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Les opinions et les croyances : $b genèse; évolution

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CHAPITRE III
MÉTHODES D’EXAMEN APPLICABLES A L’ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE CERTAINES CROYANCES ET DE DIVERS PHÉNOMÈNES SUPPOSÉS MERVEILLEUX.

§ 1. — Insuffisance des méthodes habituelles d’observation.

Les illusions dont furent victimes les savants adonnés à l’étude des phénomènes spirites montrent que les méthodes d’investigation, utilisables dans le domaine de la connaissance, ne le sont plus dans celui de la croyance.

Elles sont inapplicables parce que le savant se trouve alors dans des conditions tout à fait exceptionnelles. Il doit, en effet, déjouer des fraudes incessantes, étrangères à ses expériences ordinaires et lutter contre les illusions qui lui sont suggérées.

La méthode d’étude des phénomènes servant de base à certaines croyances doit donc être renouvelée entièrement pour permettre d’atteindre quelques résultats. Le sujet sortant un peu du cadre de cet ouvrage, je me bornerai à indiquer brièvement pourquoi les méthodes employées jusqu’ici sont sans valeur et sur quels sujets, porterait utilement l’expérimentation.

On remarquera tout d’abord que les croyants aux phénomènes occultistes affirment qu’on ne les reproduit pas à volonté et qu’ils ne sont par conséquent soumis à aucun déterminisme. Les puissances supérieures créatrices de tels phénomènes n’ont pas à obéir à nos caprices. Jupiter lance la foudre quand il lui plaît, Neptune déchaîne ou calme les tempêtes sans attendre le souhait des navigateurs.

L’impossibilité de prévoir un phénomène n’empêche aucunement son étude scientifique lorsqu’il se manifeste. Cette première difficulté n’est donc pas considérable. D’autres beaucoup plus graves vont se présenter.

§ 2. — Valeur du témoignage et de l’observation dans l’étude des croyances.

En histoire, la méthode d’étude est le témoignage. En matière scientifique, l’expérience et l’observation.

Or, pour les phénomènes occultistes, la première méthode est à rejeter entièrement, et l’observation ainsi que l’expérience, utilisables seulement dans des circonstances exceptionnelles.

Pourquoi le témoignage est-il à éliminer, même lorsque les constatations sont nombreuses et concordantes ?

Simplement parce que l’histoire de la plupart des phénomènes merveilleux prouve que des milliers d’observateurs affirmèrent l’existence de faits, déclarés plus tard hallucinations individuelles ou collectives. Les scènes du sabbat, auxquelles se rendirent à travers les airs des légions de sorciers sont, je l’ai fait remarquer, attestées par d’unanimes témoignages consignés dans d’innombrables procès. Bien peu de faits historiques s’appuyent sur une pareille documentation, et cependant personne n’oserait soutenir de nos jours l’existence réelle des phénomènes de sorcellerie. Les apparitions surnaturelles attestées par des centaines de spectateurs ne sont pas considérées aujourd’hui comme ayant eu une existence plus certaine.

Le témoignage, en tant que méthode d’étude des phénomènes merveilleux, est donc à rejeter complètement et pour la même raison l’observation individuelle reste sans valeur. En pareille matière, la suggestion semble une loi constante. Elle agit surtout lorsque, sous l’influence de l’attention expectante, l’observateur croit avoir constaté une ébauche de phénomène.

Il se déroule alors un enchaînement d’hallucinations, prises facilement pour des réalités. Écoutons toujours avec bienveillance les croyants, pour ne pas les chagriner, mais n’attachons aucune loi à leurs récits miraculeux.

On conçoit l’extrême difficulté de l’étude des phénomènes merveilleux quand on sait à quel point l’observation exacte des faits les plus simples est peu aisée.

« Il n’est pas si facile qu’on le croit, écrit le professeur Beaunis, de se borner à constater un phénomène. Nous avons tous, malgré nous, une tendance à déformer les faits que nous observons, à les plier à nos idées, à nos habitudes mentales, à notre manière de voir. Chose très rare que l’observation pure. Le médecin qui interroge un malade sait combien il est difficile de lui faire dire ce qu’il éprouve et rien que ce qu’il éprouve. Prenez dix témoins d’un même fait, chacun, et de très bonne foi, le racontera d’une façon différente. »

§ 3. — Valeur de l’expérimentation individuelle et collective.

Le témoignage et l’observation éliminés comme moyen d’étude, reste l’expérience.

Sur des sujets ordinaires, son emploi serait facile, mais exercée sur des phénomènes vus à travers le prisme de la croyance, loin d’éclairer, elle ne contribue le plus souvent qu’à fixer des erreurs. L’expérience peut être bien exécutée, mais appliquée à des faits simulés ou invisibles pour l’observateur placé dans l’obscurité, à quoi peut-elle servir ? Disposer savamment des appareils enregistreurs pour constater le déplacement sans contact d’un objet, que le médium caché par un rideau manipule à son gré, ne conduit à aucune vérification utile.

En matière d’occultisme, les conditions d’expérimentation sont si difficiles, que les savants désireux d’aborder cette étude se réunissent dans l’espoir que leurs lumières individuelles s’additionneront, supposition d’ailleurs fort inexacte.

Les personnes un peu familiarisées avec la psychologie des foules savent le peu d’utilité des enquêtes collectives. Les observateurs se suggestionnent les uns les autres, perdent tout esprit critique, le niveau de leur mentalité s’abaisse et ils ne parviennent qu’à des conclusions, incertaines. Je ne crois pas qu’une seule grande découverte soit jamais faite par une collectivité. S’il s’en réalise une dans l’occultisme, elle le sera sûrement par un savant isolé qui n’aura plus ensuite qu’à la faire vérifier.

Toutes les enquêtes sur l’occultisme entreprises en Angleterre, en France et en Italie, n’ont rien appris, et justifient amplement les réflexions précédentes. Suivant la mentalité des assistants et leur degré de suggestibilité, le même médium fut déclaré vulgaire fraudeur ou au contraire possesseur de pouvoirs aussi merveilleux que ceux jadis attribués au diable par la sorcellerie.

La plus importante de ces enquêtes, autant par le temps et l’argent dépensés que par la qualité des observateurs, fut celle organisée par l’Institut psychologique de Paris. Les résultats en furent peu brillants, malgré les 25.000 francs sacrifiés et les 43 séances consacrées aux expériences.

Sur presque aucun des phénomènes les observateurs ne réussirent à se mettre d’accord. Au sujet de la lévitation seulement, le rapporteur se montre un peu affirmatif, mais le détail des expériences montre que les convictions s’établirent sur des bases en vérité bien fragiles. Les membres de la commission d’examen se virent obligés, malgré leur bienveillance évidente, de constater des fraudes innombrables.

Quoique longue et coûteuse, cette enquête ne put faire avancer la question d’un seul pas. Après avoir assisté à la plupart des séances de l’Institut psychologique, l’éminent physicien Branly m’écrivait : « Ce que j’ai vu ne m’a pas apporté de conviction. »

§ 4. — Nécessité de dissocier les phénomènes et ne s’attacher qu’à l’examen d’un élément isolé.

Application à l’étude de la lévitation.

L’insuccès complet de la dispendieuse enquête de l’Institut psychologique démontre clairement, comme je le disais en commençant, la faible valeur des méthodes d’étude actuelles. Je considère qu’au lieu de disséminer son attention sur une foule de phénomènes accessoires, l’observateur doit se consacrer à un seul, c’est-à-dire prendre un fait bien circonscrit, bien isolé, et l’étudier inlassablement avec des appareils enregistreurs, indépendants de son action, jusqu’à démonstration complète.

Personne n’ayant paru saisir l’utilité de ce principe, je résolus de l’appliquer moi-même à un cas isolé nettement défini : le soulèvement d’un corps sans contact. Après examen du médium Eusapia avec l’aide du professeur Dastre, il nous restait quelques doutes dans l’esprit sur ce point.

Les phénomènes de lévitation n’ont rien d’ailleurs qui choque la raison. Un médium pourrait posséder une force particulière capable d’attirer les objets, comme l’aimant attire le fer. Mais avant de disserter sur elle, il semblait utile de démontrer son existence.

Pour fixer mes doutes sur la possibilité des lévitations, je résolus de faire appel à tous les médiums prétendant posséder cette faculté. Avec le concours du prince Roland Bonaparte, membre de l’Académie des sciences, et du Dr Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques, je fondai un prix de 2.000 francs, destiné au médium qui déplacerait un objet sans contact. Pour que l’existence de ce prix parvînt à la connaissance de tous les intéressés, j’eus recours à la publicité d’un important journal, le Matin. Mon article fut d’ailleurs reproduit par la plupart des grands journaux de l’univers.

Si l’expérience que je proposais se fût réalisée, elle eût constitué une preuve définitive, à l’abri de toute discussion. Elle devait s’accomplir en plein jour dans le laboratoire du professeur Dastre, à la Sorbonne, en présence de deux prestidigitateurs, d’un photographe chargé de cinématographier les détails de l’opération, et enfin de quatre membres de l’Académie des sciences, chargés simplement de constater dans quelles conditions s’étaient réalisés les phénomènes.

On ne pouvait objecter aux conditions précédentes que les phénomènes de lévitation se produisent seulement dans l’obscurité, la plupart des occultistes actuels ayant renoncé à cette exigence. M. Maxwell ne cesse d’insister dans son livre sur la possibilité d’obtenir les phénomènes de lévitation en pleine lumière. M. Boirac, recteur de l’Académie de Dijon, affirme aussi avoir à plusieurs reprises attiré le jour une table sans la toucher. Pourquoi, jouissant de cette propriété si curieuse, n’a-t-il pas tenté d’obtenir le prix de 2.000 francs ?

L’annonce de ce prix me valut naturellement la réception de plusieurs centaines de lettres, mais cinq médiums seulement se présentèrent pour le gagner. Je leur fis connaître les conditions indiquées plus haut, garantissant d’ailleurs autant de séances qu’ils le demanderaient. Tous promirent de revenir. Aucun ne reparut.

Bien que le médium Eusapia ait cessé d’obtenir, dès qu’une surveillance sérieuse fut exercée, le déplacement du plateau d’un pèse-lettre, n’exigeant qu’une force très inférieure à un gramme, les spirites n’hésitent pas à affirmer que les médiums parviennent à déplacer sans contact des poids de près de 200 kilogrammes.

« Le phénomène de la lévitation des tables représente l’a, b, c du spiritisme, écrit M. le professeur Morselli. Là-dessus il n’y a plus de doute possible !!! La table se lève toute seule sans trucs ni tromperies et reste suspendue jusqu’à 78 secondes… Ici à Gênes, un jeune poète, médium excellent, a fait remuer une caisse du poids de 180 kilos. »

Il est regrettable que ce jeune poète, qui déplace 180 kilogrammes sans y toucher, n’ait pas tenté de remporter le prix de 2.000 francs en soulevant seulement quelques grammes.

Je crois avoir rendu un réel service en démontrant combien le phénomène de la lévitation, jugé si simple par les spirites, est rare, en admettant qu’il puisse se produire, ce dont nous n’avons absolument aucune preuve.

L’Institut psychologique a voulu lui aussi vérifier les phénomènes de la lévitation. Il se donna pour les constater un mal énorme, malheureusement aucune des expériences exécutées, et surtout les photographies présentées à l’appui, ne peuvent entraîner de conviction.

Les savants italiens, plus heureux, ont contemplé Eusapia enlevée en l’air « par des mains spirites ».

Lombroso, après avoir obtenu la faveur spéciale de causer avec l’ombre de sa mère, se montre fort catégorique sur ce point. Voici comment il s’exprime dans une interview publiée par le Matin :

« Un phénomène extraordinaire est observé lorsqu’Eusapia étant assise, les mains et les pieds ligotés, s’élève très lentement jusqu’à pouvoir rejoindre le plan de la table et s’y asseoir. Sous ses aisselles, on voit seulement deux mains spirites qui l’aident. Cette expérience a été sérieusement contrôlée. » Il est permis de douter du contrôle, mais non de la foi robuste des observateurs.

Les esprits, dont les « mains spirites » aidèrent Eusapia à soulever si facilement son propre poids ou des tables très lourdes, lui refusent obstinément leur assistance sitôt que de fâcheux sceptiques examinent les choses de trop près. A l’Institut psychologique, elle avait souvent fait fléchir un pèse-lettre à distance et les convictions commençaient à se former, bien qu’on l’eût surprise plusieurs fois abaissant le plateau avec un cheveu tenu entre les doigts. Un assistant, continuant à soupçonner la fraude, prit la précaution de recouvrir de noir de fumée le plateau, ainsi que le fléau et l’index du pèse-lettre. Tout contact de fil ou de cheveu devait ainsi immédiatement se déceler par une trace laissée sur le noir de fumée. A partir de ce moment, et dans toutes les expériences subséquentes, Eusapia ne put agir une seule fois à distance sur le pèse-lettre.

Elle tenta de faire varier son poids devant l’Institut psychologique, et, effectivement, dit le rapporteur, la balance indique une diminution de poids, mais le graphique donné par l’appareil enregistreur paraît être fort incertain, puisque le rapporteur ajoute : « Devons-nous en conclure qu’Eusapia exerçait à ce moment des pressions avec ses mains sur la table ? » Il est fâcheux que les observateurs, ayant étudié si longtemps ce médium, n’aient jamais eu l’idée de renouveler cette importante expérience, afin de se faire une conviction positive ou négative.

Les tentatives des membres de la commission de l’Institut psychologique pour fixer par la photographie la lévitation d’une table, restèrent sans succès, prouvant une fois de plus la faible valeur des expériences collectives.

« Nous n’avons pas obtenu, dit le rapporteur, de photographies de soulèvement complet où les quatre pieds de la table soient entièrement visibles. Une seule photographie a été prise à l’improviste, en pleine obscurité. La table est soulevée de deux pieds seulement. Il paraît manifeste, d’ailleurs, par l’examen de la position des mains du sujet, que ce soulèvement partiel est tout à fait normal. La paume de la main gauche d’Eusapia touche l’angle du plateau de la table qu’elle semble relever, quatre doigts de sa main droite sont fortement appuyés près du bord opposé. La synergie des mains pour produire où maintenir le soulèvement est visible. »

Il est en tout cas certain, aujourd’hui, que le plus simple des phénomènes invoqués par les spirites, la lévitation d’un objet, n’a pu être nettement obtenu. Voici quelques passages de l’article par lequel je fis connaître les suites du concours que j’avais fondé.

Les lecteurs du Matin savent qu’avec le concours du prince Roland Bonaparte, et du Dr Dariex, j’ai proposé un prix de 2.000 francs au médium capable de soulever, en plein jour, sans y toucher, un objet posé sur une table. L’article contenant cette proposition ayant eu un retentissement considérable en France et à l’étranger, il n’est pas supposable qu’un seul spirite l’ait ignoré.

J’ai reçu d’ailleurs plusieurs centaines de lettres relatant de très merveilleuses histoires, mais cinq candidats seulement s’offrirent à réaliser l’expérience. Après avoir discuté sur les conditions exposées et les avoir acceptées, ils promirent de revenir. Aucun ne reparut. L’expérience leur a donc évidemment semblé irréalisable.

Les spirites se consolent de cet échec manifeste en assurant que les phénomènes de lévitation furent observés bien des fois. L’un d’eux affirmait dans ce journal qu’il y a quarante ans on vit des esprits soulever une table chargée de 75 kilogrammes de pierres. Cette opération indique évidemment, chez les esprits, une grande vigueur qui console un peu de la pauvreté lamentable de leurs révélations. Il reste à se demander cependant pourquoi les médiums, capables de soulever 75 kilogrammes il y a quarante ans, ne peuvent plus soulever quelques grammes aujourd’hui ? Gagner deux mille francs en deux minutes et fixer un point important de la science était pourtant assez tentant.

Le seul argument encore utilisable par les spirites est le témoignage de savants éminents qui affirment avoir observé des phénomènes de lévitation et nombre d’autres bien plus merveilleux encore. Ils ajoutent qu’on n’a pas le droit de rien déclarer d’avance impossible.

Je concède volontiers ce dernier point. Il est possible que Minerve soit sortie tout armée du cerveau de Jupiter, et que la lampe merveilleuse d’Aladin ait existé. On admettra cependant, je pense, que ces phénomènes paraissant peu probables, des preuves sérieuses seraient nécessaires avant de les admettre.

Donc, quand un savant comme Lombroso assure avoir vu se matérialiser, devant lui, l’ombre de sa mère et causé avec elle, lorsqu’un physiologiste célèbre affirme qu’un guerrier casqué est sorti d’une jeune fille, lorsqu’un magistrat éminent prétend avoir vu se matérialiser sous ses yeux une dame « d’une merveilleuse beauté », qui lui a déclaré être simplement une fée, lorsque, dis-je, tous ces phénomènes et bien d’autres sont annoncés, nous avons le droit de rester un peu sceptiques, si grande soit l’autorité des savants qui les affirment. Ce droit est même un devoir, ces miracles étant aussi extraordinaires que ceux de la sorcellerie du Moyen Age. Il est un peu honteux d’y revenir maintenant. Pour s’y résigner, il faudrait des preuves autrement convaincantes que celles dont se contentent les adeptes modernes de la magie.

Notre enquête sur le spiritisme n’aura pas été inutile. Elle a montré la prodigieuse extension d’une religion nouvelle, à laquelle se rallient quelques éminents savants incapables de vivre sans croyances. Les dieux meurent quelquefois, mais la mentalité religieuse leur survit toujours.

§ 5. — Quels sont les observateurs les plus aptes à étudier les phénomènes spirites ?

J’arrive maintenant à un point tout à fait capital et sur lequel il me faut insister. Je veux parler de la qualité des personnes aptes à contrôler les phénomènes spirites.

Une erreur très générale consiste à s’imaginer qu’un savant, distingué dans sa spécialité, possède pour cette seule cause une aptitude spéciale à l’observation des faits étrangers à cette spécialité, notamment ceux où l’illusion et la fraude jouent un rôle prépondérant.

Vivant dans la sincérité, habitués à croire le témoignage de leurs sens complétés par la précision des instruments, les savants sont, en réalité, les hommes les plus faciles à tromper. Je trouve un exemple bien curieux de cette facilité dans la relation suivante publiée par les Annales des sciences psychiques.

« M. Davey ayant convoqué une réunion d’observateurs distingués, parmi lesquels un des premiers savants de l’Angleterre, M. Wallace, exécuta devant eux, et après leur avoir laissé examiner les objets et poser des cachets où ils voulaient, tous les phénomènes classiques des spirites : matérialisation des esprits, écriture sur des ardoises, etc. Ayant ensuite obtenu de ces observateurs distingués des rapports écrits affirmant que les phénomènes observés n’avaient pu être obtenus que par des moyens surnaturels, il leur révéla qu’ils étaient le résultat de supercheries très simples… Les méthodes inventées par M. Davey étaient si élémentaires qu’on reste étonné qu’il ait eu la hardiesse de les employer ; mais il possédait un tel pouvoir sur l’esprit de la foule qu’il pouvait lui persuader qu’elle voyait ce qu’elle ne voyait pas. »

C’est toujours l’action de la suggestion. La voir s’exercer sur des esprits supérieurs, préalablement mis en défiance pourtant, montre sa prodigieuse puissance.

Les phénomènes du spiritisme ne sauraient donc être efficacement constatés par des savants. Les seuls observateurs compétents sont les hommes habitués à créer des illusions et, par conséquent, à les déjouer, c’est-à-dire les prestidigitateurs. Il est fort regrettable que l’Institut psychologique ne l’ait pas compris. Avec leur assistance, une grande partie des 25.000 francs, inutilement gaspillés dans d’insignifiantes expériences, eût été sûrement économisée.

On sait d’ailleurs la méfiance extrême professée par les croyants à l’égard des prestidigitateurs. Ils semblent craindre la perte de leurs illusions. M. le professeur Binet avait offert à l’Institut psychologique d’amener gratuitement d’habiles prestidigitateurs. A partir de ce jour, on évita soigneusement de le convoquer, comme il me l’écrivit lui-même[14].

[14] Dans une interview, M. d’Arsonval finit par reconnaître combien aurait été utile la présence des prestidigitateurs « mais, dit-il, nous nous sommes adressés en vain à plusieurs d’entre eux, ils n’ont point voulu répondre à notre invitation. »

Je puis assurer à l’éminent physicien que sa mémoire l’a mal servi. A la déclaration précédente de M. Binet, je pourrais ajouter celle de plusieurs prestidigitateurs. Voici d’ailleurs un extrait de la lettre que j’ai reçue de l’un d’entre eux, M. Raynaly, vice-président de la chambre syndicale de la Prestidigitation.

« Permettez-moi de vous expliquer que M. d’Arsonval commet une erreur lorsqu’il dit que les prestidigitateurs ne se soucient pas d’assister aux séances de spiritisme alors que nous n’avons pas de plus ardent désir. Ce sont les spirites qui ne veulent pas de notre présence. Cela paraît assez significatif. »

On doit déplorer, je le répète, que l’Institut psychologique ait manifesté autant de mauvaise volonté à l’égard des prestidigitateurs. Quelles raisons pouvaient motiver un refus si persistant du concours des seuls observateurs aptes à déjouer les fraudes ? Comment la commission n’a-t-elle pas senti l’utilité de la collaboration d’hommes habitués à provoquer les illusions ? Les Anglais s’étaient montrés plus judicieux. Dans les mémorables séances de la Society of Psychical researches, ce fut un prestidigitateur, M. Maskeline, qui découvrit les fraudes du médium ayant servi aux expériences de l’Institut psychologique.

Les vrais croyants n’étant pas influençables par un raisonnement, discuter avec eux serait inutile. Mais à leurs côtés s’agite l’immense légion des simples curieux, des demi-convaincus. On leur a parlé de faits qui les étonnent. Ils y croient à demi, mais avec la vague conscience d’admettre des choses douteuses affirmées par des personnes n’ayant guère que leur foi pour elles.

De tels esprits souhaitent ardemment voir étudier, au moyen de méthodes certaines, des phénomènes qui pourraient peut-être ouvrir une porte sur l’inconnu. Je trouve la preuve de cet état d’esprit dans un article judicieux publié par une revue théosophiste, Les Nouveaux horizons, et dont voici un extrait :

Un événement, d’une importance primordiale dans l’histoire de l’évolution humaine, se prépare en ce moment. Il nous est annoncé par M. Gustave Le Bon.

Il ne s’agit de rien moins que de la recherche d’une méthode expérimentale spéciale, pour l’étude de la genèse des croyances ; ce qui équivaut à la reconnaissance, par l’esprit scientifique, de l’instinct indestructible de la religiosité dans la mentalité humaine, entraînant son admission, par la science, comme fait positif et comme objet de science, mais nécessitant une méthode expérimentale spéciale ; les lois de sa manifestation étant différentes de celles qui régissent les faits physiques.

Quels que soient les mobiles qui déterminent la science à prendre cette attitude nouvelle vis-à-vis du sentiment religieux et de la croyance, il n’est pas audacieux d’affirmer qu’elle marque le commencement d’une étape nouvelle dans l’histoire de l’ère de liberté.

Dès que l’étude de la genèse des croyances est admise comme objet de science et fait positif, et que la recherche d’une méthode expérimentale spéciale à l’observation des phénomènes qui s’y rapportent est commencée, il ne saurait plus être question, vis-à-vis d’eux, ni d’opinion personnelle, ni de parti pris. C’est scientifiquement, impartialement, impersonnellement et objectivement, qu’il convient de les traiter désormais. (L. Martial.)

Les méthodes d’étude des phénomènes supposés surnaturels impliquent, je viens de le montrer, des conditions particulières. Pour les avoir ignorées, quantité d’observateurs éminents furent victimes des plus lourdes erreurs.

N’ayant aucun moyen de vérifier expérimentalement les anciens miracles, il était fort intéressant d’étudier scientifiquement ceux qui nous sont offerts par une religion nouvelle. Après avoir montré avec quelle facilité ils s’évanouissent, dès qu’on les contrôle un peu soigneusement, nous allons rechercher ce qu’une expérimentation bien conduite pourrait apprendre sur certains phénomènes méritant une étude attentive.

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