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Miette et Noré
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CHANT II
LES PRESSOIRS
La mère de Miette à son homme, la veille,
Avait dit : « Tiens, il pleut ! — Après une eau pareille,
Les champignons sous bois vont pousser hardiment.
Mais qu’avions-nous besoin de pluie en ce moment ?
Voilà ce qu’il fallait au temps des feuilles vives !…
Bon ! cela fait toujours plaisir pour les olives. »
Et Miette et son père, à travers le carreau,
Regardaient sur la route à grand bruit tomber l’eau,
Et les gens pour rentrer se hâtant sous l’averse.
Les platanes des bords, que l’eau déjà traverse,
Piaillaient, pleins de moineaux mouillés et voletant.
Sous l’eau qui ruisselait tout paraissait content,
Le chemin qui changeait en miroir sa poussière,
Les flaques pétillant de gouttes de lumière,
L’olivier bien lavé des blancheurs du chemin
Et les gens sur les seuils tendant à l’eau leur main.
Et joyeux en son cœur, par le trou de la crèche
L’âne se mit à braire au parfum de l’eau fraîche.
Le tonnerre, un moment, roula, lointain et sourd.
— « Les limaces se vont promener au tambour,
Dit l’homme. Va, Miette, en chercher dans la vigne. »
Comme elle sort, la foudre éclate. Elle se signe :
— « Quand le tonnerre grondera,
Sainte Fleur m’en préservera. »
« Le tonnerre de Dieu n’appartient pas aux saintes, »
Dit Antoine. — « Tais-toi, » dit sa femme, et mains jointes
« Dieu ne t’entende pas ! » — « Que boivent-ils là-haut ?
Dit l’homme, — de l’eau donc ! — Il paraît qu’il en faut ! »
Et triste, à la fenêtre, il disait : « Ça m’ennuie ! »
Des enfants, bec en l’air, dehors buvaient la pluie.
— « C’est un peu fort, grognait l’ivrogne ; oh ! — les canards !
… Femme, un verre de vin ! Ça rend les vieux gaillards ;
C’est le lait des vieux, quoi ! » — « Tu sais que l’on me loue
Notre âne, chez Sidoine ? » — « Oui, pour le puits à roue. »
— « Mais demain l’âne est libre, et tu n’aurais pas tort
D’aller aux champignons en cherchant du bois mort ;
Quoique vieux, Briquet porte encore charge double,
Mais ne le frappe pas, pauvret ! » — « … Ce fond est trouble,
Dit Antoine ; fais-moi passer un bouchon neuf ! »
Et l’homme s’endormit, rêvant qu’il était veuf.
Le lendemain, chargé comme un jeune âne ingambe,
Suivi de son patron qui traînassait la jambe,
Briquet, les paniers gros de glands, de romarin,
D’arbousier, de bruyère et de pommes de pin,
Descendait la colline et, trotteur sans reproche,
Briquet des quatre pieds, faisait feu sur la roche…
Le sentier retentit de son pas bien égal,
Et l’homme va disant : « C’est l’âne du mistral ! »
Et l’âne gai, riant de son maître en lui-même,
File en vrai coup de vent, et le maître blasphème,
Et tous deux dévalaient les sentiers raboteux,
Faisant dégringoler les pierres devant eux,
Épeurant des oiseaux qui s’envolaient par bande,
Écrasant quelquefois fenouil, sauge ou lavande,
Violet poivre d’âne et thym bleu des lapins,
Dont l’odeur se mêlait, forte, aux senteurs des pins.
L’âne ayant faim faisait la descente pressée,
Et son maître, essayant de suivre sa pensée
Qui s’en allait avec son âne par devant,
Faisait : « Des champignons ! j’en ai cherché souvent ;
Je n’en trouvai jamais de si beaux, ni si vite !
Je sais chercher. En pareil temps, j’ai du mérite ;
Les tout premiers, — on les vend cher ; j’en ai beaucoup.
Il en portait cinquante, enfilés, à son cou.
Dans le clocher carré, là-bas sonnaient trois heures.
— « O l’âne ! il ne serait pas trop tôt que tu meures !
Hé ! — Tu m’essouffles tant, — que tout ce mauvais bois,
De la soif que j’aurai, je le boirai vingt fois ! »
L’âne au bas de la pente alla moins vite. — « Rosse !
Criait l’homme, je vais te marquer sur la bosse ! »
L’âne près du village arriva tout fourbu.
— « Nous rentrerons plus tard, lorsque nous aurons bu, »
Dit l’homme attachant l’âne au bec de la fontaine.
L’âne, étant bridé, but d’une langue incertaine.
— « Que c’est drôle, une bête ! il n’a pas soif du tout ! »
La masure d’Antoine étant à l’autre bout
Du village, il entra dans l’auberge sans crainte,
D’où sur l’heure il sortit avec sa bonne pointe,
Et, s’appuyant sur l’âne, il se mit en devoir
De rentrer, — mais, après quatre pas, il put voir,
Dans un chaix, — travaillant, la porte grande ouverte,
Un homme à son pressoir. — « Vous aurez de la perte,
Si vous travaillez seul. » — « Donne-moi donc la main, »
Dit l’autre. — Et plantant l’âne au milieu du chemin,
Antoine satisfait vint pousser à la barre.
— « Ça vaut un coup de vin, si tu n’es pas avare,
Dit-il ensuite : allons, tâtons le vin nouveau. »
« Moi, je le crains, » fit l’autre. « On ne craint rien que l’eau,
Dit Antoine qui but une forte rasade.
J’ai trop vu pleuvoir, hier ! — Adesias, camarade. »
Il repart. L’âne suit. Mais, quelques pas plus loin,
Deux pressoirs ! en plein air ! — « Eh ! n’a-t-on pas besoin
D’un coup de main, par là ? » — « Tiens, Antoine l’ivrogne !…
Nous suffisons tout seuls, compère, à la besogne. »
Puis voulant s’égayer : — « Veux-tu tâter le vin ? »
— « Pardi, si je le veux ! » — « Eh bien, bois dans ta main ! »
Il le fit, chancelant déjà. Chacun de rire.
Il repart ; il chantonne, et la tête lui vire.
Et là-bas, où la rue et la route font croix :
— « Saints du ciel ! Jésus Dieu ! ho ! qu’est-ce que je vois ! »
Car, de quelque côté qu’il tourne sur lui-même,
Il a vu rougeoyer partout ce vin qu’il aime !
Partout, ici, plus loin, les pressoirs en grinçant
Font couler la liqueur trouble et couleur de sang.
Les presseurs que le vin grise par les narines,
La barre dans leurs mains, les mains sur leurs poitrines,
Les jambes en arrière et le buste en avant,
Poussent de tout le corps, et s’arrêtent souvent
Pour mieux rire d’un mot, — car c’est gai, la pressée !
L’âme du vin qui sort de la grappe écrasée,
Au-dessus du pressoir monte dans l’air joyeux,
Met le rire à la lèvre et l’étincelle aux yeux.
Le baquet qui reçoit la liqueur rouge, — chante !
Et l’ivrogne étonné, que cette vue enchante,
S’arrête et dit : « Amen ! Que votre volonté
Soit faite, seigneur Dieu, de toute éternité !
En ce jour le bon vin pleut comme l’eau la veille ! »
Et, sur l’âne adossé, l’ivrogne s’émerveille.
Les champignons qu’il porte, enfilés en collier,
Et qu’il s’ôta du cou tout à l’heure au cellier,
S’égrènent dans ses doigts, émiettés sur la route :
— « La mer serait de vin que je la boirais toute !
Dit-il. — Monsieur le maire a mis avec raison
Des fontaines de vin devant chaque maison !
Mais ça ne dure pas, non ! (et sa voix s’enroue) ;
Les pressoirs s’en iront !… pas un qui n’ait sa roue ! »
La première pressée est pour le vin nouveau ;
L’autre fait la piquette : on y mêle de l’eau ;
Ce qu’Antoine voyant, bientôt jure et s’indigne.
— « Le plus beau des présents de Dieu, le jus de vigne,
Vous le gâtez ! fit-il. S’il se peut ! Ils sont fous ! »
Jacque vint à passer.
— « Allons, rentrez chez vous,
Grand malheureux ! dit-il ; vous rassemblez le monde. »
Chaque rue, en effet, s’appelant à la ronde,
Femmes, enfants et vieux, de tous les coins venus,
Tous, même les presseurs aux bras rouges et nus,
Regardaient le bavard, l’ami de Dame-Jeanne,
Qui parlait seul et haut, — s’adossant à son âne.
Et, juste vis-à-vis, Jacque venait ce soir
Porter au forgeron la barre d’un pressoir.
« Ça n’est pas de chez nous ! dit-il, montrant l’ivrogne.
Le pays n’en fait pas ! »
— « Approche ! — Quand je cogne,
Dit Antoine, on me dit que j’ai peu de pareils !…
Je te connais : c’est toi le donneur de conseils !
Avec sa barre, il vient pour m’assommer, brave homme !
Approche ! et parions que c’est moi qui t’assomme ! »
Antoine menaçant faisait de mauvais yeux,
Et sa mine écartait les enfants curieux.
— « Avec des mots pareils, dit Jacque, tu fais croire,
(Prends-y garde, mon homme !) à la méchante histoire ! »
— « Que veux-tu dire ? » — Antoine approcha, poing fermé.
« Parle ! »
— « Le dernier feu, qui l’avait allumé,
Dans les Maures, bandit ? O marrias, prends garde !
Si c’est les gens d’en haut, passe, ça les regarde :
Ils réclament le droit au bois mort des forêts…
Mais si tu l’as fait, toi, c’est que tu te vendrais !
Il faut aimer le vin, pour risquer les galères ! »
L’autre se rapprocha, pâle, plein de colères…
— « Va-t’en, nez de piment, piémontais ! »
A ce mot,
Antoine hors de lui, jurant Dieu comme il faut,
Voulut sauter sur Jacque, — et roula dans la rue.
— « Qu’y a-t-il donc ici ? » dit Miette accourue.
Les gens lui firent place, et les rires cessant :
— « Je te retrouverai, Jacque ! je veux ton sang !
Et je te presserai tant fort si je t’attrape,
Que tu ne vaudras pas la piquette de grappe ! »
Miette se crut morte. Elle dit : « Viens, Briquet »,
Prit l’âne par la bride et, pâle, suffoquait.
L’homme marcha, suivi par les enfants sans âme.
« Pechère ! — C’est un vrai malheur ! dit une femme. »
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