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Miette et Noré

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CHANT VII
FIN

Fâché, l’oncle François dit : « Je la déshérite !
Je l’aimais cependant beaucoup, cette petite ! »
Mais vers ce temps les Brun, réparant le Campas,
Où Finon habitait, — sous des fagots en tas
Trouvèrent, dans un coin du nid de la sorcière,
Un écrit qui faisait Mion son héritière,
Indiquant un trésor qu’elle avait sou par sou
Ramassé, puis caché le papier disait où…
— « … Nous n’avons pas besoin de cet argent du diable ! »
Dit François que ce trait rendit plus pitoyable
Et qui revit sa nièce et lui dit : « Ton Noré
A du bon. Je comprends qu’un jour je l’aimerai.
Pour ton beau-père, c’est un brave homme, ma nièce !
Dans la marine on est beaucoup de son espèce.
Et vienne le petit !… j’entends le mettre à flot…
Et d’abord — s’il m’écoute — il sera matelot ! »
Le mariage eut lieu sans tambour ni trompette,
Entre proches parents, comme voulut Miette.
Mais quelque temps après, lorsque l’enfant venu,
Le petit Noël, frais et rose, demi-nu,
Mordillait son pied blanc de sa bouche mignonne :
« Il faut pourtant fêter ce citoyen, ma bonne ! »
Dit un matin François… « O mon joli mignon,
Je veux, mon beau Noël, payer ton réveillon !
… Il a compris, le joli mousse ! il rit aux anges ! »
On fut cent invités à la fête, — aux vendanges.
Repas, rires, chansons, un branle-bas royal !
Sur l’aire, chez André, fut arrangé le bal.
Autour, des arcs fleuris formaient la salle verte
De pavillons marins et de voiles couverte.
Tout en dansant, l’on voit sous le vert des arceaux
La campagne, — et la mer chantante aux grandes eaux.
Au bout du grand cyprès de Jacque, l’on arrime
Le mât du batelet, qui dépasse la cime,
Et parmi les chansons et les cris — tout à coup
François hissa les trois couleurs jusqu’au fin bout,
Disant qu’aux jours de joie et de réjouissance
Tous les bateaux français sont aux couleurs de France !
Et les deux, trois repas ! O mes amis de Dieu !
Quelle flammade ! Et quels rôtis devant le feu !
Bœuf et mouton ! lapins, lièvres, perdreaux, volailles,
Poules, canards, dindons !… on creva deux futailles
De vin nouveau. — Des gens, par le bruit attirés,
Eurent leur large part de tout ! — Raisins dorés,
Poires, pommes, veux-tu des fruits ? tu n’as qu’à prendre !
Des pauvres qui passaient mangeaient. — « J’ai le cœur tendre,
Quand je bois ! » avouait Antoine ; — mais François :
« Je serai toujours là désormais quand tu bois !
… Je rationnerai l’équipage, beau-frère ! »
A minuit on dansait encor là-haut sur l’aire.
Là, sous la claire nuit, tous les jeunes, — joyeux,
Les couples enlacés, tous l’amour dans les yeux,
Oubliant la leçon du malheur de Miette,
Ardents, — la main parlante et la bouche muette,
Tournaient, étourdissant leurs cœurs et leurs esprits,
Tournaient, tournaient, — et des baisers, d’abord surpris,
Étaient rendus, repris ! Plus d’un couple, comme ivre,
Se mourait, — confondant ses lèvres, — de trop vivre,
Et tous, se rapprochant à se troubler d’amour,
Au son des tambourins dansèrent jusqu’au jour !
Le bruit du bal montait dans l’espace, en fusées.
Les collines dormaient, par un vent doux — baisées.
Et Miette, animée et fraîche, heureuse à voir,
S’écriait : « J’ai mangé le premier mon pain noir ! »
Et ses yeux reluisaient comme une eau qui pétille,
La femme retrouvait son beau rire de fille.
Et tandis qu’agités les danseurs alentour
Prenaient le feu du sang pour le rayon d’amour
Calme, — Noré, penché près de Miette assise,
Sur le rebord de l’aire, aux tiédeurs de la brise,
Heureux et parlant bas dans la joie et le bruit,
Murmurait : « Je comprends, — surtout de cette nuit, —
Miette ! — j’étais fou comme un poulain sauvage ;
Et tu m’as pardonné ! — C’était le feu de l’âge !
J’étais comme un oiseau qui ne sait rien de rien,
Plus bête que ton âne et moins bon que mon chien !
Maintenant, j’ai compris et je t’aime, — belle âme ! »
De sa bouche, il cherchait le baiser de sa femme.
… Un galoubet vibrant par là, fit sonner clair,
Au-dessus du bourdon d’un tambourin, cet air —
Bien connu — que Mion disait hier encore,
Et Noré chantait bas en suivant l’air sonore :
— « Si tu te fais l’étoile,
Moi, le nuage aux cieux,
Je flotte comme un voile
Sur ta bouche et tes yeux ! »
Et Miette, plus haut, le cœur plein, tout troublé,
Répondit en chantant sous le ciel étoilé :
— « Ton aubade me touche.
Je veux ce que tu veux…
Tiens donc, baise ma bouche,
Et sois mon amoureux ! »
— « Oui, ma belle Miette ! et pour toute la vie ! »
Dans un coin, les jaloux, la lâcheté, l’envie,
Murmuraient bien des mots… mais perdus dans ce bruit
Qui faisait fuir au loin tous les oiseaux de nuit !
Et Toussaint ?
Sur un point perdu des grandes ondes,
Toussaint vogue, — agitant des douleurs plus profondes
Que la mer, et la mer berce ses longs chagrins,
Car elle est parfois bonne à ses fils les marins.
En regardant la mer, pense à Toussaint, Miette !
Tels ils sont, nos marins : l’âme forte et muette ;
Prêts quand il faut. — Hier, tu les as vus, Paris,
Marcher silencieux dans la guerre aux grands cris !
Souviens-toi du Bourget ! qu’ils tombaient sans rien dire !
Et qu’ils t’ont bien servie, ô Cité du Navire !
C’est la mer qui les fait ce qu’ils sont : des héros !
Héros quotidiens, sans témoins, sans repos,
Laissant frapper le vent et la vague en colère,
Pour faire exactement ce qu’ils ont à bien faire !
Courage sans fureur, lutte avec l’élément
Où l’homme doit parer les coups, uniquement !
… O toi, Guerre où se tuent les hommes fils des femmes,
Guerre à face imbécile, à passions infâmes,
Que viens-tu nous parler de gloire ! que dis-tu
D’un péril nécessaire à former la vertu !
Vois l’obscur porion habiter dans les mines,
Vois ces mille ouvriers mordus par leurs machines,
Vois le couvreur, les bras ouverts, tomber du toit,
Et dis si nous avons, — Guerre, — besoin de toi,
Lorsque tant de métiers enseignent le courage,
Et quand le mousse enfin, sur la mer qui fait rage,
Apprend d’elle la force, et comment se défend
Contre la force aveugle — un esprit, même enfant !
Adieu, Toussaint. — Qu’un vent heureux souffle et te pousse !
Ta barque est bonne ! et puis, j’y vois chanter le mousse !
Va, le temps changera… tu changeras d’amour…
Quelque jour une épouse attendra ton retour.
Et toi, Miette, adieu, ma douce, ma belle âme !
Ma fille qui pleurais, sois bien heureuse — femme !
Tu vas donc me quitter, souci qui m’étais cher,
O ma pensée, ô toi, le plus pur de ma chair !
Adieu, Noré ! L’amour a troublé ta jeunesse,
L’amour, le grand malin des malins qu’on connaisse…
Un peu plus, mon vaillant garçon, tu t’y trompais !
… Maintenant, c’est l’amour qui met ton cœur en paix.
Adieu tous. — Adieu, toi, Finon, la pauvre vieille,
Toi qui fus bonne un jour, repose en paix, sommeille, —
O victime d’aimer, — toi qui fus bonne un jour, —
Dans un lit de repos plus profond que l’amour.
Adieu tous, compagnons de mes belles années,
Quittez ma vie ! — adieu, mes figures aimées !
… Toi, maître Jacque André, — donne ta main, grand vieux !
O mes amis, vous tous ! je vous fais mes adieux !

Un soir, — André, plus bas voûté que d’habitude,
Rentra disant : « Le coup de pioche devient rude.
Le travail m’a blessé. Je suis mûr. C’est la fin.
La terre appelle. L’herbe au cimetière a faim ;
Il n’y a pas un an ma pauvre mère est morte ;
La vieille en s’en allant n’a pas fermé la porte :
Elle me veut ! j’irai dans quelques jours d’ici. »
A quelques jours de là, Jacque André dit : « Voici.
Je sens l’heure. » Il était sur le vieux banc de pierre,
Près du seuil. — On voyait de là le cimetière,
Au flanc du vert coteau blanchir sous le soleil.
L’enfant dans le berceau dormait son frais sommeil.
Jacque le regarda. — « Noré, dit-il, mon brave,
Le bien du comte, là, dans le nôtre s’enclave ;
Il faudra marchander ce moreau-là, souvent.
Tu l’auras à la fin ! »
Et puis, se soulevant :
— « Tiens regarde là-bas… » Son doigt tendu désigne
Un champ de blé… « Là-bas, tu mettras de la vigne !
Chacun dit qu’elle meurt ? N’importe, plantes-en ! »
Puis, tourné vers Noël : « Toi, — reste paysan ! ».
L’oncle François hocha la tête sans rien dire.
On voyait sur la mer tout le soleil reluire,
Et midi s’approchait, — l’heure du fort repas.
Jacque dit : « Ce matin, je ne dînerai pas. »
Quand ils eurent dîné, Jacque, — assis à sa porte, —
Appuyait sur son bras plié — sa tête morte.
— « Ah ! dit François, — voilà la mort que je voudrais ! »
On coupa — comme deuil — la tête du cyprès,
Et les passants de loin, longtemps, à voir ce signe,
Parleront du grand vieux qui croyait à la Vigne !

Par les sentiers rocheux et gris, fleuris et verts,
Dans les chênes, les pins, — par les sentiers déserts
Qui montent enroulés au flanc de la colline,
Quand se lève l’aurore ou quand le jour décline,
Je rencontre souvent un petit écolier
Qui, du plus loin, me fait son rire familier ;
Blouse bleue, œil luisant d’une lumière noire.
Ses livrés ficelés, tachés par l’écritoire,
L’Histoire des Français, la Grammaire, — gaîment
Battent sur son échine au moindre mouvement.
Et moi : « Sais-tu ta fable ? — Oui, dit-il. — Fais voir comme ! »
Et l’enfant brun me tend les fables du Bonhomme,
Car je ne sais pas tout, du grand livre français.
Et l’enfant dit les vers… « C’est bien, c’est bien, tu sais. »
Sa fraîche voix se mêle au grand bruit de la grève…
Des vers dans une voix d’enfant, c’est comme un rêve
Où chantent l’Avenir et l’Espoir éternel !
— « Et quand tu seras grand, que feras-tu, Noël ? »
… Pour voir s’il répondra toujours comme j’espère…
— « Paysan ! répond-il toujours, — comme grand-père ! »
Et ses parents ? — je crois leur bonheur assuré,
Car je connais Miette, — et je connais Noré.

Jacques-Laurier. La Garde-près-Toulon, 20 décembre 1879.

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