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Miette et Noré
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APRÈS LE TRAVAIL
Quand le bon travailleur, de l’aube au soir bêchant,
Courbé durant des mois a retourné sa terre,
Il plante, — ayant fini sa tâche solitaire, —
Un bouquet sur un mât au beau milieu du champ.
Moi, mon labeur aussi m’a fait plier l’échine,
Et, tout terreux, le corps bourdonnant de soleil,
Je veux planter, poète au paysan pareil,
Sur mon œuvre achevé le bouquet qui termine.
J’ai fini. J’ai conté l’amour, joie et tourment,
Les saisons qu’un labeur différent accompagne,
Mon pays de clarté, la mer et la campagne,
Miette, — la Provence, — au cœur fort et charmant.
Et quand elle a souffert de sa peine première,
J’ai dit comment les pleurs qui baignaient ses beaux yeux
Me laissaient incertain s’ils n’étaient pas joyeux,
Tant ils étaient brillants et remplis de lumière.
Puis j’ai dit le passé, plus mort que les tombeaux,
Les saints loués, moqués, implorés par la foule ;
La légende à fond d’or — tout un monde qui croule
Comme ce grès qui fut notre ville des Baux.
J’ai montré le héros des travaux sans chimère,
L’aïeul, cariatide au dos courbe, aux grands reins
Qui par un soir d’été fermant ses yeux sereins
A l’appel de la mort répond : « J’y vais, ma mère ! »
Je l’ai vu patient, brutal en ses conseils,
Libre sans en parler, se sentant bien son maître,
Et, fier enfant des temps nouveaux sans les connaître,
Plein d’un tranquille espoir qui vient de nos soleils.
Son petit-fils, semblable à lui plus qu’à son père,
Sera plus beau qu’un roi, quand, sachant lire un jour,
Né libre, il restera paysan par amour,
Pour rester nourricier d’un grand peuple prospère…
Car il est, mon pays, un sol de liberté !
Souvenez-vous qu’on a baptisé Marseillaise,
Cet hymne impétueux, plein de l’âme française,
Que l’Alsace au grand cœur la première a chanté !
Rappelez-vous le bruit d’un bois de pin qui vibre
Et comme le murmure ondule avec le bois !…
Or j’ai dit aux pins verts : « Qu’est-ce que votre voix ? »
— « Un grand souffle, à travers l’âme d’un peuple libre ! »
Et j’ai dit au mistral : « Qu’es-tu ? » — « L’esprit du Nord !
Je viens prêter ma force à vos âmes heureuses ! »
J’ai dit alors : « Chantez, ô syllabes nombreuses,
Comme les pins au vent, mon pays doux et fort ! »
Et maintenant je veux avoir ma récompense…
Je rêve à mon salaire en bon ouvrier las…
Et, l’esprit fatigué comme un bêcheur ses bras,
Voici le prix, l’honneur, la gloire — à quoi je pense :
Pour avoir tant aimé la Provence, et toujours ;
Pour avoir célébré sa beauté brune et blonde ;
Pour l’avoir répandue en mes vers par le monde
Où j’ai passé chantant, vrai fils des troubadours,
De même qu’en nommant Pétrarque on pense à Laure,
A l’inverse et pourtant de même, ah ! je voudrais
Qu’où luit son nom — le mien fût toujours mis auprès
Et rester lumineux du soleil qui la dore !
Car j’ai bien su t’aimer, ma Provence aux grands yeux,
Regard de ciel, regard de vague, — blonde et brune !
Je t’aime bien, Provence, — et j’ai mis ma fortune
A chanter tes beautés dont je suis orgueilleux !
Miette, ô mon amour, ta robe claire est verte,
Tes sourcils sont plus noirs que du chêne en charbon,
Et — pauvre sans souffrir, tant le soleil est bon, —
Tu ris avec des dents de grenade entr’ouverte !
Par des trous dans ta robe on voit ta belle chair,
Provence, ta chair rose et par endroits hâlée,
Mais fière de ton corps, tu ris d’être brûlée,
En donnant tes pieds blancs à baiser à la mer !
O belle ! tout mon cœur saute dans ma poitrine
Quand, pour ta gloire au loin, l’ayant quittée un temps,
Gonflé d’espoirs nouveaux et de désirs chantants,
Je reviens du côté de ta brise marine.
Alors, quand près du Rhône, au-dessus d’Avignon,
Tu m’apparais, Provence au sein de vierge mûre,
Me tendant l’olivier d’où sort ton frais murmure,
Je sens mon âme fondre et je redis ton nom !
O terre des lauriers, des myrtes, des cigales,
Quand je m’endormirai, dis, ô pays sacré,
Berceras-tu l’enfant, quand je m’endormirai,
Sous les pins verts, au bruit de tes vagues égales ?
… Promets-le !… — Dans un pan de ta robe de fleurs,
Tu me tiendras caché comme celui qu’on aime,
Et, poète endormi dans le rythme suprême,
Tes pins me couvriront de leur résine en pleurs.
Jacques-Laurier, 20 décembre 1879.
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