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Benjamine : $b roman

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V
L’AVEU N’EST PAS FAIT, MAIS IL EST COMPRIS

C’était le matin, peu de temps avant le déjeuner.

— Dites à M. le marquis que je désire lui parler.

Il la trouva debout, très pâle, l’air résolu, singulière.

— Qu’avez-vous ? dit-il. Vous n’êtes pas malade, j’espère. Vous êtes pâle.

— J’ai si peu dormi cette nuit !

Puis, dans un grand trouble, ne sachant par quelles paroles commencer, elle déclara brusquement :

— M. Montchanin est à Paris.

— Ah ! dit le marquis sans sourciller, quand repart-il ?

— Je ne sais pas.

— Vous l’avez vu ?

— Oui, ici, hier après midi.

Il y eut un bref silence.

— Je crois, ma pauvre enfant, que vous auriez mieux fait de ne pas le recevoir, répliqua doucement Courcieux ; il me semble que c’étaient là nos conventions.

— C’est parce que j’y ai manqué que je m’accuse, dit-elle.

Courcieux s’approcha d’elle, la main tendue : il y mit sa bonne grâce ordinaire, on ne sait quoi de sincère et d’apitoyé qui, depuis longtemps, lui eût conquis la jeune femme, si l’amour était raisonnable. Mais, à ce moment précis, Amine ne fut même pas touchée. Elle ne pensait qu’à Jean. Elle se taisait. Elle ne prit pas la main de Courcieux.

— Il s’est fait annoncer, je pense ? reprit doucement le marquis.

— Oui, certes, et vous allez me demander pourquoi, dès lors, j’ai manqué à nos conventions en le recevant ? La surprise ; ce mot dit tout, fit-elle.

Elle pâlit encore et dut s’asseoir, puis balbutia :

— J’ai pu voir que je suis sans force contre lui et c’est ce que je me suis juré de vous dire aujourd’hui même. Le silence serait indigne de moi, et indigne de vous… Cette nuit, j’étais résolue à fuir votre maison, monsieur. J’ai compris à temps que ce serait vous faire injure ; j’ai cru préférable de vous réclamer ma liberté et de vous dire que je vous rends la vôtre.

— Comment cela ? demanda-t-il froidement.

Tandis qu’elle parlait, il se sentait devenu de glace pour elle. Elle ne l’intéressait même plus. Ce n’était pas sa femme, après tout !

Elle se releva toute droite et reprit nettement :

— Il faut nous séparer, monsieur ; il le faut ; ce sera mieux pour vous et pour moi… Il y a le divorce.

Courcieux fit un mouvement d’impatience.

— Pas de divorce ? reprit-elle ; vous n’en voulez toujours pas ?… c’est vraiment impossible ?… Alors, affirma-t-elle, je vais vous quitter, moi ; partir… Tous les torts seront sur moi… Je vous assure, monsieur, qu’il le faut…

Elle insistait étrangement sur ces trois mots « il le faut ».

— Mon cœur n’est pas libre ; il n’est pas à vous… séparons-nous.

Après cette énergique déclaration, elle redevint brusquement humble et faible.

Elle tomba sur ses deux genoux, tout d’une pièce. Il pensa qu’elle avait dû se faire mal, mais elle demeurait immobile, sans larmes, les yeux brillants… Elle tendit vers lui les mains.

Il pensa qu’elle était vraiment un peu trop exaltée, mais aussi qu’elle touchait peut-être à l’heure d’une crise salutaire, qu’il pourrait, lui, précipiter et diriger.

— Amine, dit-il, de sa voix la plus affectueuse, je n’aime pas, vous le savez, ces exaltations, ces grands gestes un peu dramatiques… Ils prouvent que vous n’êtes pas maîtresse de vous. Il faut vous ressaisir, ma chère enfant, et m’écouter bien attentivement.

Il la releva avec douceur et s’assit près d’elle, en lui tenant une main dans les deux siennes.

— Il y a des sujets, reprit-il d’une voix nette, — une voix qui commandait, — il y a des sujets sur lesquels nous ne devons plus revenir ni l’un ni l’autre, jamais. Il est bien vrai que je vous sais gré de m’annoncer que monsieur Montchanin est à Paris. Mais cela seul m’a dit tout, et ce mot suffit. J’y vois votre noble intention de m’appeler à votre secours contre vous-même.

Elle écoutait, les yeux fixes ; elle avait repris l’air égaré des heures mauvaises ; elle ne savait plus ce qu’elle avait projeté de lui dire. Elle écoutait la voix ferme et impérieuse qui lui parlait ; elle en subissait les conseils comme des ordres inéluctables. Elle sentait sa vie prise dans la fatalité comme un navire dans les glaces. Son âme en elle demeurait figée, — attentive pourtant, mais incapable de plus de réflexion et de parole, — seulement passive.

Elle tâcha de se rappeler ce qu’elle avait résolu de dire… Évidemment il n’avait pas compris ! L’aveu terrible qui, pensait-elle, allait dénouer le nœud gordien qui les unissait, restait à faire. Elle était debout, si pâle qu’on eût dit une morte aux yeux ouverts.

— Écoutez monsieur… dit-elle avec force.

Il l’interrompit, et, de sa voix qui commandait plus haut, il dit :

— Vous voulez partir ? Non. La marquise de Courcieux ne fera pas cela, même après m’avoir prévenu. Je m’y oppose. Pourquoi ? parce que je vous ai promis à vous-même de vous protéger. Je vous jure qu’en me quittant vous iriez à un malheur si certain que cela m’empêche de songer à la situation lamentable où me laisserait votre honteuse fuite. Donc, pour vous, je vous ordonne de rester.

Elle sentit qu’il disait des choses très justes.

Il continua d’un accent apaisé :

— Et, pour moi, je vous demande de ne pas songer au divorce. Vous êtes une généreuse, ma pauvre enfant ; obéissez à ma prière. Votre seul salut est en moi. Tout le reste est danger, honte, misère, folie et mort. La situation est lamentable pour vous, sans doute. Et pour moi, donc ! Et comme je sais à qui je parle — voici la seule solution : soyez héroïque, madame !

Elle leva sur lui des yeux de désespoir, qui avouaient tout. Il ne voulut pas comprendre son regard ; il avait refusé tout à l’heure d’entendre son aveu, qu’il croyait avoir deviné. Elle n’osait plus rien dire.

Il reprit :

— Vous ne reverrez pas, j’en suis sûr, M. Montchanin. Certainement vous lui avez interdit votre porte, n’est-ce pas ?

— Monsieur Montchanin quitte Paris ce soir, murmura-t-elle machinalement.

Il se rapprocha d’elle :

— Peut-être ai-je des torts, Amine. J’ai eu, moi, mes raisons, en présence de votre attitude, pour n’être pas assidu auprès de vous comme je l’aurais dû peut-être… pardonnez-le-moi, car rien n’est plus pardonnable, je vous l’assure. La demande que vous avez cru devoir me faire tout à l’heure m’est un nouveau gage de la loyauté parfaite de votre cœur. Cela est bizarre à dire, mais ce qu’eût provoqué la colère d’un autre, porte au plus haut degré mon estime pour vous et je sais peu de femmes qui montreraient tant de droiture dans une si malheureuse situation.

Il se rapprocha encore un peu d’elle :

— Eh bien, pourquoi ne pas vous rapprocher vous-même de moi un peu davantage ?

Elle eut un imperceptible mouvement de révolte.

— Moins que jamais ! murmura-t-elle d’une voix mourante.

Il se redressa et sourit d’un air ironique qui semblait méchant.

Un valet de chambre annonça :

— Madame la marquise est servie.

— Dispensez-moi ce matin encore, dit-elle faiblement, de déjeuner avec vous, monsieur.

— Je vous ai demandé d’être héroïque, dit le marquis d’un ton glacé ; il faut commencer.

Ils s’assirent l’un en face de l’autre et le marquis, pour masquer le vide qui les séparait, lui conta, avec esprit, une anecdote quelconque.

— Madame a un peu de migraine, Baptiste. Vous enlèverez les fleurs du salon.

— Ne sortez-vous pas aujourd’hui ? fit-elle.

— Non, pas aujourd’hui.

Ils passèrent la journée chez eux, chacun de son côté.

— « Il est clair, se répétait-il, qu’elle voulait me dire quelque chose de plus, et je l’en ai empêchée. Ai-je eu tort ? assurément non. Si cela est, quelle figure aurais-je fait ? Mieux vaut douter, puisque mes résolutions, en aucun cas, n’auraient pu être modifiées. »

Elle retomba à sa vie de nonne.

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