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Miette et Noré
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CHANT VI
DES CHATAIGNIERS AU MOULIN D’HUILE
— « Tu dois être aujourd’hui lasse de ton voyage ;
Demeure à la maison : nous allons à l’ouvrage… »
— « Non, dit Miette, non ; j’aime mieux m’en aller
Aux châtaignes, compère, avec vous travailler. »
— A ton souhait, Miette ; en avant tout le monde.
La châtaigne, cet an, est pesante et bien ronde,
Et cela fait plaisir en cherchant d’être sûr
A chaque pas qu’on fait de trouver un fruit mûr. »
Et sous les châtaigniers nus presque, aux branches grises
On marche. La forêt tremble aux frissons des brises.
Quelques feuilles encor, les dernières, dans l’air
Volent, tombent, couleur de la rouille du fer.
Les sentiers en sont pleins, comme d’une litière
Sèche, rousse et bruyante, — et sans voir trou ni pierre
Chacun jusqu’aux genoux y patauge à grand bruit.
Les enfants vont devant, puis les vieux ; Mion suit,
Songeant que ce bruit-là tient son âme distraite
Et que seule au logis elle eût perdu la tête,
Mais de plus, si Noré qu’elle fuyait là-bas
Jusqu’en ce lieu perdu se trouve sur ses pas,
Qu’elle agira fort bien de partir au plus vite…
« Oui, dès demain. » Ainsi raisonne la petite.
— « Eh, toi ! — sais-tu pourquoi l’on a donné ce nom
Des Maures à nos bois, dans la montagne ? » — « Non. »
— « Ah ! ah ! » — et le compère en riant fort ajoute :
« Mon père me l’a dit fréquentes fois ; écoute :
Tous ces Maures, c’était les Arabes, les gens
De l’Afrique, voleurs et toujours voyageants,
Qui dans les temps passés venaient sur nos rivages
A tout moment piller et brûler nos villages.
Mes pères s’en gardaient, pardi, comme du feu !
Et bâtissaient leurs nids haut, comme Pierrefeu.
Ah ! ah ! les Sarrasins ! c’était leur grosse crainte !…
Mon père là-dessus savait une complainte…
Ah ! ah ! » — « Mais vous, pourquoi, compère, en riez-vous ? »
— « C’est que, ces coquins-là, lorsqu’ils faisaient leurs coups,
Ils ne manquaient jamais d’enlever quelques filles…
Ou… de leur faire peur… s’ils les trouvaient gentilles !
… Il n’aurait pas fallu t’en venir autrefois,
Tranquille, seule avec ton âne, dans nos bois…
Tu n’aurais pas manqué de voir dans quelque sente
Un homme noir venir sur toi, la dent luisante,
Et, — pechère ! — en criant, — t’emporter comme un loup ! »
Et de rire. — Et Mion ne riait pas du tout,
Songeant que ce matin, là, dans le voisinage,
Elle avait rencontré le Sarrasin sauvage !
— « C’est ici, dit Arnaud, que nous nous arrêtons ;
Ce matin nous avons laissé là nos bâtons.
Miette, prends le mien ; moi, la forêt m’en donne. »
Et chacun se baissant, cherche fouille et tâtonne
Du bout des bâtonnets fourchus, — et de l’amas
Des feuilles, en montant, dégage pas à pas,
Les fruits roux, — dont la cosse épineuse s’entr’ouvre, —
Du flot amoncelé de feuilles qui les couvre.
— « Les sangliers ont fait la récolte avant nous,
Par ici, ce matin… Regardez-moi ces trous ;
Ils ont fouillé du groin les feuilles et la terre. »
— « On en a tué deux ici même, mon père,
Juste un moment après que vous étiez parti, »
Dit un enfant. — « Et qui les a tués, petit ? »
— « Un qu’on nomme Noré ; c’est quelqu’un de la plaine,
Un étranger, mon père ! » — « Et j’en ai de la peine,
Dit Arnaud. Ils pourraient rester chez eux, ceux-là,…
De chasseurs de hasard, bons à chasser au plat ! »
Ainsi chaque moment presque, chaque parole,
Rappellent à Mion le mal qui la désole,
Et le sang dans son cœur troublé ne fait qu’un saut ;
Et, — la pauvre — elle a su cacher plus d’un sanglot
En faisant bruisser les feuilles qu’elle froisse,
Mais ce jour entre tous fut long et plein d’angoisse.
Aussi, le même soir : — « Je repars dès demain. »
— « Comment ! tu veux déjà te remettre en chemin ?…
Attends un jour encor… » — « … J’ai peur d’être malade. »
— « La course est longue. » — « Non, c’est une promenade. »
Elle partit au jour, à pied, Briquet devant ;
Mais le long de la route il la porta souvent,
Car avec le cœur lourd on a les jambes frêles.
Briquet portait un sac de châtaignes nouvelles,
Présent de Maître Arnaud, beau cadeau pour l’hiver.
Et la vivacité du temps, le frais de l’air,
La gaîté du soleil, le piquant de la bise
Qui couvre peu à peu le ciel de brume grise,
Rien n’a distrait Mion… qui connaît maintenant
La joie et la douleur qu’on se donne en aimant.
Quand Briquet bien trottant sentit l’étable proche
Il se mit à sonner comme un écho de roche,
Et des hi ! et des han de sa plus belle voix
Réveilla dans la nuit tous les chiens en abois.
Alors Antoine dit : « C’est la voix de ma bête ! »
Et la mère, Toinon, triste, a hoché la tête.
Et comme son mari questionne l’enfant,
Et la gronde, — la mère en souci la défend,
Dit : « Elle était malade ; elle a bien fait, je trouve ; »
Mais lui juge mal fait ce que sa femme approuve :
« Ça n’est pas clair, dit-il ; — voyage et prompt retour,
Tout cela peut cacher des finesses d’amour,
Petite. On m’a parlé ce matin d’une histoire…
Il suffit, tu m’entends, je ne veux pas y croire,
Mais si le fils du gueux, de Maître Jacque André,
Veut faire son galant chez nous, — je le tûrai,
Vois-tu ! — qu’il prenne garde à lui, notre jeune homme !
Et si tu fais mal, toi, la fille, — je t’assomme !
C’est dit ; va-t’en dormir, et rêver là-dessus.
Bonsoir ! » — La mère tremble et soupire : Ah ! Jésus !
A quelques jours de là, Miette, au moulin d’huile,
Par les sentiers touffus poussait Briquet docile
Sur le bord du ruisseau noir des eaux du moulin.
Au printemps, il était du bleu du ciel tout plein,
Coulant clair étalé sur le blanc lit de pierre,
Quand Miette, y faisant écumer la lumière,
Battait à tour de bras son linge parfumé.
Flic ! floc ! Il est passé, le joli mois de mai !
Le rossignol est loin, dont la voix amoureuse
Excitait aux chansons la rivière pierreuse
Où, chaque avril, renaît le laurier-rose ardent
Que détruit chaque hiver le flot trop abondant.
Ils fleurissent l’été dans de petites îles
Que pressent doucement des filets d’eau tranquilles ;
Maintenant ils sont morts, les lauriers-roses verts
A feuille aiguë et droite, et leurs pieds recouverts
Par l’eau torrentielle et noire de ressence
Attend que le nid chante et qu’avril recommence !
Mais l’eau recoulera, claire comme le jour,
Le nid du rossignol rechantera d’amour,
Tout recommence enfin, — comment ? — par l’amour même !
Tout, excepté la paix dans le cœur — lorsqu’on aime !
Briquet allait chercher de l’huile, fruit nouveau,
Jusqu’au moulin massif, bâti tout près de l’eau,
Dont le mur apparaît gris parmi la verdure.
Elle entre. Là, de peur que l’attente ne dure,
Chacun, en apportant ou reprenant son bien,
S’assied, parle et répond, rit de tout et de rien ;
On fait cercle, au-dessous des toiles d’araignées
Comme des bénitiers aux angles rencoignées
Dans l’ombre du moulin sans fenêtre, obscurci
Par l’émanation même du fruit d’ici,
Autour de la grande auge en pierre, dans laquelle
Tourne et tourne à plaisir sur l’olive nouvelle
La haute, lourde meule, au pas du vieux mulet
Qui tire son levier, sous le fouet du valet.
Quand Miette parut au seuil du moulin d’huile,
Elle vit noir d’abord, — puis, près d’elle, immobile,
Elle aperçut Finon ; puis les gens assemblés
Parurent un à un à ses regards troublés.
— « Entre ! lui cria-t-on ; viens écouter la vieille ! »
Finon disait : — « Mes gens, j’ai porté ma bouteille.
Un peu d’huile ! pour un baume ! » — Et tous, riant fort :
— « Le baume d’aïoli ! pour réveiller un mort ! »
— « Soyez chrétiens, meuniers ; patron, sois charitable ;
De l’huile ! pour un baume ! » — « Un baume pour la table ! »
Disaient les meuniers noirs, de vrais Maures, la dent
Luisante, et dans du pain beurré d’huile mordant !
Finon devant la porte apparaissait en ombre
Sur le jour du dehors qui baissait, déjà sombre,
Et Miette surprise avait peur vaguement :
Cet endroit lui pesait comme un pressentiment.
— « Chante-nous la chanson, la vieille ! dit un homme ;
Ou bien… tu sais comment le souterrain se nomme ?
La cuve de dessous… s’appelle les enfers !…
Attention, sorcière ! — et dis tes plus beaux airs ! »
Et la sorcière chante avec sa voix branlante
Et le pas du mulet suivait sa chanson lente :
— « Les olives sont-elles mûres ?
Oh ! oh !
Près du ruisseau plein de murmures,
Coupez, coupez un long roseau ! »
— « Oh ! oh ! » disaient en chœur les gens tout d’une haleine,
Et le mulet tournant roidissait mieux sa chaîne…
— « Les olives noircissent-elles ?
Ah ! ah !
Montez dans l’olivier, mes belles,
Si les garçons ne sont pas là ! »
— « Ah ! ah ! » riaient en chœur ces gens pleins de malice,
Et les meuniers mangeaient leur huile avec délice.
— « Belle fille, fais la cueillette,
Oh ! oh !
Tout en chantant ta chansonnette
Dans les branches, comme un oiseau.
« Et frappe du roseau les branches,
Ah ! ah !
A terre, sur les toiles blanches
L’olive noire tombera. »
— « Ah ! ah ! — Finon la masque aura de l’huile vierge ! »
— « Et vous irez au moulin d’huile,
Oh ! oh !
Vous irez toutes à la file
Voir couler l’huile comme une eau !
« Notre âne attendra sur la porte
Ah ! ah !
Et du poids d’huile qu’il emporte
L’âne mécontent se plaindra ! »
— « Ah ! ah ! — Si tu dis vrai, nous te devrons un cierge,
Sainte sorcière ! »
— « Et nous en mettrons sur la table,
Oh ! oh !
Et dans le calèn de l’étable
Qui reluira comme un flambeau ! » —
— « Oh ! oh ! — C’est bien, » dit le patron ;
« … Mais, sorcière, il fallait apporter le jarron !
Je ne remplirai pas ce grand fiasque, la vieille !…
— « Eh bien ! j’achèverai de remplir la bouteille, »
Dit simplement Mion, — qui prend aussitôt peur,
Car Finon la regarde, — « Eh donc ! elle a bon cœur, »
Dit Finon, « comme moi… quand on veut ! — Qu’on m’écoute,
Braves gens ! — Le bonheur, qui la cherche, est en route !
… Oui, quelqu’un, — tu m’entends ! — vient vers toi de retour,
Miette ; écoute un peu : tu seras riche un jour ! »
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