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Miette et Noré

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CHANT Ier
LE BATTOIR

Flic, floc ! c’est le battoir, floc, sur le linge blanc
Que frappe aussi l’éclat du soleil aveuglant ;
Floc, l’écume jaillit et vogue à la dérive
Par gros flocons, sur l’eau peu profonde mais vive ;
Floc, elle y tombe en pluie, en étincelles d’or,
Flic, et l’eau qu’elle ride en est plus gaie encor.
Ainsi quand vous riez, ô jeunesses coquettes,
Votre joue aussitôt se plisse de fossettes,
Et vous le savez bien, et vous riez souvent !
Ainsi fait en avril l’eau pure sous le vent,
Ainsi fait la rivière autour de la laveuse.
Flic, floc ! le linge blanc se soulève et se creuse,
Car le battoir l’abat dès que l’air l’a gonflé…
Il devient comme neuf le linge — qu’a filé,
Tous les soirs, en chantant, durant sa vie entière,
Mère-grand, aujourd’hui couchée au cimetière…
Flic et floc ! c’est qu’on veut le dimanche être beau
Et propre ! et qu’y faut-il ? un peu de peine et d’eau.
Le meilleur travailleur, pardi, pense au dimanche !
Flic, floc ! l’arbre verdoie et l’aubépine est blanche ;
C’est le beau temps des nids, c’est le mois des amours,
Flic, floc ! l’herbe d’amour reverdira toujours.
Floc, vient un rossignol se poser sur la rive,
Cherchant pour ses petits un peu de bonne eau vive,
Et de sa queue en bas et de sa queue en l’air,
Imitant le battoir, il reste là tout fier.
La laveuse le voit et pense qu’il se moque ;
C’est qu’il lui dit, avec son grand œil équivoque :
« Flic et floc, c’est le temps d’aimer ; à quand ton tour ? »
Le rossignol sait tout, dès qu’il s’agit d’amour !
Il sait même le nom de celui qu’on préfère…
Aimer bien, bien chanter, c’est tout ce qu’il sait faire…
Avec sa queue il sait encor — flic, il faut voir ! —
Pour railler la laveuse imiter le battoir !
Flic, floc ! Elle a quinze ans… Le rossignol s’esquive…
C’est qu’il a vu venir quelqu’un sur l’autre rive.
Flic, floc ! Les yeux baissés, petite, tu le vois,
Ce passant ! — C’est Noré, qui chante à demi-voix :
« Au mois de rose éclose,
Passant par le sentier
Tout vert, tout rose,
Au mois de rose éclose,
Vis fleurir l’églantier.
« Je ne vis pas l’abeille,
Qui vint là pour son miel…
Méchante abeille !
Elle y dormait ; s’éveille ;
M’a fait un mal mortel !
« Je ne vis pas l’épine,
Qui se cachait par là…
Mauvaise épine !
Je cueillis l’églantine :
Mon sang rouge coula.
« Je ne vis pas la toile…
L’aragne m’a guetté.
Maudite toile !
C’était comme une étoile,
Où mon cœur est resté.
« Au mois de rose éclose,
J’ai pleuré tout un jour.
Maudite soit la rose,
Mais béni soit l’amour ! »
Il marche, fouettant l’herbe avec une baguette.
Sans doute il va passer sans avoir vu Miette ?
Mais floc, floc ! le battoir, — qui me dira pourquoi ? —
Se fâche et bat plus fort… « Tiens, Miette, c’est toi ? »
Fait le gars s’arrêtant sur la berge opposée.
Mais le battoir est sourd ; toute fille est rusée ;
Le linge claque ! l’eau bourdonne ! à quatre pas,
Sous ces arbres qui font ramage, on n’entend pas !
Et la belle laveuse, à son linge attentive,
Rattrape un mouchoir blanc — qui part à la dérive…
Oh ! ce n’est pas d’ailleurs qu’on soit coquette, non ;
Mais Honoré, — Noré, — c’est là son petit nom —
Est un gars trop cossu pour une pauvre fille,
Flic, floc, oh ! beaucoup trop ! Que dirait la famille ?
Et c’est pourquoi, battoir en main, et cœur battant,
Elle le suit des yeux, — sans les lever pourtant !
« … Et alors ? c’est ainsi, dit-il, qu’on fait la fière ?
Tu m’entends. Ce n’est pas le bruit de la rivière
Qui t’en empêcherait lorsqu’elle a si peu d’eau !…
Ah ! cet hiver fut sec ; le blé ne vient pas beau.
Il te faut une goutte à toi, pour ta lessive…
Que te voilà jolie, à genoux sur la rive !
Et que tu te plairais si tu pouvais te voir !
Avance un peu sur l’eau pour t’en faire un miroir,
Et laisse reposer ton battoir qui la trouble.
J’aurai tant de plaisir, si belle, à te voir double !…
Laisse là ton battoir, te dis-je, il m’étourdit !… »
Et comme elle est muette à tout ce qu’il lui dit :
« Si tu ne le crois pas que tu me plais, petite,
C’est que tu ne sais pas toi-même ton mérite,
Et que moi, pour ma part, je ne m’explique pas.
Regarde-toi dans l’eau, va, tu me comprendras !
Comment tu fais la sourde ?… ah ! coquine, ah ! mauvaise,
Que faut-il faire, — allons, voyons, — pour qu’on te plaise
Si tu ne le crois pas que je t’aime, tant pis :
Je suis trop malheureux… mais quel est l’autre, dis ? »
Le battoir seul répond, luisant d’eau qui dégoutte,
Flic, flic, répond bien bas — pour que la fille écoute ;
Flic, la fille se tait, mais le battoir répond,
Flic, flic, et le ruisseau moins troublé, peu profond,
Réfléchit le portrait de la belle laveuse
Sur un rideau d’azur et de branches d’yeuse
Dans lesquelles, en bien cherchant, l’on pourrait voir
Le rossignol, toujours imitant le battoir !
Et le galant poursuit sa prière plaintive.
— La cigale charmée au sifflet se captive,
Les cailles aux appeaux, la mouche d’or au miel,
A l’eau le papillon s’il la prend pour le ciel,
Les filles à l’amour quand la parole est douce !
Et celle du galant qui craint qu’on le repousse
Sait se faire dorée et s’emmieller à point,
Et la voix de Noré qui ne se lasse point, —
Ni trop haut, ni trop bas, — sonne bien à l’oreille,
Claire à travers cent bruits qui sont fredons d’abeille,
Susurrement de l’eau, des arbres tour à tour,
Long murmure de tout, qui conseille l’amour !
Et voici quel adieu, de l’une à l’autre rive,
Par-dessus l’eau, qui rend la voix persuasive,
Vient toucher l’amoureuse au fin fond de son cœur,
Tandis que chante aussi le rossignol moqueur :
« Lève les yeux, au moins ! car je veux que tu voies
Ce grand foulard soyeux, le plus beau prix des Joies,
Que j’ai gagné, regarde, aux courses l’an passé…
Je tombai de cheval au but : je fus blessé ;
Mais je conquis le prix sur la jument du comte.
Pierre qui la montait en a pleuré de honte,
Et si j’ai de bons yeux c’est lui que tu voudrais !
Pardi ! tu peux changer de galant sans regrets…
Vois-le, mon beau foulard ; j’y tiens, tu peux me croire ;
Ma mère l’a, tout l’an, conservé dans l’armoire ;
Je l’ai pris ce matin pour toi ; j’y tiens beaucoup :
Prends-le ; si je le vois le dimanche à ton cou,
Miette, gentiment croisé sur ta poitrine,
Et d’un beau nœud bien fait serrant ta taille fine
Comme je voudrais, moi, faire avec mes deux bras,
Ce sera donc qu’alors je ne te déplais pas ! »
Il dit, et le foulard qu’il pose sur des branches,
Dans les verts aubépins fleuris d’étoiles blanches,
Drapeau d’amour, pourpré comme un coquelicot,
Flotte.
« Viens le chercher ! » dit le gars.
Point d’écho.
Flic, floc ! c’est le battoir, mais pas d’autre réponse.
Le gars s’éloigne, et sous les hauts buissons s’enfonce,
Par de petits sentiers qui vont je ne sais où,
Et dans lesquels on a l’herbe jusqu’au genou.
Il disparaît bientôt, car l’eau fait l’herbe épaisse
Et touffus arbrisseaux, buissons de toute espèce,
D’où — comme un voile — monte, attachée aux ormeaux,
La liane en longs jets repleuvant sur les eaux.
Flic, le battoir est lent ; et floc, il va se taire ;
Flic, il est loin, Noré. La rive est solitaire.
Mais s’il s’était caché ? Mion ne le croit pas.
N’est-ce pas lui, tenez, qui disparaît là-bas ?
Elle a vu remuer la branche à son passage,
Près du pont. Il est loin. Il va vers le village.
Flouc ! le battoir jeté sur le linge, est muet…
« Ma mère ! — Il m’a semblé tout près qu’on remuait ? »
Non, ce n’est rien. Alors, bien seule, — elle en est sûre, —
La fille en jupons courts fait sauter sa chaussure.
Souliers et bas ôtés, la voici les pieds nus,
Ses jupons retroussés à deux mains retenus,
Et le regard fixé sur le foulard qui flotte.
Un coup d’œil aux entours, le dernier… L’eau clapote :
L’eau rit en cercles d’or et fait un bruit charmant ;
Jamais eau n’a chanté ni couru plus gaîment ;
Elle s’enroule aux pieds de la fille amoureuse,
Y monte, et sur son lit sonnant de roche creuse
Où mille cailloux vifs luisent comme des yeux
S’écarte à chaque pas par bonds capricieux !…
De l’eau sur les orteils et puis sur la cheville,
Au milieu du ruisseau que penserait la fille,
Baignant jusqu’à mi-jambe, et dans tout l’embarras
Où ses jupons flottants retiennent ses deux bras,
Si — détournée un peu du foulard qui palpite —
Elle voyait, — aï ! aï ! — sur le bord qu’elle quitte,
Entre d’épais rameaux écartés pour mieux voir,
Deux yeux noyés de trouble, étincelants d’espoir !
Mais ne les voyant pas, elle se préoccupe —
Seulement — de ne pas mouiller trop haut sa jupe,
Pour n’être pas grondée à la maison, ce soir.
Elle avance, tranquille… Et qu’elle est belle à voir !
Que sa jambe est bien faite, et lisse sa peau fraîche,
Duvetée, et pareille en couleurs à la pêche !
Voici la rive atteinte, et le foulard est pris,
Quand tout à coup… quel rire éclatant et quels cris !
« Ah ! ah ! » elle a jeté le beau foulard de soie…
« Ah ! ah ! » ce sont des cris et des rires de joie…
C’est Noré qui franchit le ruisselet d’un bond !
Elle court ! il la suit sous le taillis profond…
« Ne cours pas ! tu mettras le pied sur quelque épine !
Vas-tu fuir, déchaussée ?… Ah ! je te tiens, — coquine ! »
— « Ma mère ! » Il est déjà trop tard pour refuser,
Et quand elle a senti sa joue et son baiser :
« De sûr, de sûr, dit-elle à lèvres demi-closes,
De sûr tu me plais bien, Noré ; mais que tu l’oses,
Que tu sois revenu, voleur, en te cachant,
Je n’aurais jamais cru cela de toi, méchant ! »
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