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Miette et Noré
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LA PAROLE
PRÉLUDE
La bise est quelquefois maligne,
L’hiver est quelquefois méchant ;
Laisse au dehors dormir ta vigne
Et bois son vin d’où naît le chant !
Quand la plaine est molle de pluie,
Le vieux paysan prisonnier
Derrière la vitre s’ennuie
A voir le blé vert se noyer.
Mais ceux qui vivent au village
Par chambrée assemblés le soir
Passent le temps en verbiage
Oubliant le dehors tout noir !
Le bon calèn d’huile d’olive
Luit jusqu’au fond des yeux malins ;
Le feu de vigne, flamme vive,
Chante au bruit des verres trop pleins.
« Dis-nous, compère, un de tes contes… »
Ah les bons vieux contes salés !
On n’entend plus le vent qui monte
Ni l’eau qui peut noyer les blés !
Un mot, — et le souci s’envole !
Si le conteur y met du sien,
Pendant une heure il vous console ;
Il vous tient là, s’il parle bien.
Il vous tient pendus à ses lèvres ;
Sa langue vous mène avec lui ;
Le dernier des gardeurs de chèvres
Est par là maître de l’ennui !
Enfin si le conteur sait dire,
Vous auriez beau ne pas vouloir,
Quand il le veut, vous devez rire
Et vous sentir gai tout un soir !
Il faut rire à l’antique histoire
Qu’un de vous de son père apprit…
Et je sens là toute ta gloire,
Vieille puissance de l’esprit,
Parole ! ô pouvoir qu’ont les hommes
D’imiter tout avec un son !
Toi qui fais voir ce que tu nommes,
Père et mère des arts qui sont !
Sans toi, lumière créatrice,
Le Réel tient caché le Beau,
La Force ignore la Justice,
Et l’Espoir meurt sur un tombeau !
La Raison, sans toi, reste vaine ;
L’art du poète qui t’accroît
Du rythme qui bat dans sa veine,
Se dit le plus grand à bon droit !
Et, — toi dont les chants populaires
Et les vieux contes primitifs
Ont le mieux gardé, sources claires,
Les premiers bruits imitatifs, —
Je t’aime encore, moi qui t’aime
Fille des lèvres et de l’air,
D’égayer le paysan même
Quand le soleil est mort, — l’hiver.
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