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Miette et Noré
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CHANT II
LA SORCIÈRE
Elle était là tantôt dans l’herbe agenouillée.
La berge solitaire et plus qu’ailleurs mouillée
Est rendue à présent au rossignol joyeux.
Le coquin ! s’il sait tout, c’est qu’il a de bons yeux ;
C’est qu’il est curieux et hardi comme un page,
Enfin, qu’il veut tout voir de près, non sans courage,
(Aussi le prend-on vite au piège, le nigaud !)
Or, à la place juste où Miette tantôt
Sur la rive, à genoux, battait si bien son linge,
Que fait-il, sautillant et malin comme un singe,
Tournant de ci, de là, sa tête et son œil noir ?
Elle aura, l’étourdie, oublié son battoir !
Juste !
Ah ! bon serviteur de l’ingrate laveuse,
Après avoir servi l’amour de l’amoureuse,
Il est là sur le flanc, au pied d’un haut chardon,
Avec cet air piteux que nous fait l’abandon.
Ce que c’est que de nous ! quelle chance est la nôtre !
Quel heureux ne fait pas l’infortune d’un autre !
Ainsi sans doute en lui pense le rossignol,
Qui s’approche et qui, — puis, — d’un dernier petit vol,
Saute sur le battoir, et là, haut sur ses pattes,
Maudit à plein gosier l’amour et les ingrates.
Il se fait sur la rive un bruit qui n’est pas loin.
Ah ! tu le paîras cher, Mion, ton peu de soin,
Car c’est Finon qui vient, cette vieille sorcière.
Finon sait les secrets de toute la rivière.
L’oiseau la connaît bien. Le laid, le bon crapaud,
Quand il l’entend marcher ne saute pas à l’eau ;
Et le rat d’eau non plus, qui même se hasarde
Hors de son trou dès qu’elle approche, et le regarde ;
Quant au lézard, il vient à l’ordre de Finon.
Elle en a baptisé plus d’un, et, sur un nom
Qu’elle dit, on a vu des couleuvres se tordre
En colère et monter à son bras sans la mordre.
On dit qu’elle leur donne à boire un peu de lait.
Ce qu’elle fait, pour sûr, — la voleuse qu’elle est, —
C’est de parler aux chiens, à mi-voix, leur langage.
Elle jappe tout bas, ajoutant : Soyons sage !
Lorsque l’un d’eux chez lui la reçoit en grondant,
Et le chien se soumet, un croûton sous la dent,
Car la vieille Finon ne mange que la mie.
De toute belle fille elle semble ennemie ;
Elle sait le galant et le dit à qui veut.
On a hait, on la craint, mais qu’est-ce qu’on y peut ?
Un sort est tôt jeté ! c’est ce que l’on redoute ;
Aussi, dès qu’on la voit, du plus loin, sur sa route,
Pour conjurer le sort on garde d’oublier
De tourner à l’envers, vite, son tablier !
La masque, malgré tout, devine toute chose.
Malade, l’on s’adresse à Finon, quand on ose.
Elle coupe la fièvre ; et savez-vous comment ?
Rien qu’avec son couteau, pardi, tout bonnement ;
Le malade fût-il à l’autre bout du monde,
La foi le sauvera, si Finon la seconde.
Elle s’en va la nuit, à minuit, dans un champ ;
Elle porte à la main son couteau bien tranchant ;
Elle erre quelque temps et parle au clair de lune,
Examine avec soin les plantes, court vers une,
Et la tranche d’un coup en faisant un grand cri…
S’il en coule du sang, le malade est guéri.
Quant aux coups de soleil, la chose est plus aisée :
Rien qu’avec de l’eau claire à la source puisée,
C’est fait. Elle choisit un grand verre au besoin,
Et le rayon qu’on a sous le front, comme un coin,
Vient se noyer au fond du verre, de lui-même,
Dès que Finon a dit votre nom de baptême.
Une entorse ? elle en est maîtresse en vous tâtant ;
Une brûlure ? on est guéri dans un instant ;
Et même on a surpris ces mots qu’elle murmure,
Quand son pouce vous fait la croix sur la brûlure :
Feu du ciel,
Perds ta chaleur,
Comme Judas
Perdit sa rougeur,
Dans le Jardin
Des Oliviers,
Quand il trahit
Notre-Seigneur !
Elle sait d’autres tours. Par exemple, à coup sûr
Éloigner les renards friands de raisin mûr.
Plus d’un s’est bien trouvé de ce qu’elle conseille ;
Voici : Toute la nuit — pour Noël — le feu veille ;
La bûche de Noël est un tronc d’olivier
Ou de chêne, à dessein conservé tout entier
Le plus vieux ou le plus petit de la famille
A béni devant tous la bûche qui pétille ;
Il a dit : « Sois béni ; sers-nous toujours, ô feu ;
Sois la vie et jamais la mort, flamme de Dieu. »
Quand la bûche a brûlé jusqu’au jour, il faut prendre
Ce qui reste du bois, serait-ce un peu de cendre,
Et le faire traîner aux bêtes de labour
Sur le champ fréquenté des renards, bien autour…
On n’en finirait pas de bavarder sur elle.
On dit que dans son temps elle fut grande et belle,
Mais sans savoir au juste : elle n’est pas d’ici.
Dans notre endroit, on l’a toujours connue ainsi,
Vieille, l’œil chassieux, le menton de galoche,
Une main au bâton, l’autre gonflant sa poche,
Vivant d’un fruit volé, d’un pain donné, de rien.
Maître Brun lui permet, tout au bout de son bien,
D’habiter le Campas : bastide démolie,
Si triste, avec son puits qui n’a plus de poulie,
Deux mûriers, deux figuiers, des fenouils à foison.
La vieille avec trois chats hante cette maison.
On prétend qu’elle fut jadis fille trompée.
Maintenant à tromper les autres occupée,
Elle dit qu’elle est sourde et qu’elle n’y voit pas,
Mais elle voit de loin ce que l’on dit tout bas !…
Le rossignol, — Finon l’entend ! Elle s’arrête,
Le voit sur le battoir perché, hoche la tête,
Et reste là, — riant de son rire sans dents.
Ah ! ces jeunes ! ah, ah, ils ne sont pas prudents !
Finon a rencontré Noré près du village ;
Il portait le plaisir écrit sur son visage,
Ah, ah ! — et Finon rit, — et voit, sur l’autre bord,
L’herbe haute, où l’on a couru, couchée encor,
Et deux pieds différents marqués sur chaque berge,
Et l’un, le plus petit, semble nu, sainte Vierge !
L’oiseau sur le battoir chante, — et Finon sourit.
Ah ! Pour tout deviner, que faut-il ? de l’esprit !
Tout deviner ? non pas ! c’est « trop » qu’il faudrait dire,
Car la vieille sorcière avec son méchant rire,
(D’après un pas d’enfant sur l’herbe en fleurs laissé)
Devine… l’avenir, qu’elle ajoute au passé !
Oui, le baiser d’amour fut ardent, fut sauvage,
Oui, l’amoureuse en eut tout le sang au visage
Et se sentit troubler jusqu’au fond de son cœur,
Mais le diable a songé : le bon ange est vainqueur !
Le rossignol s’enfuit d’un coup d’aile…
Eh, la vieille,
La sourde ! on a marché, car tu dresses l’oreille…
Le rossignol a fui… Quelqu’un vient donc par là,
Et c’est Miette. Hélas ! mon Dieu ! protégez-la.
— « Vous êtes vous, Finon ? » — « Et qui serais-je ? une autre !
J’ai trouvé ce battoir, Miette, c’est le vôtre,
Dit la vieille criant à la façon des sourds ;
Ah ! j’y vois mieux des fois que d’autres ; j’ai mes jours.
Il faut le dire aussi : j’ai buté du pied contre ! »
Mion ne le voit pas ; la vieille le lui montre :
— « Il est là, lui dit-elle, au pied du gros chardon. »
— « Aujourd’hui, pour le coup, oui, vous avez l’œil bon, »
Dit Miette, et tandis qu’ajoutant : « Merci, Fine, »
Elle s’en va, — la vieille a relevé l’échine,
La suit des yeux et part, disant : « Chacun son tour ! »
Et, seul, le rossignol éclate en cris d’amour.
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