! Tu t’es découvert ainsi ! S’il apprend qu’elle a aimé Montchanin d’un amour d’enfant, ce n’est rien ! mais s’il vient à savoir comment tu as menti en affirmant à Benjamine qu’il connaît cette affection et qu’il accepte que la petite en rêve toujours, tu te seras mis dans une nasse. Ça, par exemple, ça n’est pas fort, non vrai, ça n’est pas fort ! Ah ! je comprends maintenant pourquoi tu dors mal, cette nuit !… Je ne suis plus étonnée. Ah ! mais non !

Elle le regarda et le trouva stupide.

— Et à cette heure, dit-il, notre fille, notre Benjamine, livrée par moi, est entre les bras d’un homme, — d’un trop galant homme — à qui, avec sa loyauté vaillante — oh ! je la connais ! — elle est capable de révéler ses véritables sentiments et par qui elle peut apprendre ce qu’elle ne manquera pas d’appeler la trahison de son père.

— Ça, par exemple, ça n’est pas fort ! répétait Céleste.

— Et, poursuivit Guirand, tout ce qui, hier encore, me semblait légitime, naturel, tout simple, — parce que j’envisageais la hauteur et la grandeur du but, — tout cela, cette nuit, m’apparaît criminel jusqu’à la monstruosité ! Ma conscience d’homme public me rassurait hier, je me comparais à Brutus ; je sacrifiais ma fille à l’intérêt de la chose publique : ma simple conscience de père me torture à présent. Elle s’affole… Et la tienne dort ! Et je ne peux même plus éveiller ton indignation de mère, en t’avouant ma déchéance paternelle !

A cette surprenante apostrophe, Mme Guirand écarquilla des yeux terribles, où l’étonnement seul tempérait la colère.

— Quand j’avais dix-sept ans, dit-elle, je vous ai aimé comme une enfant que j’étais. Vous pouviez faire alors de votre femme, à votre choix, une mère de famille ou une coquette, une dévouée ou une égoïste, une femme positive ou une femme de sentiment. Vous en avez fait un collaborateur de vos œuvres d’ambition. Ce que vous m’avez faite, je le suis. Il est un peu tard pour réformer ma seconde éducation… Où vous êtes arrivé aujourd’hui, j’arrive à votre suite. Que réclamez-vous ?

Il ne répondit pas.

Elle se leva nerveusement pour se rasseoir aussitôt. Une bouffée d’air matinal entra par la fenêtre. Céleste couvrit ses épaules frileuses et continua, en regardant Guirand de plus en plus sombre :

— Tu as passé vingt ans de ta vie à tuer en moi toute illusion, toute générosité, à me prouver que nous n’avions d’autre devoir que de conquérir ensemble la fortune et l’influence. « Pour notre fille », disais-tu. Je l’ai cru d’abord. Peut-être le croyais-tu toi-même. C’était bon à croire. Tu m’as expliqué à toute heure, que le monde est aux pharisiens. — « Si on appliquait la morale écrite » — je te cite « on ne ferait jamais rien. La morale pure est un idéal irréalisable auquel pourtant il faut avoir l’air d’obéir, car la galerie veut qu’on respecte son mensonge ! » Voilà ta théorie. J’ai fini par en prendre mon parti. Qu’aurais-je gagné, à lutter contre ta force évidente (tu réussissais en tout) et contre ta patience ?… A présent, je crois à tout ce que tu m’as prêché, c’est-à-dire à rien. Et pourtant !…

Il la regarda, attendant la conclusion.

— Et pourtant, répondit-elle à son regard, si tu tiens à mon opinion… de jeune fille, au jugement de mon honnêteté innée, qui me remonte au cœur et aux lèvres… eh bien, au fond, je pense…

— Tu penses ?… que penses-tu ?

— Que tu as commis une infamie, tout simplement, en trahissant ta fille comme tu l’as fait, en mentant par ambition et par lâcheté.

L’armateur eut un regard de menace.

— Oh ! fit-elle avec la volonté d’adoucir la violence de son jugement, oh ! moi aussi, moi avec toi, mon pauvre Paul, nous avons commis une infamie, en sacrifiant ainsi notre enfant !… Si encore tu croyais vraiment à la noblesse des résultats politiques que tu poursuis, si tu avais choisi sincèrement un parti, si tu te trompais de bonne foi, mais tu vends des opinions comme tu vends tes cargaisons d’épices !

Il s’assit à son tour, non loin d’elle :

— Accable-moi maintenant ! dit-il, les coudes sur les genoux et se prenant la tête à deux mains.

Elle se renversa sur le dossier de sa chaise. Le sommeil revenait. Elle répliqua mollement :

— Il faut pourtant s’entendre. Que veux-tu que je te dise ? que tu as bien fait ?

— Non, grogna-t-il.

— Que tu as mal fait, alors ?

— Non plus !

— Alors, quoi ?

— Je veux que tu me plaignes !

Ce mot la fit sursauter. Eh ! quoi ! il voulait être plaint, lui, lui, l’homme autoritaire, qui l’avait brisée, façonnée, réduite, vaincue, chaque jour un peu, emprisonnée dans ses caprices, dirigée en maître absolu dans les voies qu’il avait seul choisies.

Elle le regarda avec un mépris définitif, inconsciente de son propre égoïsme devant l’énormité de l’égoïsme de l’homme.

Elle s’était mise debout ; elle se drapa nerveusement dans le souple crêpon de Chine :

— Te plaindre ! ma foi non, je n’ai pas le temps !… Et moi, donc ! qui me plaindra ? S’il y a un malheur, tu souffriras, mais tu l’auras voulu. Nous autres femmes, nous le subirons en innocentes. Te plaindre ! à quoi bon, d’ailleurs ? Tu m’as dit mille fois : « Les regrets, les remords, c’est inutile. Le sentiment, c’est idiot. L’idéal, le rêve ? des embarras pour la marche en avant, la course au pouvoir ! » Voilà comment tu me parlais de mes sentiments de jeune fille, comment tu en as, hier, parlé à ta fille. Eh bien ! mais… il me paraît que tout cela se venge un peu aujourd’hui. Que veux-tu que j’y fasse ? Tu seras ministre, et ta fille aura des amants pour que tu sois cela. Eh bien, après ? c’est la vie. Style Guirand !

C’en était trop. Il se leva dans un mouvement de colère bien réelle. Elle lui parlait maintenant le langage de sa conscience morale, de la vraie, de celle qu’enveloppe et qu’étouffe la conscience physiologique, celle des instincts.

Il lui prit le bras, tout prêt à la repousser violemment dans sa chambre…

— Tiens ! tiens ! dit Céleste froidement. C’est du renouveau, cela ? Voilà vingt ans que je ne t’ai plus vu de ces mouvements de brute ! Le sauvage se réveille ! le fauve en pantoufles ! Voyez-vous cela ! voilà un geste que ne vous pardonnerait pas M. de Courcieux. Vous êtes du dernier mauvais ton, monsieur Guirand !

Il la lâcha en soupirant, se rassit, s’adossa à son fauteuil et ferma les yeux.

La grosse Céleste cessait de songer à elle et, du coup, elle oubliait d’être ridicule. Les bonnes pensées qu’elle ne montrait jamais, celles que non seulement elle ne disait pas aux autres, mais que depuis longtemps, elle ne se formulait plus à elle-même, la transfiguraient. Elle prit une sorte de beauté énergique en criant à son mari :

— Pharisien !… Il n’y a pas de mot qui vous nomme mieux ! Vous sacrifiez tout à ce que vous « croyez » distingué. Ce n’est pas le fond des choses qui vous importe, mais l’apparence ; ce n’est pas l’œuvre qui vous importe, mais le succès ; vous aimeriez mieux être un criminel avec l’injuste estime du monde, qu’un innocent avec son injuste mépris. Pharisien !… Ayez donc le courage de vos théories, au moins dans le secret de la chambre et de l’alcôve ! Mais, avant tout, pas de gros mots, pas de gestes violents, rien de ce qui déplairait, s’il était là, à M. de Courcieux ! Du calme, Guirand, de la dignité ! Vous n’avez jamais pensé, n’est-ce pas, que la grosse affaire de la vie fût l’amour, la paix du cœur et la tiède atmosphère d’un intérieur ? La grosse affaire de la vie pour vous, c’est l’ambition… En sorte que vous avez toujours vécu au dehors et, si j’avais voulu vous tromper, j’en aurais eu tout le loisir ! Vous n’en auriez rien vu ou bien, qui sait, vous auriez méprisé cet accident sans importance !

Tous deux savaient à quoi s’en tenir sur ce sujet. Pour le plaisir de le fustiger d’un sarcasme, la grosse Guirand devenait imprudente. Il grinça :

— Tout cela finira mal.

Elle prit tout à coup un accent de parfaite bonhomie, très sincère, celui d’une femme résignée à la médiocrité de sa vie morale :

— Voyons, mon pauvre Paul, sois raisonnable. Va te recoucher. Tu as sommeil ; moi aussi. Tes inquiétudes sont des chimères. La vie est plus simple que cela. Il n’y a plus de tragédie. Courcieux, s’il sait tout, a trop d’esprit pour n’en pas prendre son parti. Va te coucher.

Il ne broncha pas.

Elle lui mit maternellement la main sur l’épaule :

— Songe que la journée de demain sera dure. Il faudra sourire à ton gendre… Aussi, sachant quelle imprudence tu avais commise, il ne fallait pas insister pour qu’ils vinssent habiter leur villa ! Il fallait les envoyer en Suisse, en Norvège, au cap Nord, et tout dire à Courcieux avant leur départ. Dieu ! que les hommes d’État sont bêtes ! D’ailleurs il n’y aura rien, ils vont s’adorer. Nous sommes fous… allons dormir.

— Je te dis, cria-t-il, que tu m’exaspères !

D’une voix sèche, saccadée, nette, elle dit vivement :

— Ah ! tu veux résumer ? résumons ! Montchanin était le mari qu’il fallait à notre fille. Mais, pas d’influence : condamné. Elle est à Courcieux. Benjamine parlera-t-elle à son mari ? Possible. Si elle se tait, il n’y a rien. Si elle parle, de deux choses l’une : ou Courcieux se taira et tout est bien, — ou il se débattra, criera bien fort. Alors, défends-toi, crie plus fort que lui. Prouve-lui l’inutilité et le danger de ses protestations. Parle haut, menace au besoin, comme tu as fait avec nous, les femmes. Ne perds pas le fruit de tes manœuvres, que je puisse au moins t’admirer coupable. Porte beau, joue ton rôle et, en pharisien de bonne race, sauve les apparences jusqu’au bout.

— Tu as raison, cria-t-il. Je me ressaisis.

— Alors, repose-toi si tu peux… et n’éveillons pas les domestiques.

Elle le quitta… A ce moment une rafale marine, froide comme le matin après l’orage, s’engouffra dans la chambre par la fenêtre grande ouverte, et, portée par ce frisson d’infini, une faible plainte d’enfant, un appel menu et distinct, entra tout à coup :

— Maman !

La mère fut frappée au cœur. Elle s’appuyait au cadre de la porte, le cou tendu, la tête inclinée vers la fenêtre ouverte par où elle apercevait la mer vaste, froide à cette heure, la mer où l’on se noie…

Le père, debout, regardait aussi l’espace.

— Tu as entendu ? dit-elle…

— Tu avais raison : nous sommes fous ! répliqua-t-il. C’est impossible.

— Si tu as entendu, reprit la mère, c’est donc que je n’ai pas rêvé. On appelle !

Ils se regardaient effarés. Le cri recommença ; une voix éteinte appelait, là, sous les fenêtres :

— Maman !

La mère s’élança. Elle traversa sa chambre. Comme une folle, elle descendit, elle ouvrit la porte de la villa. Benjamine, à demi nue, dans un peignoir déchiré, ses blonds cheveux défaits, toute ruisselante et grelottante, était là, qui chancelait…

— Maman !… oh ! maman !…

— Benjamine ! ma Benjamine !… tu m’expliqueras plus tard… appuie-toi sur moi… Peux-tu marcher ? oui… montons vite… Dans mon lit, viens… ma pauvre fille ! quel malheur, mon Dieu ! quelle chose affreuse !

Elle avait tout compris. Benjamine avait voulu mourir. Sa mère souffrait son agonie. Elle expiait, tant elle souffrait dans sa fille — et déjà elle était à demi pardonnée…

Très vite, elles furent arrivées dans la chambre. Céleste tira les verrous et, en un clin d’œil, déshabilla sa fille, essuya son pauvre corps grêle qui frissonnait…

— Pauvre chérie ! pauvre chérie !

Elle la mit dans son lit, la couvrit chaudement, alluma la lampe du samovar, prépara du thé, et alors seulement elle embrassa la pauvre petite, bien doucement, et, la regardant au visage, songea avec angoisse : « Elle a l’air d’une folle !… oh ! Dieu ! quelle horreur !… jouer avec l’amour, c’est un crime, un crime ! », puis, enfin, tout haut :

— Qu’est-il arrivé ?… non, plus tard, repose-toi d’abord. Enfin, tu es là ! quel bonheur d’avoir été si près de toi !… oh ! ma chérie ! ma chérie !

Ce qui avait tenu M. Guirand éveillé, ce n’était pas un vague pressentiment. C’était bel et bien la notion exacte qu’il avait du caractère de ses deux victimes et des conséquences menaçantes de sa mauvaise politique. Ce qui avait tenu éveillé M. Guirand, c’était, — plutôt qu’un sentiment des possibilités, — un calcul des probabilités. Il s’était même dit : « Avec le regard que je lui ai vu, elle est femme à se tuer ! un acte de désespoir est vite accompli et alors… ce serait la ruine de ma propre vie ! »

Il gagna le balcon, se pencha par-dessus la balustrade et ne vit personne devant la villa. Il rentra chez lui au moment où sa femme fermait la porte qui séparait leurs chambres. Il l’entendit qui disait à sa fille :

— Ne crains rien, tu ne le verras pas… calme-toi.

Il pensa qu’elles parlaient de lui. Il n’osa pas heurter à la porte.

— Il y a une catastrophe, songeait-il. L’a-t-il chassée ? S’est-elle enfuie ?

Il prêta l’oreille. Il n’entendit plus rien, qu’un chuchotement, de petites plaintes enfantines, des sanglots étouffés.

Il était encore incapable d’affronter sa fille.

Céleste disait :

— Avant tout, il faut qu’on ne sache rien ; personne ne t’a vue, au moins ?… Calme-toi, calme-toi, ma chère petite… Tout s’arrangera, tout passe.

Puis des chuchotements encore, puis un cri de refus :

— Non ! non ! non ! répétait Benjamine.

Il frappa à la porte un coup léger.

Céleste ouvrit, barrant le passage :

— Pas toi ! pas toi ! elle ne te veut pas… elle ne veut pas te voir. Attends un peu.

— Est-ce qu’il l’a chassée ? demanda-t-il.

— Je ne sais rien encore. Attends.

Elle disparut de nouveau, referma la porte au verrou. Il l’entendit qui « prodiguait les consolations ». Elle disait :

— Il ne faut pas prendre froid… laisse-moi te couvrir, t’arranger, dors un peu. Voici le thé brûlant… Bois… encore… allons, viens là, tout contre moi, comme quand tu étais toute petite. Essaie de dormir, veux-tu ? tu dois être si lasse ! un peu de repos. Et, pendant ce temps, je prendrai une décision, — j’arrangerai tout… avant que les domestiques ne s’éveillent.

Un peu après, il entendit, sans comprendre ce qui se disait, la voix de Benjamine… Elle expliquait. Il aurait voulu comprendre ; mais il n’essayait pas d’entrer. Il acceptait sa déchéance.

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