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Miette et Noré

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CHANT V
LE FOULARD ROUGE

Et maintenant, Noré, que te sens-tu dans l’âme ?
As-tu changé d’idée ? as-tu choisi ta femme ?
L’amour de cette enfant, l’amour vrai, l’amour fort,
Entre-t-il dans ton cœur ? ou ton cœur est-il mort ?…
Il n’est pas même né, le cœur d’homme en toi-même,
Garçon ! tu ne sais pas encor comment on aime.
Tu n’as que tes vingt ans encor, un sang trop chaud,
Mais pour aimer c’est plus, mieux que cela qu’il faut :
Il faut peine et pitié, comme Miette ! — En somme,
Elle est déjà plus femme, elle, que tu n’es homme.
Tu n’as pas réfléchi sur toi-même, garçon.
Tu vis, bras au travail, esprit à la chanson,
Mais en riche après tout, sans connaître de peine,
Et tu suis ton plaisir où le hasard te mène.
Pourtant tu n’es pas sot, certes non, ni méchant,
Fier Noré ; tout d’abord on t’aime en t’approchant ;
Mais ton cœur n’est pas fait, ton âme n’est pas faite ;
Le bon conseil se fausse en entrant dans ta tête,
Et tu ne guides point tes instincts emportés !
Tantôt, lorsqu’en sueur, tous les sens agités,
Tu l’as prise en tes bras, l’enfant, comme une proie,
Ton cœur de chair battait à se briser de joie !
Mais ta jeunesse seule a commandé ton sang ;
Seule elle enflait ton sein de son soupir puissant,
Et seule te faisait une beauté sauvage,
Quand l’amour de Miette éclairait son visage.
Ah ! si tu n’en sais rien, un jour tu le sauras
Qu’un brave cœur battait sur le tien dans tes bras,
Et quand ton jour viendra d’approfondir les choses,
Tu comprendras quels mots gardaient les lèvres closes
Où Miette t’offrait sa vie avec l’amour.
En attendant, — sois dur ! Il viendra bien, ton jour.
Un coup de feu sonna dans les échos des roches,
Et Noré, qui craignait les pleurs et les reproches,
Dit : « Je dois m’en aller, rejoindre les amis. »
Dans ses yeux grands ouverts qui semblent endormis
Elle sèche ses pleurs, regardant comme en rêve
Noré qui dit : « Je pars, il le faut ; » et soulève
Un lierre, — et disparaît, sifflant son chien Flambeau,
Et Miette se voit seule dans ce tombeau.
Pour la seconde fois alors son cœur éclate ;
Elle mouille de pleurs le foulard écarlate,
Le mord, — et le pressant déchiré dans sa main :
« Ah ! si ce bœuf m’avait massacrée en chemin,
En voyant ta couleur de sang ! si j’étais morte,
O présent de malheur, parce que je te porte,
Maintenant je serais en paix sur le coteau,
Comme ce pauvre bœuf mort en désirant l’eau ! »
Car elle comprend bien, maintenant qu’elle y songe,
Qu’il n’a pas même dit : « Je t’aime, » par mensonge ;
Non ; il l’a seulement emportée en courant
Comme un loup fait, la nuit, d’une brebis qu’il prend,
Et la peur et l’amour lui troublaient tant la tête
Qu’elle n’y voyait plus, et sa misère est faite !
Après tout, son malheur, jusqu’ici, n’était rien.
Elle aimait sans espoir quelqu’un trop riche en bien,
Elle trop pauvre, avec un père qu’on méprise ;
Elle n’avait donné qu’un baiser par surprise,
Et reçu ce maudit mouchoir en souvenir ;
Rien de plus ; si cela l’avait tant fait souffrir
Ce n’était que de crainte et d’amour, — des idées !
Les choses pouvaient être encore accommodées,
Jusqu’ici ; rien n’était perdu ; tout son tourment,
Noré pouvait encor l’effacer en l’aimant ;
Rien ne montrait encor qu’un beau jour, fait plus sage,
Noré ne lui vînt pas parler de mariage ;
Et ne le fît-il pas, au fond de son ennui,
Malgré tous les malheurs qui lui venaient de lui,
Et les mauvaises gens qui mentaient sur son compte,
Après tout, elle était malheureuse, sans honte,
Tandis que maintenant,… pardonnez-lui, mon Dieu !
A l’air froid dont Noré vient de lui dire adieu,
Elle a compris d’un coup sa misère et sa faute !
Elle ne pourra plus marcher la tête haute,
Et se sentir l’orgueil d’elle-même ! aï ! Seigneur !
Ce galant sans amour l’a faite sans honneur !
Tous les garçons sont fiers d’être la force même.
Vous êtes, vous, la grâce, — et la force vous aime,
Jeunes filles ! — Pourtant, quand ils vous parleront
Si bas que la rougeur vous couvrira le front,
Quand ils vous diront : « Viens, ce soir, à la fontaine,
Ou près du bois, » alors, — chose étrange et certaine, —
Ces forts ayant perdu leur force en vous aimant,
Ce qu’ils voudront de vous pour vous chérir vraiment,
Filles, — c’est qu’au désir de feu qui les emporte,
Votre grâce d’enfant s’oppose, et soit plus forte !
De ce qu’ils demandaient le refus leur est cher.
C’est le secret de Dieu ; le secret de la chair.
Repousse donc l’amant pour être épouse, fille.
Sois plus forte que lui, — pour fonder la famille,
Ou le gueux se dira, lui qui faiblit toujours :
« J’ai peur de sa faiblesse ! Elle est prompte aux amours ! »
L’amour qu’il veut de toi, l’homme t’en fait un crime,
Et chargé de sa faute, il te voudrait sublime,
Parce qu’il rêve, au sein qui doit former ses fils,
La force du lion et la candeur du lis !
C’est pourquoi, si tu crains ta faiblesse, petite,
Quand il parle d’amour, marche vite, cours vite,
Va, feins de te cacher sous le saule ou l’ormeau…
Alors il t’atteindra pour t’apporter l’anneau !
Mion n’en voit pas tant dans sa pauvre pensée ;
Mais le cœur tout ému, la poitrine oppressée,
Elle sent bien qu’au lieu de s’approcher de lui
Elle éloigne Noré d’elle-même aujourd’hui !
Elle pleure à sanglots, comme une Magdeleine…
L’amour vrai lui viendrait s’il pouvait voir sa peine,
Car l’amour vrai pardonne à tout, — même à l’amour !
Mais Dieu seul voit son cœur aussi pur que le jour.
Miette a sangloté si haut qu’une chouette,
Abandonnant son mur, s’envole sur sa tête,
Et Mion s’épouvante et voit dans son esprit
La tête de Finon qui s’envole et qui rit :
« Flic ! flic ! floc ! » c’est Finon qui rit !… C’est effroyable,
Sur la terre des saints ces visions du diable !
Ah ! c’est un sacrilège affreux d’avoir choisi
Pour cachette d’amour juste cet endroit-ci !…
A cette idée, elle a cru voir, frissonnant toute,
Les arceaux se donner la main ! et, sous la voûte,
Les morts, tous les esprits ténébreux de l’endroit,
Paraître en cercle ! Alors elle se meurt d’effroi
Au souvenir du soir de la ronde sur l’aire…
Tout le cloître à présent l’entoure avec colère !…
Mais si ses yeux troublés reviennent par hasard
Sur une herbe du mur croulant de toute part,
Sur une mouche à miel qui du lierre s’envole,
Sur un rayon, — alors tout le ciel la console !
Puis, de nouveau, l’esprit désolé de ce lieu
Souffle au fond de son cœur les menaces de Dieu.
Elle jette un regard de prière autour d’elle.
Sur les tombeaux sans croix comme l’herbe vient belle !
Comme le lierre est haut et vert sur les vieux murs !
Un merle y vient becquer un bouquet de grains mûrs.
Il picore en sifflant. — A la saison première,
Il avait fait son nid peut-être dans ce lierre,
Et bien d’autres oiseaux, chardonnerets, pinsons,
Y devaient faire un bruit de feuille et de chansons
Jusqu’au soir, depuis l’heure où l’aubette vermeille
Fait remuer partout l’arbre qui se réveille.
Mais nous, il est donc vrai qu’un jour Dieu nous punit
D’oser parler d’amour où l’oiseau fait son nid !
Et Miette, laissant de pensée en pensée
Flotter son âme triste au bruit du vent bercée,
Sent l’oubli la gagner comme lorsqu’on s’endort.
Et regardant le cloître : « Où vont-ils ? vers la mort,
Tant de portiques noirs alignés à la file ?
Jamais je n’en ai vu de pareils dans la ville.
A quoi pourraient servir tant de portails, sinon
A s’en aller loin, loin, dans un endroit sans nom,
Plein d’ombre, — lorsqu’on veut se perdre hors du monde ? »
Ainsi fuit son esprit dans la douleur profonde,
Comme un ruisseau de rien qui se fond dans la mer.
Si grand est son chagrin, si poignant, tant amer,
Qu’il a pris en entier son cœur et sa mémoire ;
Elle ne voit plus rien que sa tristesse noire ;
C’est sans songer à rien qu’elle dit : « Pauvre moi, »
A force de souffrir ne sachant plus pourquoi !
Comme fait le ruisseau qui, plaintif dans sa course,
Tant qu’il va vers la mer se souvient de la source,
Mais quand la mer l’a pris, il ne se connaît plus !
Ainsi les pauvres cœurs dans la douleur perdus.
O gaîtés d’autrefois ! bon rire de Miette,
Qui partout lui faisiez du travail une fête !
Ne sonnerez-vous plus dans les champs, dans les bois,
O nos vieilles chansons, si jeunes dans sa voix !
Avant qu’elle eût aimé le fier ingrat qu’elle aime,
Sa jeunesse faisait plus gai le printemps même ;
Et le soleil semblait plus souriant encor
Lorsqu’en ses cheveux noirs il mêlait son fil d’or.
O chansons, mots pour rire et paroles heureuses,
Revenez sur sa bouche ! Au nid, chansons peureuses !
Au nid, rire ! reviens au jeune sein naissant
Qui palpite gonflé, montant et s’abaissant…
Ne reviendras-tu pas, mon beau rire à dents blanches
Qui partais dans les blés, aux moissons, — dans les branches,
Aux olives, — parmi la vigne en vendangeant !
Ou quand reviendras-tu, beau rire au son d’argent ?
Elle s’est relevée. Un mur doit être proche
Que l’on voit du dehors bâti droit sur la roche,
Et si haut qu’en tombant du haut le coup est sûr !…
De quel côté, se dit Miette, est ce grand mur ?
Et de nouveau, sentant sa grosse peine croître,
Ramène ses regards sur les portes du cloître
Et dit : « Laquelle va vers l’endroit que je veux ? »
Mais la peur tout à coup fait frémir ses cheveux,
Lorsqu’elle voit ces mots gravés dans une pierre :
Ma faute s’est couchée avec moi sous la terre.
Un moine sur sa tombe a voulu ce verset,
Et la pauvre Mion, ne sachant ce que c’est :
« Dieu parle ! Il ne veut pas, dit-elle, que je meure !
Toute ma pauvre vie il faudra que je pleure !
Ah ! maudit ce Noré ! » — Ce nom lui revenant,
La raison de ses pleurs lui revient maintenant !
Et lui semble nouvelle ! et l’étonne elle-même !
Et sa peine en augmente, et c’est ainsi qu’on aime.
Alors, offrant aux vents son foulard déchiré :
« Adieu ! présent maudit ! Souvenir de Noré ! »
Il est en trois morceaux, le beau foulard de soie,
Écarlate, couleur de sang, couleur de joie !
« Pars au vent ! » Un morceau déjà flotte dans l’air,
Le plus petit, qu’un souffle emporte vers la mer ;
Un autre est déjà pris dans des touffes de lierre
Où, longtemps fatigué de pluie et de lumière,
Il ira, vienne avril, au fond de quelque nid,
Et déjà le troisième à la brise frémit
Dans la main de Mion qui pleure et le regarde,
Quand tout à coup : « Non, non ! dit-elle, je te garde ! »
Et quand elle eut baisé le morceau du mouchoir,
Vite en son sein le mit, craignant qu’on pût la voir.
Puis, suivant un grand coq qui passa devant elle
Avec toute sa cour qui glousse et bat de l’aile,
Sous la voûte en cailloux, bien rangés un par un
Dans ce couvent superbe où le marbre est commun,
— Car Cogolin est près, d’où vient la serpentine, —
Miette traversa les couloirs en ruine,
Et trouva dans la cour Briquet tout débâté,
La fontaine au milieu qui chantait la gaîté,
Un chien fauve, au retour de quelque chasse ardente,
Haletant et suant de sa langue pendante,
Des porcs sur un fumier, juste au bord de la cour
Où, s’ouvrant d’un côté tout entier, — à plein jour, —
Elle fait voir des dos et des dos de collines
Qui, formant vagues, vont jusqu’aux vagues marines,
Et la mer vaste, au loin, comme un miroir brisé,
Multipliant les feux de l’azur embrasé.
C’est midi. Les Arnaud attendaient sur leur porte.
— « Nous avons déjà pris ce que ton âne apporte.
Les chiens ont reconnu Briquet. D’où viens-tu, toi ? »
On s’embrasse, on s’appelle ; on demande pourquoi,
Comment, si l’on va bien là-bas ? — « Et le compère ? »
« Les beaux melons d’hiver ! » — « Vous les aimez, j’espère ! »
« Pardi ! Mais toi, Mion, faut venir au printemps,
Quand la fraise est au bois ! — Nous sommes tous contents !
Dînons ! — Qu’as-tu Mion ? — Mange, belle petite ! »
Ah ! si Mion pouvait s’en aller tout de suite !…
Mais non, il faut causer, rire d’un mot moqueur,
Manger et vivre, avec son agonie au cœur !
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