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Miette et Noré
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CHANT Ier
UN RETOUR
Pourquoi ne nous viens-tu qu’une fois en dix ans,
Neige au voile brodé de diamants luisants,
Toi qui fais mieux aimer le soleil, par contraste,
Lorsqu’il vient, rouge et chaud, fondre ta candeur chaste !
… Par la neige fondante, et qui rend au soleil
Le blé jeune, égayé, vert, à l’espoir pareil,
Comme on porte Finon sur la verte colline,
Dans l’herbe dont ses os vont nourrir la racine,
Dans les tant vieux cyprès que rajeunit la mort,
— Là-bas sur le chemin, parlant haut, chantant fort,
Quelqu’un vient à grands pas, un brave capitaine
Qui dix ans a vécu sur une mer lointaine,
Riche, heureux du retour, vieux garçon, vieux marin,
Qui sent son cœur trembler comme un vrai tambourin !
C’est l’oncle de Mion, le frère de sa mère.
Ah ! retours au pays après l’absence amère,
Comme vous nous enflez le cœur, retours joyeux !
Salut, rochers pelés, familiers à mes yeux,
Sécheresse, vent dur qui blesse mes paupières,
Champs de ronces semés de méchants tas de pierres
Vous êtes, ô laideurs de mon pays, cent fois
Plus douces à mes yeux que les trésors des rois !
Là j’ai joué, petit. Dans ma fraîche cervelle,
C’est ici que la vie entra, toute nouvelle,
Et la terre et le ciel, — pour la première fois ;
Pauvre pays de rien, m’ont parlé par ta voix !…
— « Ah ! disait à Toinon qu’il tenait embrassée
Le vieux marin bruni, — la poitrine oppressée, —
Ah ! ma sœur ! J’en ai vu des hommes en dix ans,
Des pays froids, des chauds, ennuyeux, amusants,
Des hommes jaunes, blancs, le nègre et le Peau rouge,
Mais c’est fini, du diable à présent si je bouge !
J’aime mieux le village où naquit notre ancien…
Miette, mon enfant, je te marierai bien !
J’ai le sac ! et de plus j’ai déjà mon idée !…
Tu verras. Qu’en dis-tu ? tu n’es pas décidée ?
Ça viendra ! — Mais voyons… c’est Noël dans huit jours ?
J’entends payer chez vous le repas des retours !
Invitez des amis ; j’éventre la futaille !
Beau-frère, haut le coude ! et bataille, bataille ! »
Et, pour Noël, de voir fumer le pauvre toit,
Les gens disaient : « Ici l’on va bien, ça se voit ! »
Chez la pauvre Miette on était douze à table.
— « Ce que faisaient nos vieux, c’est chose respectable
Dit le marin François ; or çà, voyons un peu,
Le plus vieux de nous tous, qu’il bénisse le feu ! »
— « C’est toi ! » — « C’est moi ? tant mieux ! Ça rappelle l’enfance ;
Enfant, je l’ai béni, mais n’ai plus souvenance
De la prière. Eh bien, j’inventerai les mots.
Le Dieu qui fait le feu comprend même les sots. »
Et sa main qui tremblait s’étendit vers la flamme :
« O bon feu, chauffe bien la pauvre vieille femme,
Le vieil homme malade et les blancs pieds d’enfant !
Feu du pauvre, vivant trésor, feu bien chauffant,
Ris toujours dans mes yeux avec tes étincelles !
Feu, luis dans le soleil sur les moissons nouvelles,
Mûris la vigne, et puis viens brûler dans mon four,
Et passe dans mon sang, feu du ciel, feu du jour !
J’ai vu des gens mourir par la neige et la glace,
D’autres par l’incendie !… ô feu, reste en ta place !
Ne nous fais point de mal, joie et soutien des corps,
Et ne nous quitte enfin que quand nous serons morts ! »
Il jette du vin cuit sur le feu qui pétille,
Et qui par là répond : « Soyez contents, je brille. »
Et la table est en train. Figue, orange, nougats,
La dinde, le poulet, le laurier sur les plats,
Jamais Mion n’a vu chez elle tant de joie !…
 — « Mon oncle mettra fin au malheur. Dieu l’envoie ! »
Et l’espoir de Noël lui vient de force au cœur,
Et quand l’oncle lui dit : « Chante ! » et que tous en chœur
Reprennent : « Chante, oui ! » — « Volontiers, » leur dit-elle.
— « Chante, dit un voisin, une chanson nouvelle ! »
— « Non ! fait l’oncle, un vieux chant, un vieux air du pays.
Ces chants qui nous berçaient, ce sont de vieux amis,
Croyez-moi. Ça s’apprend, voyez-vous, par l’absence !
Quand on est loin, perdu dans le monde, en souffrance,
Qu’on a beau regarder les choses d’alentour,
Les gens, — que tout vous est inconnu, sans amour,
Alors qu’une chanson du pays se réveille
Dans votre souvenir, la chanson la plus vieille,
La plus simple, il vous monte un trouble qui vous prend
Tout le cœur ! et l’on pleure, et le plaisir est grand.
Chante ! on sentira mieux le bonheur d’être ensemble ! »
Et tous se font muets quand d’une voix qui tremble :
— « Et qu’est-ce, oncle François que je vous chanterai ?
L’Aubade ? » — « Eh, dit François, fais, Miette, à ton gré. »
 — « Je sonne, Marguerite,
Cette aubade pour toi.
Le tambourin palpite ;
Ma mie, écoute-moi. »
— « L’aubade m’est connue !
C’est toujours le même air !…
Si cela continue,
Je me jette à la mer ! »
— « Si ma belle sauvage
Croit m’échapper ainsi,
Je me jette à la nage,
Je la ramène ici ! »
— « Tu crois tenir la fille,
Mon beau nageur, mais vois :
Je me suis faite anguille !
Je glisse entre tes doigts ! »
 — « Anguille, qui t’empêche !
Glisse aux doigts du nageur ;
Mais le pêcheur te pêche,
Et c’est moi le pêcheur ! »
— « Alors je suis l’eau vive
Dans ce jardin si beau. »
— « Et moi je suis la rive
Ou le lit du ruisseau ! »
— « Alors, rose vermeille,
Je fleuris au jardin. »
— « Je serai donc l’abeille,
Pour dormir sur ton sein ! »
— « Eh bien, je suis étoile ! »
— « Et moi,… nuage aux cieux,
Je flotte comme un voile
Sur ta bouche et tes yeux. »
 — « Si tu t’es fait nuage,…
Me voici maintenant
La nonne la plus sage
Enfermée au couvent ! »
— « Oh ! va, tu peux te mettre
Dans le couvent sacré :
Je me ferai le prêtre…
Je te confesserai ! »
— « Sois le prêtre, qu’importe !
Vois-tu pâlir mon front ?
Je suis la pauvre morte…
Les nonnes pleureront. »
— « Morte, il faudra te taire !…
Les nonnes ont pleuré,…
Mais moi, je suis la terre
Et — morte — je t’aurai ! »
 — « … Ton aubade me touche ;
Je veux ce que tu veux…
Tiens donc, baise ma bouche,
Et sois mon amoureux ! »
Ainsi chanta Miette. — O couplets pleins de charmes,
Sans tristesse, et qui m’ont pourtant tiré des larmes
Plus d’une fois, surtout chez les Anglais un jour,
Quand l’enfant les chantait sur la viole d’amour,
Au bord de l’Océan qui martelait la grève,
Un pâle enfant du Nord aux grands yeux pleins de rêve
Et qui disait : « Je suis le Nord aux blonds cheveux
Et l’azur de Provence est le ciel de mes vœux ! »
Il chantait la chanson douce au cœur, aux oreilles,
Que chacun sait chez nous, les jeunes et les vieilles,
Que tes voisins, Provence, imitèrent parfois,
Mais qui n’a pu, bien sûr, éclore qu’en ta voix !
Et Miette songeait : oh ! d’être ainsi suivie
Jusqu’à la mort, voilà le bonheur de la vie !
Et d’avoir entendu la fille tour à tour
Et l’amant, — tous restaient muets, rêvant l’amour !
 — « Ah ! ces vieilles chansons, dit l’oncle, je les aime !
Nos anciens là dedans ont mis leur âme même :
Il les faut respecter… Moi, j’en connais beaucoup.
… C’est un peu du pays… »
— « Qui les fit ? »
— « Pour le coup,
Joseph ! ta question en trois mots m’incommode !
Ce sont là des chansons, des airs du temps d’Hérode !… »
… Il avait raison, oui, le marin. — Ils sont vieux,
Ces chants, et les anciens, pères de nos aïeux,
Les tenaient de leurs grands qui n’en savaient point l’âge !
— D’où viennent-ils ? — Peut-être un fada de village,
Un forgeron battant les vers de son marteau,
Un vanneur, quelque pâtre assis sur le coteau,
Fit les premiers couplets que chacun par la suite
Répéta ; la chanson fut dite et fut redite
Et chacun y mêlant son mot, et le meilleur,
Tout le pays enfin a mis là tout son cœur !
— « Écoutez ! » dit François. — La forte après la douce,
La grosse voix de bord chanta LE PETIT MOUSSE :
Trois vaisseaux du port de Marseille
Sont partis pour le Portugal,
Le vent qui dormait se réveille ;
Il leur a fait beaucoup de mal.
Ils sont restés sept ans sur l’onde.
Ni pain, ni vin ; mauvais métier !
Ils tirent au sort tout le monde
Qui sera mangé le premier.
A la courte paille l’on tire.
Le plus courte, le patron l’a.
— « Hohé ! des mousses du navire,
Le plus brave me sauvera !
« Je lui donne amour et fortune,
Un grand vaisseau tout surdoré…
J’ai trois filles, qu’il en prenne une ! »
— « Moi, patron, je vous sauverai ! »
 — « Monte au grand mât, vois-tu la côte ?
Jusqu’à la pomme il faut monter !… »
Mais sur la vergue la plus haute
L’enfant s’est mis à sangloter.
— « Oh ! qu’as-tu, lui dit tout le monde,
Et que vois-tu du haut de l’air ? »
— « Je ne vois que le ciel et l’onde
Avec les vagues de la mer ! »
— « Va, monte encore, petit homme,
Jusqu’à la pomme il faut monter…! »
Et quand le mousse est sur la pomme,
Le mousse s’est mis à chanter !
L’équipage prêtant l’oreille :
— « Que vois-tu du haut du grand mât ? »
— « Je vois Toulon ! je vois Marseille !
Le Bec de l’Aigle, la Ciotat !
« Je vois trois belles demoiselles
Qui se promènent sur le bord ! »
— « Vaillant mousse, qu’elles sont belles !…
C’est le moment de chanter fort !
« Le capitaine t’en donne une,
Avec un vaisseau tout doré… »
— « J’ai bien gagné la belle brune
En risquant d’être dévoré ! »
Les figures riaient… — « Ces enfants, c’est le diable !
Celui-là va mourir ou du moins c’est croyable ?
Ah ! ouiche ! il grimpe en haut comme Petit-Poucet !…
La force de l’espoir, voyez-vous ce que c’est ! »
— « C’est vrai, dit le marin ; j’ai vu la mort certaine
Vingt fois, — eh bien voici François le capitaine !
Tant que l’événement ne m’est pas arrivé,
Je n’y crois pas ! — Le reste, on peut l’avoir rêvé. »
Et Miette écoutant cette bonne parole,
Dit : « Finon se trompait ! Rien n’est vrai ! j’étais folle !
Un malheur aussi grand ne m’arrivera pas !… »
— « As-tu semé du blé de Noël sur des plats ? »
— « Oui, — à la Sainte-Barbe. » — « Et cela me fait joie…
Apporte un peu ce blé, pour que je le revoie ! »
On buvait, on fumait ; on parlait bruyamment.
Elle apporta le blé… François, un bon moment,
Regarda les brins droits dans la soucoupe blanche,
Souffla dessus, rêvant au blé mûr qui se penche,
Et dit : « Voilà l’espoir, la Noël, le retour !
Salut, blé du pays !… c’est toi l’herbe d’amour ! »
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