Les opinions et les croyances : $b genèse; évolution
CHAPITRE II
LA FORMATION MODERNE D’UNE CROYANCE.
L’OCCULTISME.
§ 1. — Utilité d’étudier expérimentalement la formation d’une croyance.
Dès le début de cet ouvrage, nous avons montré que l’explication de la formation et de la propagation des grandes croyances qui ont guidé l’humanité pendant de longs siècles et la guident encore, est un difficile problème.
Après avoir essayé de le résoudre théoriquement par des voies diverses, nous allons tenter l’application des principes exposés à l’étude de croyances nouvelles, en prenant comme exemple une religion moderne : l’occultisme, aussi chargée de miracles que celles qui l’ont précédée. Si nous constatons que des faits invraisemblables, reconnus plus tard chimériques, furent admis d’abord sans difficultés par des savants éminents, nous aurons expérimentalement prouvé que l’intelligence ne joue aucun rôle dans la formation des croyances et qu’elles sont bien placées sous l’influence des éléments affectifs et mystiques, décrits en examinant les diverses formes de logiques.
Mon argumentation sera d’ailleurs indépendante de la valeur supposée des croyances occultistes, puisque je m’attacherai surtout aux faits reconnus plus tard illusoires par leurs adeptes mêmes et qui cependant furent admis comme exacts par plusieurs savants. On verra ainsi qu’une fois entré dans le cycle de la croyance, l’expérimentateur accepte facilement les plus invraisemblables énormités et fait preuve d’une crédulité aussi complète que celle du sauvage à l’égard des phénomènes.
Cette démonstration établie fournira des preuves sûres à l’appui des principes exposés dans cet ouvrage et éclairera expérimentalement le mécanisme de la naissance et de la propagation des croyances.
Aucune d’elles ne surgissant de toutes pièces, comme nous l’avons montré, il est nécessaire de rechercher d’abord les croyances antérieures d’où l’occultisme moderne dérive.
§ 2. — La magie dans l’Antiquité et au Moyen Age.
L’homme a toujours eu soif de connaître sa destinée et d’obtenir l’assistance des puissances surnaturelles dont il se croyait entouré. De ces besoins sont nées les formes diverses de la magie.
Cet art se pratiqua chez tous les peuples, à tous les âges de leur histoire. La nécromancie, l’astrologie, la divination, qui en sont des branches, furent d’un usage constant dans l’antiquité.
La divination, par moyens divers, et notamment par les oracles qu’interprétaient des personnages très analogues aux médiums modernes, représente la forme la plus générale de l’ancienne magie.
La confiance dans les indications ainsi obtenues était universelle. A Rome, la magie constituait une religion d’État, dont les prêtres, chargés de commenter les phénomènes surnaturels, se nommaient augures. Leur rôle était considérable ; les généraux les consultaient avant de livrer bataille et leurs avis faisaient quelquefois annuler des lois.
Le collège des augures ne fut supprimé qu’au IVe siècle de notre ère par l’empereur Théodose, devant l’influence croissante du christianisme.
La foi des Anciens dans les prédictions attribuées à des êtres supérieurs, analogues aux esprits des spirites modernes, était générale. Certains oracles, celui de Delphes par exemple, jouissaient d’une autorité telle qu’on venait les consulter de tous les points du monde antique.
Les oracles se turent, et la magie païenne disparut avec le triomphe du christianisme. Elle devait renaître au Moyen Age sous le nom de sorcellerie. On sait son rôle et sa puissance. Brûlés par milliers, les sorciers reparaissaient toujours. Cette force rivale de l’Église fut domptée par le temps bien plus que par les supplices.
La sorcellerie se pratiquait toujours avec l’assistance du diable. Si des témoignages innombrables, des affirmations obstinément répétées, au prix même de la vie, suffisaient à établir l’existence d’un fait, rien ne serait plus incontestablement prouvé que l’existence du sabbat. Incalculable, en effet, est le nombre d’individus ayant confessé s’y être rendus à travers les airs, à cheval sur un balai, et y avoir eu des relations sexuelles avec les démons.
Les faits de sorcellerie dont le Moyen Age fut imprégné figurent certainement parmi les phénomènes les plus curieux et jadis les moins expliqués de la psychologie.
Le rôle de la suggestion et de la contagion mentale s’y manifeste sur une grande échelle. Les témoignages recueillis au cours des procès de sorcellerie dans divers pays sont concordants, les descriptions de Satan identiques, la façon de se rendre au sabbat la même partout.
Aucun intérêt personnel ne semble avoir influencé l’âme de ces hallucinés. Le diable leur donnait vraiment bien peu en échange de leur salut éternel et convaincus de sorcellerie, ils se savaient voués aux plus terribles supplices.
Rarement, d’ailleurs, on avait besoin de recourir aux tortures pour obtenir l’aveu de leurs prétendus crimes. Les inculpés décrivaient avec complaisance les scènes de sabbat. Le diable les y attendait sous des formes variées : crapaud, chat, chien noir, bouc, etc. Il offrait à ses fidèles des repas généralement composés de débris de cadavres et des distractions assez peu nombreuses. En dehors de danses et de relations sexuelles avec de vilains démons ou de vieilles sorcières, les plus fréquentes occupations consistaient à fouetter vigoureusement de gros crapauds pour leur faire sécréter une humeur verdâtre et gluante destinée à fabriquer les onguents et poudres magiques.
La sorcellerie persista des siècles et durant cette longue période aucun doute ne s’éleva dans l’esprit des magistrats sur l’existence des cérémonies diaboliques qu’on leur racontait. Pas un ne se demanda, quel motif entraînait tant de personnes à vendre leur âme au diable, pour des plaisirs aussi médiocres que celui d’aller manger des cadavres la nuit sur une lande déserte. Comment le doute eût-il pu d’ailleurs naître, les coupables avouant leur crime ? Aussi étaient-ils brûlés sans remords. Dans le seul duché de Lorraine, 400 sorciers périrent par le feu en vingt ans.
Il ne faudrait pas attribuer à toutes ces victimes de la sorcellerie, et de croyances analogues, une mentalité très distante de celle des hommes d’aujourd’hui. La crédulité moderne est aussi grande, elle a seulement changé de nature. Sorciers du Moyen Age, sorciers politiques modernes, prometteurs de chimères, évocateurs d’esprits matérialisés, tireuses de cartes, somnambules lucides et devins de toutes sortes appartiennent à la famille innombrable d’esprits confinés dans le cycle de la croyance sans avoir jamais pu en sortir. Dans ce monde décevant l’impossible n’existe pas, les hallucinations qui s’y engendrent ont la réalité apparente des rêves fantastiques, dont nos nuits sont parfois hantées.
De ce domaine redoutable où elle fut enfermée si longtemps, l’humanité a fini par se dégager un peu, mais cette libération est si récente et si incomplète qu’un atavisme très lourd l’y rejette sans cesse.
Lorsqu’après de grands efforts on a réussi à s’évader du champ de la croyance, il faut se souvenir qu’on ne s’en rapproche jamais sans subir sa dangereuse attraction.
De nombreux savants en firent l’expérience. Armés de leurs instruments et de leurs méthodes, ils crurent pouvoir échapper aux influences capables d’halluciner simplement, d’après eux, des esprits bornés. Ils furent, en réalité, aussi facilement trompés que les plus humbles croyants. Toute leur instrumentation scientifique servit seulement à donner à certaines illusions, dont les fidèles eux-mêmes n’étaient pas toujours très sûrs, une apparence de certitude qu’elles n’auraient jamais acquise autrement.
§ 3. — La magie dans les temps modernes et les phénomènes de matérialisation.
Devant les progrès des idées scientifiques, la croyance dans la magie semblait ruinée. Les sorciers, dépouillés de prestige, ne trouvaient plus crédit qu’au fond de quelques obscurs villages.
Mais l’amour du mystère, les besoins religieux qu’une foi trop ancienne alimentait mal, l’espoir de survivre au tombeau, sont des sentiments si vivaces qu’ils ne sauraient mourir. La magie antique devait, une fois encore, reparaître en changeant de nom sans se modifier beaucoup. Elle s’appelle aujourd’hui occultisme et spiritisme, les augures se nomment médiums, les dieux inspirateurs d’oracles s’intitulent esprits, les évocations des morts sont devenues les matérialisations.
Longtemps, la nouvelle croyance demeura dédaignée des savants ; mais, depuis une vingtaine d’années, nous assistons à ce phénomène très imprévu : des professeurs éminents devenant défenseurs convaincus de toutes les formes de la magie. C’est ainsi qu’on entend des anthropologistes réputés, comme Lombroso, assurer qu’ils ont évoqué les ombres des morts et causé avec elles, d’illustres chimistes tels que Crookes, affirmer avoir vécu des mois avec un esprit se matérialisant et se dématérialisant chaque jour, des professeurs de physiologie célèbres comme Richet prétendre avoir aperçu un guerrier casqué naître spontanément du corps d’une jeune fille, des physiciens distingués comme d’Arsonval raconter qu’un médium a pu faire varier considérablement à volonté le poids d’un objet. Nous voyons enfin d’illustres philosophes comme M. Boutroux disserter dans de brillantes conférences sur les esprits, les communications surnaturelles et assurer que « la porte subliminale est l’ouverture par où le divin peut entrer dans l’âme humaine ».
Il est vrai que d’autres savants, tout aussi illustres, rejettent ces observations, dues suivant eux à des hallucinations et s’indignent contre ce qu’ils appellent un retour aux formes les plus basses de la sorcellerie et de la superstition.
Devant d’aussi contradictoires affirmations, le public instruit reste perplexe, se demandant s’il est vraiment possible que des observateurs habiles puissent se tromper aussi lourdement, et pourquoi des faits prétendus certains par divers observateurs n’ont jamais été vus par d’autres opérant avec les mêmes sujets et dans des conditions d’apparence identiques.
On ne saurait le comprendre, en effet, qu’après avoir approfondi le mécanisme de la formation des croyances ainsi que le rôle de la suggestion collective et de la contagion. Il faut enfin savoir que l’illusion devient, dans certaines circonstances déterminées, assez intense pour se confondre avec la réalité.
Afin de montrer la crédulité sans bornes de certains savants éminents, dès qu’ils pénètrent dans le champ de la croyance, je vais choisir le phénomène occultiste le plus étudié par eux, celui dit des matérialisations. Nous verrons des physiologistes réputés admettre sans hésiter qu’un être vivant peut se constituer instantanément avec ses os, ses vaisseaux, ses nerfs, en un mot tous ses organes.
Définissons tout d’abord, d’après les spirites, en quoi consiste une matérialisation :
« Le mot matérialisation, écrit le Dr Maxwell, signifie qu’un esprit, celui d’un mort ou même celui d’une personne vivante, peut soustraire à l’organisme du médium du « fluide », c’est-à-dire une substance impondérable susceptible cependant de se condenser et de devenir matière. Cette substance s’agrège en matière et s’ordonne en formes variées suivant la volonté de l’intelligence qui la manipule. Ordinairement, c’est un corps analogue à un corps vivant que cette intelligence se fabrique ; il rappelle la forme qu’avait de son vivant le défunt s’il s’agit d’un mort. De tels corps sont dits matérialisés. »
Pour les occultistes, tous les organes sont entourés d’une sorte d’enveloppe formée de cette substance subtile. En dehors de notre corps matériel, nous posséderions, en double, un « corps astral » parfois séparable du premier après la mort. Il pourrait se matérialiser en empruntant des éléments matériels à un corps vivant, par exemple celui du médium.
Naturellement, les explications des spirites sur un tel sujet restent assez confuses et varient avec l’imagination de chaque auteur. Il faut uniquement en retenir que du corps d’un être vivant pourrait instantanément surgir un autre être, possédant les mêmes organes et non leur simple aspect.
La fameuse Katy King de Williams Crookes avait en effet un cœur très régulier, et les poumons du fantôme casqué, matérialisé devant le professeur Richet, sécrétaient de l’acide carbonique comme ceux d’un être ordinaire, ainsi qu’on put le constater en lui faisant insuffler de l’air au moyen d’un tube dans de l’eau de baryte. Si ces illustres savants, et ceux dont nous parlerons plus loin, n’ont pas été victimes de fraudes — en vérité énormes — ils peuvent se vanter d’avoir assisté à des miracles analogues à celui du Dieu de la Genèse faisant sortir Ève du corps d’Adam.
Après la démonstration de pareils prodiges, on serait mal fondé à nier ceux de la Bible. Malheureusement, chaque fois qu’ils ont pu être examinés d’un peu près, ces fantômes révélèrent la présence de fraudes tellement grossières que nous aurions certainement passé ce sujet sous silence, si de très éminents esprits n’en avaient été dupes.
Les illusions des savants cités plus haut ou de ceux qui, comme Lombroso, assurent avoir évoqué des morts et causé avec eux, trouvent invariablement leur source dans la suggestion et les fraudes.
On peut juger de l’influence de ces dernières — toujours accomplies dans l’obscurité — par le cas récent du célèbre Miller, qui faisait apparaître successivement plusieurs fantômes causant avec les assistants et se laissant toucher par eux. Trop confiant dans la crédulité, pourtant immense, des assistants, il finit par négliger certaines précautions et on le surprit en pleine fraude. Les journaux spirites qui l’avaient le plus ardemment soutenu furent obligés de confesser leur erreur.
Aussi typique est le cas d’Anna Rothe, qui fit courir tout Berlin, jusqu’au jour où des policiers habiles, ayant découvert ses tours, la traduisirent devant un tribunal, où elle fut condamnée à dix-huit mois de prison.
Son histoire a été longuement racontée par le Dr Maxwell, à qui j’emprunte les détails suivants. Ce médium donnait des séances publiques, pendant lesquelles elle matérialisait les fleurs dans l’espace.
« Ces phénomènes étranges se passaient d’ailleurs dans les endroits les plus divers et en dehors des séances. Dans un café elle matérialisa un morceau de gâteau ; dans les dîners, auxquels elle assistait, des fleurs tombaient à côté d’elle, naissaient dans ses mains, poussaient subitement sur les épaules de ses voisins.
« Les choses allèrent ainsi pendant des mois, puis des années. Le nombre de gens que convertissait Mme Rothe s’augmentait, le spiritisme faisait des progrès qui inquiétèrent la cour et qui excitèrent certaines polémiques… Un soir, sur l’ordre du Préfet de police, plusieurs agents se précipitèrent sur le médium pendant une séance et constatèrent que les fleurs supposées provenir d’une matérialisation étaient simplement des fleurs naturelles cachées sous la robe du médium. »
Au cours des nombreuses séances données à l’Institut psychologique de Paris, le médium Eusapia se sentant surveillé, ne tenta que très peu de matérialisations. Elle réussit une fois, cependant, à dégager ses mains de celles des contrôleurs et entoura la tête d’un assistant d’un bras supposé celui d’un fantôme, mais dont on reconnut vite l’origine.
A Naples, se sachant moins observée, et opérant devant une assistance très confiante, le même médium réalisa d’inconcevables prodiges.
Les phénomènes que je vais citer, se passaient en présence du professeur Bottazi, un des savants les plus éminents de l’Italie, assisté d’observateurs distingués. Le rapport officiel que nous allons résumer fut publié in extenso par les Annales des sciences psychiques (août, septembre et octobre 1907).
M. Bottazi et ses assistants sont persuadés que du corps d’Eusapia peuvent sortir un bras et une main invisibles lui permettant de soulever une table de 22 kilos et de déplacer une foule d’objets. Le savant physiologiste admet donc, on le voit, la formation instantanée de membres invisibles capables d’agir comme des membres ordinaires.
Outre ces bras et ces mains invisibles, M. Bottazi et ses assistants assurent avoir vu surgir du corps du médium de très visibles matérialisations, notamment une tête. « Tout le monde, dit-il, vit l’apparition, j’en éprouvai un frémissement dans tout mon corps. Apparurent aussi des doigts et des mains. »
Toutes ces mains visibles ou invisibles auraient effleuré les assistants et déplacé les touches des appareils enregistreurs. Elles apportèrent, sur la table, plusieurs objets voisins du médium, entre autres une mandoline. Grâce à ses doigts invisibles, Eusapia put jouer de l’instrument placé à 60 centimètres d’elle, tracer une empreinte dans la terre glaise, tourner le bouton d’une lampe électrique, etc. Eusapia, ajoute l’auteur, « explore et palpe tout ce qui se trouve dans le cabinet avec ses mains médianiques ».
Dans la même séance, l’auteur contempla « deux apparitions de visages humains de couleur naturelle, très pâles, presque diaphanes ».
D’autres savants italiens connus, le Dr Venzano, le professeur Morselli, etc., annoncent avoir observé avec le même médium des phénomènes analogues, notamment « une figure de femme tenant entre ses bras un petit enfant avec des cheveux très courts. Le regard de la femme était tourné en haut avec une attitude d’amour pour l’enfant ». Le médium interrogé déclara que la « forme de la femme était la mère de Mlle Avellino, l’enfant qu’elle tenait dans ses bras était son petit-fils ». Pendant cette matérialisation, la salle était éclairée par une lumière de gaz très intense[12]. Ce dernier détail montre que la lumière n’empêche pas l’apparition des fantômes, comme le prétendent les spirites. Il suffit que les assistants possèdent une foi assez forte. Je crois, cependant, avec les médiums, l’obscurité beaucoup plus favorable au développement de la croyance.
[12] Annales des sciences psychiques, août 1907.
M. le professeur Morselli, dans un très volumineux mémoire sur les phénomènes médiumniques[13], transformé ensuite en gros livre, assure avoir constaté l’exactitude de tous les phénomènes précédents et de quelques autres encore. Il nous parle, notamment, du froid intense émis quelquefois par le médium. « Est-ce peut-être, dit-il, un symbole du froid des tombeaux qui s’ouvrent pour laisser passer les défunts ? » Il a assisté à la « matérialisation d’une désincarnée qui lui était très chère », etc.
[13] Annales des sciences psychiques, avril et mai 1907.
Dans une interview publiée par le Matin, le savant professeur Lombroso affirme avoir vu, lui aussi, se matérialiser sa mère défunte et causé avec elle.
J’ai déjà fait remarquer plus haut que dans les expériences accomplies avec le médium Eusapia, les résultats varièrent suivant les pays et les observateurs. En Italie, on vient de le voir, ils ont été merveilleux, et jamais les magiciens des légendes n’accomplirent de plus grands miracles. En Angleterre, ils furent nuls, puisque la Commission nommée pour l’examen de ces phénomènes conclut à la fraude. En France, le succès oscilla suivant les milieux et la mentalité des assistants. Considérable dans les milieux mondains, très faible, au contraire, dans les milieux savants.
Au cours d’une interview publiée par divers journaux, M. d’Arsonval déclara considérer tous les phénomènes de matérialisation comme « des fraudes ou des acrobaties », et l’Institut psychologique, après de nombreuses séances, n’en put observer aucun où la fraude ne jouât quelque rôle.
A cette même conclusion est arrivé M. Dastre, membre de l’Académie des Sciences et professeur de physiologie à la Sorbonne. Nous examinâmes ensemble le médium ayant servi aux expériences de l’Institut Psychologique. Les séances eurent lieu dans mon domicile. Nous vîmes, à diverses reprises, presque en plein jour, une main apparaître au-dessus de la tête du médium, mais en faisant surveiller ses épaules par mon préparateur, dont un éclairage latéral, qu’elle ne pouvait soupçonner, permettait de suivre tous les mouvements, nous acquîmes vite la preuve que ces mains matérialisées étaient simplement les mains naturelles du médium, libérées du contrôle des observateurs. Dès qu’Eusapia se devina suspectée, les apparitions de mains cessèrent complètement et ne recommencèrent que lorsque, cédant au désir de quelques amis crédules, je consentis à les faire assister à une séance et, gêné par leur nombre, cessai ma surveillance.
Les conclusions de ce chapitre s’imposent trop facilement pour avoir besoin d’être développées. Tâche, d’ailleurs, bien inutile. Les convaincus resteront convaincus et les sceptiques resteront sceptiques. Dans le domaine de la foi, la raison n’intervient pas.
§ 4. — Raisons psychologiques de la formation des croyances occultistes.
On voit le rôle de la suggestion et de la contagion mentale dans les phénomènes merveilleux se rattachant à la magie et leur influence sur les esprits les plus éminents.
Mais cette interprétation ne saurait suffire. Pour saisir la genèse de pratiques qui persistèrent chez tant de peuples à travers les âges et subsistent encore, il faut s’élever à une conception plus générale et ne pas tenter d’expliquer avec la raison ce qui ne dépend guère d’elle.
La magie, sous toutes ses formes, doit être considérée comme une manifestation de cet esprit mystique inséparable de notre nature et dont nous avons montré la force.
Fondateurs de religions, sorciers, mages, devins, propagateurs de tant d’illusions qui ont charmé ou terrorisé nos pères et reparaissent toujours, sont les prêtres d’une puissante déesse dominant toutes les autres et dont le culte semble éternel.
Considérons par la pensée, à travers le temps et l’espace, les milliers d’édifices sacrés dressés depuis 8.000 ans au-dessus des grandes cités et tâchons de discerner quelles forces mystérieuses conduisirent à édifier sans trêve ces temples, ces pagodes, ces mosquées, ces cathédrales, où les merveilles de l’art furent entassées.
On le découvre en recherchant ce que demandaient les hommes aux dieux, d’aspects si variés, qu’ils y invoquaient. Un sentiment identique les anima visiblement toujours. Les peuples de toutes les races adorèrent, sous des noms divers, une seule divinité : l’Espérance. Tous leurs Dieux n’étaient donc qu’un seul Dieu.