Benjamine : $b roman
IV
UNE CONSCIENCE
Elle n’avait pas eu à se donner, puisqu’elle était à lui.
Et cependant, tout d’abord, le songe à peine achevé, — elle avait fui.
Seule dans la chambre, elle pleura longtemps, incapable de réflexion. Quand ses larmes furent épuisées, elle ne trouva en elle qu’une pensée, une seule : revoir Jean, le plus tôt possible, être à lui pour jamais, n’être qu’à lui, partir avec lui.
Mourir ? cette fois, elle n’y songea pas un instant. Pourquoi cinq mois auparavant avait-elle voulu mourir ? Parce qu’on l’avait séparée de Jean ; mais à présent, à quoi bon ? Elle n’en eut pas un instant l’idée. Chose étrange, quand elle pleurait tout à l’heure, il lui semblait que tous les regrets à la fois, tous les remords, toutes les désespérances se pressaient confusément en elle, se heurtant dans son cœur, dans son esprit. Il lui semblait que plus tard, quand elle pourrait voir clair dans ce chaos, elle ne supporterait pas son mépris pour elle-même.
Et rien de tout cela n’arrivait. Elle voulait revoir Jean, c’était tout.
La veille encore, elle était résolue à subir enfin sa destinée avec un sourire. Elle tâchait de comprendre son devoir, qui était de donner à son mari le bonheur régulier… Avait-elle vraiment songé à ce devoir-là ? On l’eût bien étonnée en le lui rappelant.
Une femme avisée se fût dit tout de suite que l’heure était venue de se rapprocher de l’époux. Elle eût jugé cette politique nécessaire, elle eût trouvé cette habileté légitime. L’enfant qu’était Benjamine n’eut pas à repousser cette pensée qui ne lui vint pas.
— J’étais à Jean. Je suis à lui. C’est ma vraie destinée. J’irai, demain, le rejoindre. Pour expliquer mon départ ici, je laisserai une lettre. C’est tout simple.
Elle se rappela que Montchanin lui avait dit qu’il avait gardé, comme pied-à-terre, à Paris, son petit logement d’étudiant, qu’elle connaissait pour y être allée avec son père.
Jean lui avait répété deux ou trois fois qu’il resterait chez lui, pour elle, le lendemain matin. Eh bien, elle irait, elle le devait. Elle trouvait cela tout simple.
Il n’y avait pas d’autre issue à sa situation nouvelle.
Qu’elle n’allât pas retrouver Jean, non, cela n’était pas possible puisque Jean était son mari… Ils partiraient ensemble pour l’étranger. Il fallait donc qu’elle préparât tout de suite quelques menus objets qu’elle voulait emporter.
Elle quitta son fauteuil, ouvrit des tiroirs, réunit quelques-uns de ses bijoux préférés, ceux qui lui avaient été donnés par sa mère. Elle prit tout l’argent qu’elle avait, beaucoup. « Avec cela, pensa-t-elle, on n’a pas besoin de s’embarrasser de malles… On trouve partout du linge, des vêtements. Nous verrons, plus tard, à nous faire envoyer par ma mère tout ce qu’il me faudra. »
Elle vaquait à ses préparatifs avec une grande tranquillité, une lucidité extrême. Elle n’oubliait rien. Elle choisit dans sa pensée la robe qu’elle mettrait pour le voyage. Elle la demanderait, dès le matin, à sa femme de chambre, et aussitôt elle quitterait la maison.
Comme Jean allait être heureux !
A ce moment le jour, blafard, parut par les fissures des volets et par l’entre-bâillement des lourds rideaux, — un jour violâtre et maladif, triste infiniment. Elle écarta les draperies, elle poussa un peu une persienne ; le ciel était sinistre. Elle se sentit glacée, et referma vivement la fenêtre. Alors sa fièvre tomba, elle se rassit dans son fauteuil et regarda autour d’elle ce logis qu’elle allait abandonner, la maison de la marquise de Courcieux, et elle murmura :
— C’est impossible !… Comme ça du moins, je ne dois pas !
L’angoisse des plus mauvais jours la reprit. La prison, le tombeau se refermaient brusquement sur elle.
Elle comprit qu’elle était trop lasse, qu’elle n’était plus en état de rien juger, de rien savoir ; elle se dit qu’il lui faudrait être forte le lendemain pour livrer une des grandes batailles de sa vie, — elle ne savait pas laquelle, — et à demi morte, elle se dévêtit et se coucha, physiquement heureuse de sentir en elle, bien avant d’avoir fermé les yeux, — le néant du sommeil.