Les opinions et les croyances : $b genèse; évolution
LIVRE III
LES FORMES DIVERSES DE LOGIQUES
RÉGISSANT LES OPINIONS ET LES CROYANCES
CHAPITRE I
CLASSIFICATION DES DIVERSES FORMES
DE LOGIQUES.
§ 1. — Existe-t-il diverses formes de logiques ?
La logique a été considérée jusqu’ici comme l’art de raisonner et de démontrer. Mais, vivre c’est agir et ce n’est pas le plus souvent la démonstration qui fait agir.
Nous montrerons dans ce chapitre et les suivants que les diverses sphères d’activités vitale et psychologique, précédemment énumérées, sont gouvernées par des formes de logiques différentes.
L’action constituant d’après nous le seul critérium d’une logique, nous considérerons comme diverses les logiques conduisant à des résultats dissemblables.
Dans un acte quelconque le psychologue ne doit rechercher isolément ni le but poursuivi, ni les moyens employés, ni le succès ni l’insuccès. Les seuls éléments l’intéressant sont les mobiles générateurs de cet acte. Il y a des actions vertueuses ou criminelles, habiles ou malhabiles, il n’y en a pas d’illogiques. Elles sont simplement issues de logiques différentes et nulle ne peut servir exclusivement à juger les autres.
La logique rationnelle, par exemple, est trop différente des logiques mystique et affective pour pouvoir les interpréter ni même les comprendre. Conduisant à des actes souvent opposés, elles doivent être séparées. De même pour la logique collective et la logique affective.
Considérer comme diverses des logiques génératrices de résultats dissemblables, est simplement appliquer la règle de classification qui fait placer dans des catégories différentes les phénomènes trop distincts pour être confondus.
§ 2. — Les cinq formes de logiques.
On peut, croyons-nous, établir cinq formes de logiques : 1o logique biologique ; 2o logique affective ; 3o logique collective ; 4o logique mystique ; 5o logique rationnelle. Nous nous bornerons maintenant à en résumer brièvement les caractères, devant consacrer des chapitres spéciaux à chacune d’elles.
Logique biologique. — Les motifs qui nous ont fait établir cette forme de logique seraient trop longs à énumérer ici. Nous les donnerons dans le chapitre consacré à son étude. Disons simplement maintenant que la logique biologique, qui préside à l’entretien des êtres et à la création de leurs formes, ne porte nulle trace d’influence de nos volontés, mais produit des adaptations, dirigées dans un sens déterminé, par des forces que nous ne connaissons pas. Elles semblent agir, ces forces, comme si elles possédaient une raison supérieure à la nôtre et n’ont rien de mécanique puisque leur action varie à chaque instant suivant le but à remplir.
L’adjonction aux autres formes de logiques de la logique biologique, qui domine de très haut la plupart des autres, ne fera que combler une lacune dissimulée par les vieilles théories métaphysiques.
Logique affective. — Les psychologues connaissaient uniquement jadis la logique rationnelle. Ils commencent à y ajouter la logique affective ou des sentiments, absolument distincte de la logique rationnelle. Ces deux formes de logiques diffèrent surtout en ceci que, les associations intellectuelles peuvent être conscientes, tandis que celles des états affectifs restent inconscientes. La logique affective dirige la plupart de nos actions.
Logique collective. — Cette forme de logique ne doit pas être confondue avec la précédente. Nous avons montré, voici bien des années déjà, que l’homme en foule se conduit différemment de l’homme isolé. Il est donc guidé par une logique spéciale, puisqu’elle implique l’existence d’éléments observables seulement dans les foules.
Logique mystique. — Cette forme de logique est le résultat d’un état particulier de l’esprit, dit mystique. Universel aux premiers temps de l’humanité il paraît fort répandu encore. Pour les mentalités mystiques l’enchaînement des choses n’a rien de régulier ; il dépend d’êtres ou de forces supérieures dont nous subissons simplement les volontés.
La logique mystique a déterminé et détermine toujours un grand nombre des actes de l’immense majorité des hommes. Elle diffère, nous le verrons, de la logique inconsciente des sentiments, non seulement parce qu’elle est consciente et comporte une délibération, mais surtout parce que son influence peut engendrer des actions diamétralement contraires à celles que dicterait la logique affective.
Logique rationnelle. — Cette logique est l’art d’associer volontairement des représentations mentales et de percevoir leurs analogies et leurs différences, c’est-à-dire leurs rapports. Elle est à peu près la seule dont se soient occupés les psychologues. Depuis Aristote, d’innombrables livres lui ont été consacrés.
§ 3. — Coexistence des diverses formes de logiques.
Toutes les formes de logiques qui précèdent peuvent se superposer, se fusionner ou se combattre chez les mêmes êtres. Suivant le temps et les races, l’une d’elles arrive parfois à prédominer, mais sans jamais éliminer entièrement les autres.
La logique affective conduisait un général athénien, jaloux de ses rivaux, à leur déclarer la guerre. La logique mystique lui faisait consulter les oracles sur la date utile des opérations à entreprendre. La logique rationnelle guidait sa tactique. Pendant tous ces actes, la logique biologique le faisait vivre.
L’étude qui va suivre, des diverses formes de logiques précédemment énumérées, en fera mieux comprendre les caractères. Le lecteur ne devra pas s’attendre à voir révéler leur mécanisme. Il est fort peu connu, aussi bien d’ailleurs pour la logique rationnelle, la plus étudiée cependant, que pour les autres.
L’existence des diverses formes de logiques n’est démontrée que par leurs résultats. Elles représentent des postulats vérifiés seulement par les conséquences qui en découlent. Les sciences les plus exactes, la physique par exemple, sont obligées également de mettre à leur base de pures hypothèses transformées en vérités probables quand leur nécessité est démontrée.
Toutes les explications de la lumière, de la chaleur, de l’électricité, c’est-à-dire la physique presque entière, reposent sur l’hypothèse de l’éther. A cette substance totalement inconnue, il a fallu attribuer des propriétés incompréhensibles et même inconciliables, telle par exemple une rigidité supérieure à celle de l’acier, bien que les corps matériels s’y meuvent sans difficulté. Un phénomène nouveau oblige les physiciens à donner à l’éther des propriétés nouvelles souvent contraires à celles déjà admises. C’est ainsi qu’après lui avoir supposé une densité infiniment plus faible que celle des gaz, on lui en accorde maintenant une des millions de fois supérieure à celle des plus lourds métaux.
Si l’étude de sciences aussi précises que la physique nécessite des hypothèses, on ne saurait s’étonner de nous voir procéder de la même façon dans une science beaucoup plus compliquée, la psychologie.
Le physicien n’affirme pas que l’éther existe. Il dit simplement que les choses se passent comme si l’éther existait et que tout phénomène resterait incompréhensible sans cette existence supposée.
Nous n’affirmons pas davantage qu’il existe des formes de logiques constituant des entités distinctes, nous disons seulement qu’elles sont nécessaires et que les choses se passent comme si elles existaient réellement.