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Les opinions et les croyances : $b genèse; évolution

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CHAPITRE V
LES ÉLÉMENTS DE LA PERSONNALITÉ. COMBINAISONS DE SENTIMENTS FORMANT LE CARACTÈRE.

§ 1. — Les éléments du caractère.

Le caractère est constitué par un agrégat d’éléments affectifs auxquels se superposent, en s’y mêlant fort peu, quelques éléments intellectuels. Ce sont toujours les premiers qui donnent à l’individu sa véritable personnalité.

Les éléments affectifs étant nombreux, leur association formera des caractères variés : actifs, contemplatifs, apathiques, sensitifs, etc. Chacun d’eux agira différemment sous l’action des mêmes excitants.

Les agrégats constitutifs du caractère peuvent être fortement ou, au contraire, faiblement cimentés. Aux agrégats solides correspondent les individualités fortes qui se maintiennent malgré les variations de milieu et de circonstances. Aux agrégats mal cimentés correspondent les mentalités molles, incertaines et changeantes. Elles se modifieraient à chaque instant sous les influences les plus légères, si certaines nécessités de la vie quotidienne ne les orientaient comme les berges d’un fleuve canalisent son cours.

Si stable que soit le caractère, il reste toujours lié cependant à l’état de nos organes. Une névralgie, un rhumatisme, un trouble intestinal, transforment la gaieté en mélancolie, la bonté en méchanceté, la volonté en nonchalance. Napoléon malade à Waterloo n’était plus Napoléon. César dyspeptique n’eût sans doute pas franchi le Rubicon.

Les causes morales agissent aussi sur le caractère ou tout au moins sur son orientation. A la suite d’une conversion, l’amour profane deviendra amour divin. Le clérical fanatique et persécuteur finira parfois en libre penseur tout aussi fanatique et non moins persécuteur.

Les opinions et les croyances étant moulées sur notre caractère, suivent naturellement ses variations.

Il n’existe, je l’ai déjà montré, aucun parallélisme entre le développement du caractère et celui de l’intelligence. Le premier semble, au contraire, tendre à s’affaiblir à mesure que la dernière se développe. De grandes civilisations furent détruites par des éléments intellectuellement inférieurs, doués de volonté forte.

Les esprits hardis et décidés ignorent les obstacles signalés par l’intelligence. La raison ne fonde pas les grandes religions et les puissants empires. Dans les sociétés brillantes par l’intelligence, mais de caractère faible, le pouvoir finit souvent par tomber entre les mains d’hommes bornés et audacieux. J’admets volontiers, avec Faguet, que l’Europe, devenue pacifiste, sera conquise « par le dernier peuple resté militaire et relativement féodal ». Ce peuple-là réduira les autres en esclavage et fera travailler à son profit des pacifistes chargés d’intelligence, mais dénués de l’énergie que donne la volonté.

§ 2. — Les caractères collectifs des peuples.

Chaque peuple possède des caractères collectifs, communs à la plupart de ses membres, ce qui fait des diverses nations de véritables espèces psychologiques. Ces caractères créent chez elles, nous le verrons bientôt, des opinions semblables sur un certain nombre de sujets essentiels.

Les caractères fondamentaux d’un peuple n’ont pas besoin d’être nombreux. Bien fixés ils tracent sa destinée. Considérons les Anglais, par exemple. Les éléments orientant leur histoire peuvent être résumés en peu de lignes : culte de l’effort persistant qui empêche de reculer devant l’obstacle et de considérer un malheur comme irrémédiable ; respect religieux des coutumes et de tout ce qui est validé par le temps ; besoin d’action et dédain des vaines spéculations de la pensée, mépris de la faiblesse, sentiment très intense du devoir, contrôle sur soi-même envisagé comme qualité essentielle et entretenu soigneusement par une éducation spéciale.

Certains défauts de caractère, insupportables chez les individus, deviennent des vertus quand ils sont collectifs, l’orgueil par exemple. Ce sentiment est fort différent de la vanité, simple besoin de briller en public et exigeant des témoins, alors que l’orgueil n’en demande aucun. L’orgueil collectif fut un des grands stimulants de l’activité des peuples. Grâce à lui, le légionnaire romain trouvait une récompense suffisante à faire partie d’un peuple dominant l’univers. L’inébranlable courage des Japonais, dans leur dernière guerre, provenait d’un orgueil semblable.

Ce sentiment est, en outre, une source de progrès. Dès qu’une nation est convaincue de sa supériorité, elle porte à son maximum les efforts nécessaires pour la maintenir.

Le caractère et non l’intelligence différencie les peuples et crée entre eux des sympathies ou des antipathies irréductibles. L’intelligence est de même espèce pour tous. Le caractère offre, au contraire, de fortes dissemblances. Des peuples distincts étant diversement impressionnés par les mêmes choses se conduiront naturellement de façons différentes dans des circonstances paraissant identiques. Qu’il s’agisse, d’ailleurs, de peuples ou d’individus, les hommes sont toujours plus divisés par les oppositions de leur caractère que par celles de leurs intérêts ou de leur intelligence.

§ 3. — Évolution des éléments du caractère.

Les sentiments fondamentaux formant la trame du caractère évoluent très lentement dans le cours des âges, comme le prouve la persistance des caractères nationaux. Les agrégats psychologiques qui les constituent sont aussi stables que les agrégats anatomiques.

Mais, autour des caractères fondamentaux, se trouvent, comme pour toutes les espèces vivantes, des caractères secondaires pouvant varier suivant le moment, le milieu, etc.

Ce sont surtout — je l’ai fait remarquer dans le précédent chapitre — les sujets sur lesquels les sentiments s’exercent qui changent. L’amour de la famille, puis de la tribu, de la cité et enfin de la patrie sont des adaptations d’un sentiment identique à des groupements différents, et non la création de sentiments nouveaux. L’internationalisme et le pacifisme représentent les dernières extensions de ce même sentiment.

Il y a un siècle à peine, le patriotisme allemand était inconnu, l’Allemagne restait divisée en provinces rivales. Si le pangermanisme actuel constitue une vertu, cette vertu n’est que l’extension de sentiments anciens à des catégories d’individus nouvelles.

Les états affectifs sont choses si stables que leur simple adaptation à des sujets nouveaux exige d’immenses efforts. Pour acquérir, par exemple, un peu, — très peu — cette forme d’altruisme, qualifiée de tolérance, il fallut, dit justement M. Lavisse : « que des martyrs mourussent par milliers dans des supplices, et que le sang coulât en fleuve sur des champs de bataille ».

C’est un grand danger pour un peuple de vouloir créer, au moyen de la raison, des sentiments contraires à ceux fixés par la nature dans son âme. Semblable erreur pèse sur nous depuis la Révolution. Elle a engendré le développement du socialisme qui prétend changer le cours naturel des choses et refaire l’âme des nations.

N’objectons pas à la fixité des sentiments, les brusques transformations de personnalité observées parfois. Tels la prodigalité devenant avarice, l’amour changé en haine, le fanatisme religieux en fanatisme irréligieux, etc. Ces revirements constituent simplement l’adaptation de mêmes sentiments à des sujets différents.

Bien des causes diverses, les nécessités économiques, par exemple, peuvent aussi déplacer nos sentiments sans pour cela les changer.

Ces influences économiques sont puissantes. La diffusion de la propriété, par exemple, a pour conséquence l’abaissement de la natalité, par suite de l’égoïsme familial du propriétaire, peu soucieux de voir diviser son bien. Si tous les citoyens d’un pays devenaient propriétaires, la population diminuerait probablement dans d’énormes proportions.

Les sentiments constituant le caractère ne peuvent subir de changement d’orientation sans que la vie sociale soit bouleversée. Guerres de religions, croisades, révolutions, etc., résultent de pareils changements.

Et si, actuellement, l’avenir apparaît très sombre, c’est que les sentiments des classes populaires tendent à subir une orientation nouvelle. Sous la poussée des illusions socialistes, chacun, de l’ouvrier au professeur, est devenu mécontent de son sort et persuadé qu’il mérite une autre destinée. Tout travailleur se croit exploité par les classes dirigeantes et rêve de s’emparer de leurs richesses au moyen d’un coup de force. Dans le domaine de l’affectif, les illusions ont une puissance qui les rend fort dangereuses parce que la raison ne les influence pas.

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