Les opinions et les croyances : $b genèse; évolution
CHAPITRE IV
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE QUELQUES-UNS DES
PHÉNOMÈNES INCONSCIENTS
GÉNÉRATEURS DE CROYANCES.
§ 1. — Expériences à effectuer pour l’étude de la formation des opinions et des croyances.
Les chapitres précédents ont dévoilé le rôle, dans la formation des croyances, des suggestions, de la contagion mentale et de divers facteurs du même ordre, étrangers à l’intelligence. L’adoption de croyances chimériques par beaucoup de savants modernes éclaire la genèse des grandes religions qui se sont succédé dans l’histoire.
Mais si les méthodes expérimentales, que nous avons indiquées, conduisaient seulement aux constatations négatives précédemment formulées, leur utilité serait minime. Nous allons montrer maintenant que du monceau d’erreurs entassées par les sectateurs modernes de la magie, des méthodes sûres permettent d’extraire puis de compléter certains renseignements aptes à jeter quelques lueurs sur cette obscure région de l’inconscient où s’élaborent nos croyances.
Le sujet étant très neuf encore, nous devrons nous borner à de brèves indications. Elles auront pour but principal de jalonner la route à suivre.
§ 2. — Les actions physiologiques et curatives de la foi.
Parmi les sujets d’étude expérimentale relatifs à l’influence des croyances, je signalerai d’abord l’influence des reliques, des pèlerinages, des eaux miraculeuses, etc. Leur efficacité, admise par les croyants de toutes les religions, semble attestée par les milliers d’ex-voto suspendus depuis la plus haute antiquité sur les murs des temples de tous les Dieux.
Il est à peu près démontré aujourd’hui, que les pélerinages amenant des milliers de croyants aussi bien à La Mecque qu’à Lourdes, ou sur les rives du Gange, ne leur furent pas toujours inutiles. Les forces mystérieuses de l’inconscient, mises en jeu par une foi ardente, se révélèrent souvent plus puissantes que les moyens dont la thérapeutique dispose.
Je crois du plus haut intérêt, et pouvant ouvrir des horizons imprévus à la physiologie, de mettre nettement en évidence les limites des influences que la suggestion produite par les prières, les reliques, les amulettes, etc., arrive à déterminer dans l’organisme.
Longtemps encore, sans doute, cette étude capitale ne pourra être sérieusement tentée. Les guérisons, qualifiées de miraculeuses, ne furent examinées jusqu’ici que par des sceptiques endurcis ou d’aveugles croyants. Or ces deux formes de mentalités paralysent au même degré la faculté d’observer. Et comme le sceptique en ces matières devient facilement un croyant, parfois inconscient, on voit qu’il n’est pas facile d’arriver à des précisions bien nettes.
Tous ces phénomènes jadis niés ou affirmés sans aucune preuve expérimentale restaient confinés dans le champ de la croyance et on refusait d’en tenir compte. Rien ne semblait plus absurde que les promesses de ces thaumaturges prôneurs d’eaux miraculeuses, de poudres magiques, de reliques, de bagues enchantées, etc.
Cependant les études modernes sur l’auto-suggestion nous ont prouvé que les assertions de tous ces rêveurs n’étaient pas vaines. Elles ont souvent guéri, fortifié, encouragé, consolé. Les précisions scientifiques n’eurent pas toujours l’utilité de certaines erreurs.
Existe-t-il dans l’organisme des forces inconnues mises en jeu par l’imagination ? Il n’est pas encore possible de l’affirmer. On pourrait peut-être faire l’hypothèse suivante : puisqu’une idée, c’est-à-dire une représentation mentale, résulte d’un certain état physiologique, la fixation prolongée d’une idée parvient peut-être à déterminer inversement l’état physiologique qui lui correspond. Pour obtenir une guérison, il suffirait alors de créer certaines représentations mentales très fortes.
Ce fait avait d’ailleurs été pressenti depuis longtemps. Dans son traité De incantationibus publié en 1525, le philosophe italien Pompanazzi remarquait déjà que des os d’animaux quelconques, vendus pour reliques de saints célèbres, guérissaient aussi bien que de vraies reliques.
§ 3. — Les illusions créées par les suggestions individuelles et collectives.
On ne saurait compléter par trop d’expériences sur ce sujet, celles qui s’effectuent spontanément. La puissance de la suggestion est telle, nous l’avons vu, que des physiciens éminents crurent pendant deux ans à l’existence de rayons particuliers devenus subitement invisibles pour eux, dès qu’ils apprirent quelles illusions les avaient abusés.
La suggestion fait accepter les phénomènes les plus invraisemblables, tels que les matérialisations instantanées d’êtres vivants. L’illustre chimiste Crookes crut ainsi à l’existence d’un fantôme émané du médium, la fameuse Katy King, et qui n’était que le médium lui-même. Cette dernière fut plus tard prise en flagrant délit de fraude quand elle voulut répéter à Berlin les phénomènes qui avaient illusionné le célèbre savant anglais[15].
[15] « J’ai constaté à Londres, à n’avoir plus la moindre espèce de doute, écrit M. Jules Bois, les trucs puérils et grossiers de la fameuse Florence Cook qui dupa si magnifiquement William Crookes. » (Journal de l’Université des Annales, 5 septembre 1909.)
Certains individus ne posséderaient-ils pas une puissance de suggestion particulière leur permettant d’exercer une grande action sur ceux qui les entourent ? Quelques faits semblent le démontrer. Ainsi s’expliqueraient les phénomènes de lévitation exécutés en public, attribués aux Fakirs de l’Inde, et que du reste je n’ai jamais eu occasion d’observer dans mes voyages.
Cette hypothèse mettrait également en lumière le rôle de certains médiums et la différence des effets qu’ils produisent, suivant le degré de suggestibilité des assistants.
Dans les expériences spirites, l’influence de la suggestion est tout à fait prédominante. Leurs auteurs le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes.
« Les expérimentateurs, écrit Maxwell, se suggestionnent véritablement les uns les autres et finissent par avoir de curieuses hallucinations collectives… Il m’est arrivé d’entendre un assistant indiquer qu’il voit une lueur dans une direction déterminée. Les autres regardent à leur tour et voient. Puis l’un d’eux déclare qu’il aperçoit une forme ; bientôt, d’autres personnes voient également une forme. Et d’exclamations en exclamations, la description de la forme se complète. On assiste à la genèse d’une hallucination collective… Mon expérience personnelle m’a démontré que le sens de la vue était le plus sujet à ces impressions imaginaires. »
La puissance de ces suggestions est quelquefois prodigieuse. Les sorciers du Moyen Age étaient si complètement hallucinés par elles qu’ils acceptaient le bûcher comme expiation de leurs fautes imaginaires. La mentalité des observateurs modernes, y compris les plus savants, apparaît sur ce point tout à fait identique à celle des sorciers. Sauf des exceptions bien rares, ils ne reconnaissent nullement avoir été illusionnés et en seraient d’ailleurs incapables. On ne sort pas facilement du cycle de la croyance. Les suggestions s’y enchaînent et finissent par envahir tout le champ de l’entendement.
Le professeur Grasset a fort bien décrit cet état d’esprit dans le passage suivant :
« Un fait curieux à signaler, c’est l’entraînement que subissent les expérimentateurs, quand une fois ils sont entrés dans ce genre d’études, et l’évolution que subit leur mentalité.
… Lombroso, qui commence son mémoire sur des expériences très précises et limitées avec le cardiographe, parle ensuite, dans le même travail, des fantômes et apparitions de défunts, des autolévitations comme celle de Home, qui tourne horizontalement autour de toutes les fenêtres d’un palais et celle des deux petits frères de Ruvo qui parcourent 45 kilomètres en 15 minutes, des êtres ou des « restes d’êtres » qui pour prendre une complète consistance, doivent pour s’incarner emprunter momentanément une partie de la substance du médium, qui est, en ce moment, assoupi, presque agonisant.
… Le contact des phénomènes de l’occultisme fait oublier aux meilleurs les règles élémentaires de la méthode scientifique. »
Cette réceptivité mentale particulière varie suivant les individus et les races. Le même médium observé en Angleterre, en France et en Italie donne des résultats très différents. Nuls souvent en Angleterre, médiocres en France, tout à fait merveilleux en Italie.
La lecture du rapport de l’Institut psychologique de Paris sur le médium Eusapia montre d’une façon frappante, par l’exemple qui va suivre, l’action suggestive remarquable de certains médiums sur les assistants, y compris les plus savants.
Eusapia, dit le rapport, prie M. d’Arsonval d’essayer de soulever le guéridon, ce qu’il fait aisément, puis elle lui interdit de le soulever. M. d’Arsonval n’y peut parvenir. « On le croirait cloué au parquet. » Eusapia pose de nouveau son coude sur le guéridon et M. d’Arsonval le soulève alors sans difficulté. Quelques instants après, Eusapia dit au guéridon : « Sois léger » et M. d’Arsonval le soulève plus facilement encore.
Cette expérience, que réussissent facilement dans les foires les magnétiseurs professionnels, en choisissant leurs sujets parmi les névropathes de l’assistance, démontre simplement le pouvoir suggestionnant de certains médiums.
Je me suis demandé cependant comment le savant académicien, admettant qu’un individu possède la puissance miraculeuse de faire varier le poids des corps dans d’immenses proportions, n’a pas eu l’idée de vérifier ce phénomène au moyen d’une balance. Les expérimentateurs de l’Institut psychologique tentèrent bien une fois cet essai, mais dans des conditions telles qu’ils furent obligés eux-mêmes d’en reconnaître les résultats peu probants. Quand on tient un pareil phénomène, ce n’est pas une fois, mais mille qu’on doit le répéter.
Il est infiniment probable que M. d’Arsonval, s’imaginant, sous l’influence de la volonté d’Eusapia, constater les variations de poids d’un corps, a été aussi fortement illusionné que jadis par les rayons N, qui lui inspirèrent une enthousiaste conférence, certifiant la réalité de tous les phénomènes annoncés. La facilité avec laquelle il fut alors suggestionné, ainsi que tous les physiciens français, est une des preuves les plus frappantes qu’on puisse donner du rôle de la suggestion dans la genèse des croyances.
§ 4. — Transformation des âmes individuelles en une âme collective.
L’étude de la formation d’une âme collective, durable ou momentanée, est un des sujets obscurs de la psychologie, un de ceux sur lesquels il faut se contenter d’observer.
Nous pouvons dire seulement avec certitude que les foules mettent en commun leurs sentiments et non leur intelligence. La propriété contagieuse des sentiments nous explique pourquoi des hommes réunis prennent aussitôt les caractères d’une foule. Il s’y forme immédiatement une âme collective, un meneur et des menés.
Cette contagion a-t-elle un substratum physique, tel que serait, par exemple, une sorte de rayonnement d’une nature spéciale ? Impossible de le dire.
Il est difficile de découvrir la voie expérimentale conduisant à la solution d’un pareil problème. A peine possédons-nous quelques indices. Parmi eux, peut-être, devons-nous placer l’étude du phénomène des tables dites tournantes.
On a prouvé depuis longtemps que les mouvements de ces tables étaient dus aux impulsions inconscientes des opérateurs. Mais pourquoi la table tourne-t-elle toujours dans un sens déterminé, sans être entravée par des impulsions pouvant être différentes ? Pourquoi, en frappant des coups correspondant à certaines lettres de l’alphabet, la table, placée sous les mains des divers individus qui l’entourent, s’arrête-t-elle au moment nécessaire, comme obéissant à une volonté unique ?
C’est que précisément elle obéit à une seule volonté : celle d’un meneur imposée inconsciemment aux autres opérateurs. Sous son influence, les âmes individuelles se sont momentanément agrégées pour former une âme collective liée à la sienne.
Divers observateurs sont arrivés déjà à une conclusion analogue. Voici par exemple ce qu’écrit l’un d’eux dans les Annales des sciences psychiques[16].
[16] 16 décembre 1909.
« La force motrice du guéridon est totalement étrangère à toute intervention surnaturelle. Par la formation de la chaîne des mains des expérimentateurs ils dégagent une force qui fait exécuter au guéridon les mouvements dictés par la volonté de l’un d’eux, à l’insu de tous, par une sorte d’hypnotisme collectif, substituant à la volonté consciente de chacun, une volonté collective presque inconsciente, chacun restant en pleine possession de ses facultés intellectuelles pour tout ce qui est étranger à l’expérience. »
Inutile d’insister sur cette ébauche d’explication. Le phénomène constitué par la naissance, l’évolution et la dissolution d’une âme collective est une des énigmes de la psychologie. Elle peut assurer seulement que cette âme collective exerça toujours un rôle essentiel dans la vie des peuples.
§ 5. — Les communications de pensées.
La grande difficulté de la généralité des problèmes relatifs à la croyance, énumérés dans ce chapitre, apparaît quand on constate que les plus simples restent obscurs encore. Le phénomène de la communication de pensées est justement dans ce cas. En raison de son grand intérêt il mériterait cependant des expériences précises.
Plusieurs faits, à vérifier d’ailleurs, semblent indiquer la possibilité d’une telle transmission. Les deux cerveaux en relation seraient alors comparables à deux diapasons vibrant à l’unisson, assimilation grossière assurément, mais destinée à rendre un peu intelligible un phénomène qui ne l’est guère.
Ce sont surtout les expériences sur les somnambules et les médiums qui semblent indiquer le mieux la possibilité des transmissions de pensée. Plusieurs observateurs croient avoir constaté que les médiums connaissent la pensée de ceux qui les interrogent et ne donnent que les renseignements qu’ils y peuvent lire.
Même remarque pour les tables tournantes. Voici à ce sujet une observation intéressante faisant partie de l’article cité plus haut :
« Les réponses du guéridon étaient toujours très exactes quand elles étaient connues d’avance de l’un de ceux qui participaient à la chaîne des mains ; ces réponses étaient toujours confuses ou absurdes quand on demandait au guéridon des choses inconnues de tout le monde.
Toutes les fois que le choix du directeur des expériences tomba sur moi, je constatai à chaque question que la réponse qu’allait faire la table me venait en pensée avant que la table ne répondît, et que toutes les fois que je ne pressentais pas ainsi cette réponse d’une façon précise, la table ne répondait pas ou répondait inintelligiblement.
Je n’ai observé aucun cas où la réponse obtenue de façon sensée ait été certainement inconnue de tous les expérimentateurs sans exception ; je n’ai, au contraire, observé que des cas de réponses sues, supposées, pressenties d’avance, avant d’être formulées par la table, par l’un des expérimentateurs, le plus souvent par le directeur de l’expérience, parfois aussi par un autre ne paraissant y jouer qu’un rôle effacé. »
§ 6. — La désagrégation des personnalités.
J’ai déjà parlé de ce phénomène dans une autre partie de cet ouvrage et n’y reviens ici que pour attirer l’attention sur l’utilité de nouvelles expériences.
Suivant mon hypothèse le moi se composerait de résidus de personnalités ancestrales plus ou moins solidement agrégées. Sous des influences diverses, somnambulisme, trances des médiums, excitations violentes des périodes révolutionnaires, etc., ces éléments se désagrégeraient, puis formeraient des combinaisons nouvelles, constituant une individualité momentanée. Cette individualité se manifeste par des idées, un langage et une conduite différents de ceux du sujet d’où elle dérive. J’ai appliqué, je le rappelle, cette théorie à l’interprétation des actes commis par certains hommes de la Révolution, que rien dans leur passé ne faisait pressentir, et qu’eux-mêmes ne comprirent plus, la tourmente finie.
§ 7. — Dissociation expérimentale des éléments rationnels et affectifs de nos opinions et de nos jugements.
Dans les éléments formateurs de nos jugements figurent des influences inconscientes mystiques ou affectives. Il est possible quelquefois, mais généralement peu facile, de les dissocier par la simple observation.
Arrive-t-on à les dissocier expérimentalement ?
J’ai constaté plusieurs fois qu’on peut y parvenir, malheureusement, les sujets qui se présentent habituellement pour ces expériences n’offrent pas une mentalité très développée.
C’est en utilisant, soit les procédés classiques de l’hypnotisme, soit certaines substances chimiques, comme je l’ai expliqué dans un autre travail, que se dissocient les éléments conscients et inconscients de nos opinions et de notre conduite.
Je vais par un exemple fort simple, choisi dans mes cahiers d’expériences, montrer comment s’opère cette désagrégation et comment la raison nous sert à justifier nos impulsions inconscientes.
Cette expérience, type de beaucoup d’autres, fut faite sur une femme du monde très distinguée que je connaissais à peine. L’ayant légèrement hypnotisée, je lui suggérai de me donner rendez-vous place Vendôme à cinq heures du matin, en plein hiver, et de joindre à sa lettre un timbre pour l’affranchissement de la réponse.
Dominée par ces suggestions un peu absurdes mais non pas entièrement, la dame trouva des raisons, à la rigueur acceptables, pour justifier la lettre qu’elle m’écrivit sous une influence inconsciente. Elle désirait, expliquait sa missive, me demander plusieurs renseignements et, eu égard aux habitudes matinales que je devais avoir, m’attendrait place Vendôme, à l’heure indiquée. Supposant une distraction de ma part et l’oubli possible de son adresse, elle m’envoyait une enveloppe timbrée toute prête à jeter à la poste.
L’expérience est loin d’être aussi puérile qu’elle le semble tout d’abord. Nous trouvons toujours des explications d’un ordre analogue, et souvent même inférieur, pour justifier au moyen de la logique rationnelle les impulsions, dictées par les logiques sentimentale ou mystique.
§ 8. — La force psychique et la volonté rayonnante.
Tous les occultistes ne reconnaissent pas l’existence des esprits, mais tous admettent la réalité d’une force particulière habituellement désignée par eux sous le nom de force psychique.
« Je crois pouvoir dire, écrit le Dr Maxwell, à propos des séances de spiritisme, qu’une force quelconque est dégagée par les assistants ; qu’elle paraît être élaborée par le médium ; que celui-ci refait ses pertes aux dépens des expérimentateurs ; que certaines personnes fournissent plus aisément que les autres au médium la force dont il a besoin ; enfin, qu’une certaine communion d’idées, de vues, de sentiments entre les expérimentateurs favorise l’émission de cette force. »
Les spirites assurent que la force psychique peut rester éloignée du médium, formant à quelque distance de lui, une sorte de gaine sensible aux attouchements et aux pincements. Ils appellent ce phénomène l’extériorisation de la sensibilité. Les objets ayant touché les sujets dans un pareil état entraîneraient avec eux cette sensibilité et en piquant ces objets emportés à distance, les médiums ressentiraient la même douleur que si on piquait leur corps. Opération qui rappelle tout à fait l’envoûtement du Moyen Age.
Les spirites n’ont jamais fourni d’autres preuves de cette prétendue extériorisation que leurs assertions. Elle paraît être le résultat de simples suggestions. Les magnétiseurs en établissent eux-mêmes, d’ailleurs, la démonstration lorsqu’ils expliquent que cette extériorisation obtenue par leurs passes prolongées, n’est sensible qu’aux pincements et attouchements du magnétiseur et non à ceux d’une autre personne. C’est un peu comme si un galvanomètre sensible au courant électrique dégagé par une pile, ne l’était plus à celui envoyé par une autre pile.
En attendant que les spirites étayent de preuves leurs affirmations, ce dont ils se soucient fort peu, on ne saurait tenir aucun compte d’observations qui, reconnues exactes, justifieraient les pratiques de la plus antique sorcellerie.
Il ne faudrait pas, bien entendu, rejeter pour cela l’existence d’une force psychique. Quoique des impressions ne puissent jamais tenir lieu de preuves et soient sans valeur pour établir une conviction scientifique, j’avouerai volontiers que, dans tous les phénomènes spirites, l’hypothèse la moins invraisemblable est précisément l’existence d’une force psychique rayonnée par les êtres vivants.
Cette opinion ne m’a nullement d’ailleurs été suggérée par les expériences des spirites, mais seulement par mes études sur le dressage des animaux ainsi que sur la psychologie des foules et de leurs meneurs. Certains individus, les orateurs célèbres notamment, semblent rayonner autour d’eux quelque chose de très intense. Ce ne sont guère leurs discours qui impressionnent, puisque, le plus souvent, on ne les entend pas. Leur puissance secrète est cependant indéniable. Gambetta retournait le Parlement avec quelques gestes. S’il était permis de créer un nom pour une force d’essence inconnue, je la qualifierai de volonté rayonnante.
Ne pouvant m’étendre sur ce sujet, je me bornerai à reproduire, à l’appui de ce qui précède, le fragment biographique suivant publié sur un des rois des chemins de fer américains, M. Harriman. Il a été donné dans une conférence par un grand banquier des États-Unis, M. O. Kahn.
On m’a demandé parfois, après que M. Harriman eût accompli certaines choses dont la réalisation paraissait improbable, pour quelles raisons ses adversaires lui avaient cédé. Quel motif les avait poussés ? A quels mobiles avaient-ils obéi ? Pourquoi avaient-ils fini par faire ce qu’ils avaient déclaré ne devoir jamais faire ou ce qu’ils n’avaient aucune raison de faire ? J’ai répondu : « Simplement parce que M. Harriman avait mis en œuvre son cerveau et sa volonté pour le leur faire faire. »
Dans tous les cas analogues, il s’agit sûrement non de raisonnements acceptés, mais d’actes imposés par le mécanisme encore ignoré de la volonté rayonnante dont je viens de parler.
Les influences ainsi exercées par un individu sur d’autres sont incontestables. L’hypothèse commence lorsqu’on tente de les expliquer au moyen d’une force psychique dont aucune expérience n’a prouvé clairement l’existence. Il serait fort intéressant de la rechercher, ce qui implique naturellement la nécessité de découvrir d’abord le réactif capable de la révéler.
J’arrête ici cette énumération qui finirait par m’entraîner hors du cadre de cet ouvrage. J’en ai dit assez, je l’espère, pour montrer le rôle que pourra jouer l’expérience dans la formation d’une psychologie nouvelle, destinée à remplacer celle dont nous vivons encore et qui a si peu éclairé les problèmes fondamentaux de la genèse et de l’évolution des croyances.